Écologie : changer d’histoire pour changer l’histoire

Petit manuel de résistance contemporaine : Il ne s’agit pas de se demander simplement « Devons-nous agir individuellement ou attendons l’action de l’Etat ». Les deux montrent leur insuffisance patente devant l’urgence écologique. Alors il nous faut bâtir un nouveau récit collectif car une stratégie de changement naît d’un autre imaginaire. C’est au moyen d’histoires que nous, êtres humains, donnons une forme à nos pensées, nos espoirs et nos craintes. Avant même d’apprendre à lire et à écrire, nous entendons plus de 300 histoires au travers de contes de fée, de fables, de livres d’enfant lus par les parents. Le récit confère à notre vie une dimension de sens qu’ignorent les autres animaux. L’imagination précède l’action et les récits qui en découlent façonnent nos perceptions. Tandis qu’il semblait dans l’ordre des choses à un paysan du XIe siècle que le roi exerce sur lui un pouvoir de droit divin sans jamais lui demander son avis, un agriculteur du XXIe siècle va déverser des tonnes de lisier devant la préfecture s’il considère que le gouvernement ne fait pas ce qu’il devrait faire à son égard. Constituer une toile de sens intersubjective arrivera même à moduler le comportement de centaines de millions de personnes.

La société libérale moderne a été soutenue par une myriade d’articles, de livres, de films, de publicités qui l’ont fait l’emporter sur le récit marxiste. Aujourd’hui c’est aux flancs de cet écrasant imaginaire passé dans la réalité, fait de prouesses technologiques, de vacances sur des plages paradisiaques, de smartphones, de filles à moitié nues sur les affiches, de voitures dans des décors de rêve, de livraisons en vingt quatre heures sur Amazon… que les militants écologistes se heurtent. Que pèse une campagne d’ONG face à des millions de messages contraires délivrés chaque jour par les marques, les chaînes, les influenceurs de toutes sortes qui inondent les réseaux sociaux ? Que pèse un post de Greenpeace International sur Instagram (628 000 followers) appelant à agir pour le climat, contre un post de Kim Kardashian (105 millions de followers) appelant à acheter son nouveau gloss à paillettes ? La religion de la croissance est la plus puissante fiction de notre époque. Nous pillons les ressources naturelles, éradiquons les espèces au nom d’histoires, de fictions. Nous sommes à l’heure actuelle incapables de penser en dehors de ce récit parce qu’il a fabriqué notre réalité présente. Pourquoi ne pas décider d’en élaborer d’autres ?

Entre la perpétuation du consumérisme (la société de croissance), le transhumanisme (le progrès technologique sans limites) ou l’écologisme (le sens des limites de la planète), nous sommes face à un choix : quelle histoire allons-nous alimenter ? Quels pourraient être les ingrédients du récit écologique. Commençons par quelques généralités. Nous pouvons définir comme priorités le respect de l’équilibre naturel de notre planète, le fait de favoriser l’épanouissement de chaque être humain, de donner du sens à son existence. Nos récits doivent inclure tout ce qui peut nous permettre de ralentir, limiter ou arrêter la destruction des écosystèmes. Sus donc aux énergies fossiles, aux gaspillages de toutes sortes, à l’orgie de produits technologiques, à la surconsommation de viande, à tout ce qui demande de bétonner, de creuser des mines, d’émettre des gaz à effet de serre… Il est indispensable de construire la résilience de nos territoires d’appartenance. Par « résilience », j’entends leur capacité à encaisser les chocs sans s’effondrer. Ce qui veut dire produire un maximum de nourriture et d’énergie localement, développer la réparation, le recyclage, la fabrication artisanale… Il faut réguler les flux Internet, créer des monnaies locales, supprimer les taux d’intérêt et l’extension de la dette, choisir des batailles assez importantes pour compter, mais assez petites pour les gagner, utiliser la stratégie non violente. N’importe quel groupe sera toujours battu par la police ou l’armée s’il se place sur le terrain de la violence, la seule arme dont vous disposez est le nombre (ce qui passe aussi par la médiatisation de votre action). Une poignée de personnes bien organisées peut prendre le dessus sur des millions qui ne le sont pas.

Cyril Dion, « Petit manuel de résistance contemporaine » aux éditions Domaine du possible, mai 2018)

 

9 réflexions sur “Écologie : changer d’histoire pour changer l’histoire”

  1. Cher Biosphère,

    Je doute que l’on puisse se comprendre. Avant de parler des vraies idées, j’aimerais d’abord être sûr que vous compreniez comment Dion, qui dit ne pas etre écolo mais qui profite de la tragedie pour exister, empêche les vraies idées de surgir. Je ne crois pas que vous accepterez de comprendre ce point. Je vous donne un exemple, quand même, vous me direz…

    Je travaille dans une grande école formant très certainement de futures personnes à responsabilités. On est bien plus haut que 50% de mention très bien au bac. Je croise chaque semaine des parents d’élèves qui prennent des décisions globales dans leur boulot, qui impactent donc le monde entier, le climat, etc et qui … n’ont jamais entendu parler de la COP21 par exemple. Quand j’aborde ce sujet, ils ne savent pas de quoi cela à parler. Ils savent juste qu’un truc s’est passe a Paris et que cela ne valait pas la peine d’ecouter. J’imagine que cela doit vous étonner mais c’est cela la réalité du terrain. Quand on sort de la bulle de ce tout petit circuit de blog ecolo. La grande majorité, sans exagération, ne sait pas ce qui se passe et n’a pas à savoir. C’est comme cela. Vos idées ne les touchent pas, et pour cause, ces gens-là se développent, cherchent à développer leurs enfants, etc. Vos mots d’écolo passent par une oreille et sort directement par l’autre. L’idée n’accroche pas. Seule la catastrophe pourra les faire dévier. Pas vous. La catastrophe. Exactement comme Dion. Il ne fait dévier personne, c’est la catastrophe qui font vendre ses livres. Je pense que notre ministre Hulot est de meme.

    Continuons l’exemple. Dans cette école, on mange je pense une planète en un mois. C’est assez clair. À chaque vacance scolaire, tous les enfants partent en avion aux tropiques ou en haut d’une montagne à la mode. Les projets scolaires sont intercontinentaux et ceux « écolo » sont exactement comme Dion. Ils participent « à cette société qui nous conduit à la catastrophe ». Ici, on prend l’avion pour laver les cages des ourang outans orphelins, ici ils volent pour assister à la dernière assemblée de l’ONU. On peut aussi organisr des tournois de baskets europenes, avec voyages carbonees en exces. Les stage se font a New-York ou Tokyo. On se prend en selfie. Les femmes au foyer ont regardé le film « Demain » et ont monté un commité développement durable. On a changé les ampoules pour des trucs à basse consommation. L’école a reçu un label eco-ecole (quelle pourriture ce label!). La communauté utilise maintenant ce label pour sa pub et les anciens pensent qu’on est vraiment une école éco. Vraiment. Je ne mens pas. On mange une planète en un mois et on croit – vraiment- qu’on est eco grâce à l’impulsion de « demain ». L’argent que l’on va économiser avec les ampoules basses consommation va servir à nous développer, à construire un étage en plus, à acheter des photocopieuses. Le vrai résultat écolo est donc négatif évidemment. La prof de SES a bien tenté d’expliquer l’effet Jevons pour prouver à l’établissement l’absurdité du label et celui de changer les ampoules. L’établissement a fait avec elle exactement comme vous avec moi « Ne soyez pas anti-écolo ». Depuis, elle ne dit plus rien. Vous n’etes pas mes chefs. Ses chefs le sont. Elle n’a pas envie de perdre des points dans son dossier administratif. C’est éthiquement dégueulasse (on est dans une école où on doit former des futurs leaders et on empeche une vraie idée, l’effet Jevons, une idée universelle, vraie, fondée de surgir. On la jette car elle serait contre l’écologie en marche et les ampoules à basse energie. Voilà comment Demain a tué une vraie idée ici). Ce commité écolo greenwashe l’école et brainwashe les enfants. Il est à l’image de Dion qui tue la planète mais que le monde excuse on ne sait pourquoi. On prefere paraitre ecolo je pense. C’est l’écologie depuis 50 ans. Le meme chemin, le meme principe interne de greenwashing, jouant la tragedie et non la contrant.

    La vraie solution aurait été bien sûr pour l’école d’être éthique. Elle aurait dû demander aux enfants de penser par eux-meme au lieu de s’appuyer sur du greenwashing. L’école devrait dire combien elle consomme de planete par an au lieu de dire qu’elle est éco-école. Cela est une vraie idée. On s’appuye sur la vérité meme si elle fait mal à l’image de l’école (perso je ne crois pas que la verite puisse faire mal a l’image, au contraire, mais les dirigeants de l’école sont comme vous… la verite meme dite par la bouche de Dion, vous n’y croyez pas). C’est la seule façon d’éduquer les enfants de maniere juste. Ils grandiront en ayant conscience qu’ils detruisent la planète et non en s’imaginant qu’il la sauve.

    Et là je parle de mon école de personnes hyper-eduquées. Il est certain que cela se passe en pire dans les ecoles moins dotees. Elles n’aspirent qu’a nous doubler et à faire voyager leurs enfants le plus loin et haut possible. Elles sont pretes a faire comme Dion, à tuer la planete s’il le faut pour defendre leurs personnes et leurs idees. Je ne parle pas des profs venant des pays en voie de developpement. Ils ne croient ni au développement durable ni à l’écologie, ces idées inventées pas les occidentaux. Meme si leurs etudiants tueront la planete, ils veulent qu’ils atteignent les postes a pouvoir. Ils feront une entorse a l’ethique comme Dion le fait pour ecrire et vendre ses livres ou biosphere pour tenir ce blog.

    ….

    Une vraie idée est une idée qui ne se ment pas à elle-même. C’est une idée universelle et qui n’a pas besoin de la catastrophe pour convaincre les gens. Si vous ne l’avez pas, alors, vous pouvez bien gesticuler dans tous les sens, pendant toute votre vie, crier haut et fort… vous ne servait rien. C’est pour vous comme pour tous. Vous parlez de déconditionnement… pfuuu. ce discours est tout de même fou. Les parenst que je croise, les enfants que je vois ne sont pas conditionnés. Ils sont comme vous… sans vraies idées. Franchement…

    1. Merci de votre contribution. Votre établissement de grand standing pratique la dissonance cognitive, normal, on reflète l’ancien monde tout en (se) faisant croire qu’on a des idées nouvelles. Dans cette impasse contextuelle défavorable aux idées écolos, Cyril Dion, l’objet de notre amical litige, n’est qu’une étape ; il ne faut pas déconsidérer chaque marche qu’on monte, l’autre serait encore plus haute. Quant aux idées, elles ne sont jamais universelles, elles sont plus ou moins adaptées à la situation géopolitique et biophysique qui nous entoure… sachant que ce qui nous paraît bonne idée pour le court terme peut être pensée néfaste pour le long terme.

  2. Cher Biosphère,

    Ne cherchons pas à recentrer les débats sur moi en me comparant à quiconque. Je ne suis pas écolo mais je suis logique. Sincèrement, « je continue à participer à cette société qui nous conduit à la catastrophe » suffit à prouver que votre mode de pensée est du greenwashing. Pire, cela est éthiquement méprisable. Les solutions que Cyril Dion utilisent, sa vision du monde ne marche pas, elle capte juste les derniers rayons de soleil avant la catastrophe qu’elle entretient. Elle saisit ainsi votre soutien pour un résultat nul, à part vous faire croire que vous agissez, que vous avez un rôle. Vous n’arrêtez pas la tragédie, vous la jouez! Cyril Dion n’est pas un frère d’écologie mais un vendeur de livres, tragiques.

    Mon fils a un proverbe de cour de récré qui fonctionne bien : »c’est toi qui dit qui l’est! ». La poutre est chez vous. Pas une paille, une poutre. Quand Cyril Dion dit « je continue à participer à cette société qui nous conduit à la catastrophe », cela veut dire « je continue à participer à cette société qui nous conduit à la catastrophe ». Point barre. La poutre est donc dans votre œil. Et cela fait tant d’année que l’erreur est devenue votre nature, que vous contribuez à la catastrophe en croyant que non, en vous habillant d’écologie sans l’être, que vous retardez les vraies idées, celles applicables à tous et non celles de militants du régime que vous soutenez.

    J’ai tellement d’exemples à donner de personnes qui retardent les vraies idées en citant Dion et qui continuent à participer à cette société qui nous conduit à la catastrophe. C’est n’importe quoi et vous l’acceptez.

    1. Gilles, notre échange courtois me paraît important. Vous dites : « Vous retardez les vraies idées, celles applicables à tous et non celles de militants du régime que vous soutenez. »
      Nous aimerions connaître ce qui, selon vous, constitue « les vraies idées ». Merci de préciser…

  3. Gilles, regardons précisément ce qu’écrit Cyril Dion dans sa préface du livre de George Marshall « le syndrome de l’autruche » : « De mon côté, ai-je adopté un mode de vie en rupture totale avec le consumérisme ? Je ne peux pas vraiment répondre par l’affirmative, même si je suis végétarien, que je composte, que je prends majoritairement mon vélo… La réalité est qu’avec un certain nombre d’aménagements, je continue à participer à cette société qui nous conduit à la catastrophe. Or j’ai la particularité d’être un militant écologiste ! Imaginez donc le reste de la population… ».
    Cyril exprime seulement l’idée que c’est difficile d’être à 100 % écolo même si on fait des efforts, difficile en effet de faire une « rupture totale » ; tout le monde ne peut pas être Diogène et vivre dans un tonneau. Alors pourquoi, Gilles, vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère (en écologie), et n’aperçois-tu pas la poutre qui est (peut-être) dans ton œil ?

  4. Vouloir construire l’avenir des générations futures, c’est donc passer par un déconditionnement, construire comme le dit Cyril Dion ou Serge Latouche un nouvel imaginaire. Mais ceux qui fabriquent ce nouveau récit, que ce soit pas la simplicité volontaire, l’action associative ou l’entrisme politique sont très minoritaires et leur discours, souvent culpabilisant, est rejeté par la masse des gens, intoxiqués par le bien-être marchand. Dans ce contexte peu favorable, ce n’est pas l’imagination qui précède l’action, c’est la détérioration de nos ressources vitales qui nous obligera à changer de comportement.
    Nous retrouvons paradoxalement Karl Marx pour qui ce ne sont pas les idées qui changent le monde, c’est l’état de l’infrastructure matérielle. Sauf qu’il considérait seulement le facteur capital et le facteur travail, l’exploitation des travailleurs dans le système de production. A son époque, bercée par l’industrialisme naissant, la nature était encore considérée comme généreuse, aux ressources illimitées ; le facteur Terre n’entrait pas en ligne de compte. Aujourd’hui c’est la planète qui est surexploitée. Nous considérons que le nouveau grand récit en train de se concrétiser résulte de l’allié principal des écologistes, l’état (dégradé) de la planète. Celle-ci ne négocie pas et se fout complètement du sens que les humains veulent donner à leur existence. Mais ses paramètres biophysiques sont indispensables au bon fonctionnement du système socio-économique humain.

  5. Rappelez-moi, Cyril Dion, c’est bien le mec qui dit qu’il n’agit pas écolo, n’est-ce pas? Le suivre c’est donc comme vouloir apprendre le chinois d’un anglais qui ne parlant d’autre langue que la sienne. Ce n’est pas logique. Comment expliquer… C’est une tragédie en fait. C’est écrire et lire des trucs qui ne servent à rien mais qui nous font juste croire que la tragédie ne vient pas de nous.

    1. Gilles, tu dois faire une confusion avec Charles Gautier qui dans son commentaire sur Cyril Dion, dit de lui-même « je ne suis pas écolo ». Si on lit le dernier livre de Cyril Dion, il se revendique au contraire explicitement écolo : « Nous, écologistes, ne parvenons pas à faire passer notre message. Du moins pas suffisamment. Malgré tous nos efforts la situation ne cesse de se dégrader à une vitesse étourdissante » (Petit manuel de résistance contemporaine p.12).
      Gilles, tu critiques de façon déloyale une manière d’agir en attaquant la personne même de l’acteur. Par tes propos, tu nous sembles donc anti-écolo. Nous espérons que tu comprendras un jour comme Cyril Dion que nous sommes tous, qu’on le veuille ou non, sur le Titanic.

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