EELV, un parti politique sans légitimité institutionnelle

La Ve République s’est fondée à l’origine contre les partis, présentés comme des machines de conquête du pouvoir, par opposition à l’homme providentiel qu’incarnait le général de Gaulle. Et leur image n’a cessé de se dégrader, particulièrement lorsqu’il s’agit de qualifier le comportement des personnes qui y font carrière, leurs relations à l’argent et aux privilèges de leur fonction. Créer un parti écologique à partir de mouvements qui s’étaient majoritairement placés du côté de l’interpellation et de l’anti-système était donc un pari extraordinairement difficile.

Il n’y a pas vraiment de direction politique d’EELV. Le bureau exécutif composé aujourd’hui de 15 personnes n’a qu’un rôle en théorie assez administratif : l’expédition des affaires courantes et l’application des orientations décidées par le conseil fédéral. Le paradoxe est que les Verts sont un parti où on coupe les têtes mais où on laisse quelques personnes ayant accès aux médias parler pour tous et en désordre. Chez ses dirigeants, au mépris des valeurs affichées, l’individualisme est souvent forcené. Le comportement de leurs leaders politiques s’est tristement banalisé et leur force d’attraction programmatique a disparu. Il est de bon ton de claquer la porte du parti à intervalles réguliers devant les caméras. L’atomisation a repris de plus belle ces derniers mois, les divisions ont conduit à la création de plusieurs micro-partis politiques, sans véritablement d’assise électorale. Les Verts n’ont par ailleurs jamais réussi à être pleinement légitimes dans la représentation politique de l’écologie. Et le constat vaut pour les idées comme pour les personnes. Génération Ecologie les a concurrencés dès 1991, Cap21 de Corinne Lepage est devenu mouvement politique en 2000. Au sein des partis traditionnels, des personnalités ont développé une expertise sur les questions écologiques, ou lancé des courants comme le Pôle écologique au parti socialiste. Il y a un éloignement croissant entre la société et les Verts. Une société qui devient plus écologiste, des Verts taraudés par la question de l’accès au pouvoir. On survalorise l’importance des élections au détriment d’une stratégie d’influence et de conquête de la majorité culturelle. On ne peut compter sur les résultats électoraux pour asseoir l’influence de l’écologie politique. L’électorat écologiste est un cocktail inédit : deux électeurs sur cinq ne serait pas de gauche, la plupart seraient distants à l’égard d’un parti écologiste et marqués par une culture anti-étatique. Cet électorat refuserait le cumul des mandats et la professionnalisation.

C’est l’absence de choix entre deux scénarios qui explique la dégradation de l’écologie politique. Le premier aurait été de construire un vrai parti politique avec une ligne et une hiérarchie, en assumant deux ou trois orientations fortes justifiant l’accès aux responsabilités. Les propositions écologistes nécessitent une transformation profonde des modes de fonctionnement de la société. Or ce parti des Verts de culture libertaire a surinvesti de manière paradoxale les questions juridiques internes et développé une pratique de scribe sur la gestion des conflits. La vie interne des Verts ressemble ainsi trop souvent à une sorte de minuscule IVe République. Un deuxième scénario était possible, plus logique et plus réaliste. Celui de privilégier un mouvement politique ouvert sur la société, une organisation souple sur le modèle d’Europe Ecologie en 2009. C’est à travers une organisation préservant la diversité d’expression que l’écologie politique pourrait le mieux faire fructifier sa richesse. Accepter d’être un réseau, faire remonter les initiatives de terrain, arrêter de singer les grands partis politiques à bout de souffle et de projet, telle aurait du être la destinée des Verts. Pas un mini-PS, mais un grand mouvement sans frontières, fédérateur d’autres mouvement territoriaux ou engagés sur des sujets particuliers (énergie, biodiversité…). Lorsque les partis politiques ressemblent de plus en plus à autant d’astres morts, la construction d’un pouvoir d’influence de l’écologie politique devrait associer contenu programmatique et nouvelles formes démocratiques. Et cesser de se concentrer sur les figures obligées de la vie interne de partis désertés par leurs militants et leurs électeurs.

Texte (et titre) de Lucile Schmid, vice-présidente de la Fondation de l’écologie politique, dans son livre « La France résiste-t-elle à l’écologie ? », aux éditions Le Bord de l’eau 2016, 148 pages pour 14 euros