écologie et éthique

« Il existe plusieurs types d’approche à la question de la perte de biodiversité. Une approche éthique estime que les autres espèces ont un droit à l’existence, une valeur intrinsèque, et qu’elles devraient être respectées en tant que telles (ndlr, l’écologie profonde). De son côté une approche culturelle (ou esthétique) considère la biodiversité comme un patrimoine naturel, équivalent au patrimoine artistique de l’humanité ; puisqu’on dépense beaucoup d’argent pour préserver notre patrimoine artistique, pourquoi ne pas préserver également le patrimoine naturel dont nous avons hérité ? Une approche plus utilitaire, voire économique, met l’accent sur le fait que la biodiversité nous fournit tout un éventail de biens ayant des valeurs directes d’usage. Enfin il existe une approche plus écologique, que je vais développer ici, selon laquelle la biodiversité soutient des processus écologiques dont les sociétés humaines dépendent indirectement. (…)

 

Je ne veux pas opposer ces différentes perspectives, qui sont en réalité complémentaires. Toutefois, je voudrais mentionner qu’au départ mon point de vue ne s’inspire nullement de l’approche éthique, bien que ma perspective écologique aboutisse, en fin de compte, à des conclusions très proches. J’entends souligner par là qu’il n’est pas nécessaire d’adopter une position dogmatique sur le fait que les autres espèces ont une valeur intrinsèque ou qu’elles ont le droit d’exister. La perspective écologique aboutit au même genre de recommandations sur une base rationnelle, sans avoir besoin d’invoquer des arguments de ce type. L’éthique a certainement sa place, mais je pense qu’on peut la fonder sur des données scientifiques solides (…)

 

            La perspective écologique que j’ai développée sur une base scientifique aboutit finalement à une position philosophique assez proche de la perspective éthique, mais à partir de prémisses très différentes. Tout mon propos mène à la conclusion suivante : plutôt que de prétendre contrôler et maîtriser la nature à tout prix, les humains devraient apprendre à se reconnaître comme une partie consciente de la nature et à vivre avec la vie qui les entoure. Par conséquent, l’écologie scientifique appelle à une nouvelle relation entre l’humanité et la nature, qui accepte et même célèbre la diversité de la vie. C’est là que l’écologie rencontre l’éthique : une nouvelle éthique est nécessaire pour prendre en compte ces données de l’écologie scientifique. »

 

Loreau Michel,  Entretiens  du XXIe siècle, Signons la paix avec la Terre (éditions Unesco, Albin Michel, 2007) 

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