EHPAD, au royaume des mémoires mortes

Ils sont là, rassemblés, silencieux, bien plus de femmes que d’hommes. Ils ne bougent pas, ils ne se regardent pas, ils ne se parlent pas, les yeux tournés vers le vide de leur existence. Ils sont dans une section sécurisée dont ils ne peuvent sortir, ils sont dans l’unité Alzheimer. Ils sont dans un EHPAD, établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Ils ont un numéro défini par la grille AGGIR (autonomie gérontologie groupes iso-ressources). Ils sont parfois GIR 1, dépendance totale, mentale et corporelle. Les maisons de retraite se font rares, beaucoup de vieux restent chez eux. Mais les établissements médicalisés fleurissent dans toute la France.

Il y a là ces cerveaux en marmelade, démence vasculaire ou maladie neurodégénérative. Ils ne semblent pas souffrir ou sont perclus de douleurs. Ils prennent des médicaments qui soignent d’un côté mais détraquent de l’autre. Pour la plupart ils sont sous anxiolytiques et autres calmants, c’est si long de se voir mourir à petit feu. Parfois ils peuvent se déplacer, mais ne reconnaissent plus leurs proches. Ils sont retombés en enfance, ils portent des couches, on leur fait la toilette, on les couche. Le plus souvent la mémoire immédiate est morte et seuls les souvenirs les plus anciens préservés. On croit que ses parents sont toujours présents alors qu’on a déjà plus de 90 ans. Ils étonnent souvent par leur sens de la répartie entre deux somnolences. Ils peuvent sourire, ils peuvent se dire heureux. Mais ils sont si souvent angoissés à chercher en vain un père, une mère ou une sœur décédés il y a bien longtemps. Ils veulent retourner chez eux, s’inquiètent de ne pas arriver à l’heure « au travail ». Ils paniquent à constater qu’ils n’ont pas un sou sur eux, comment manger, comment se loger… alors qu’ils ont pris totalement en charge. Il faut leur expliquer sans cesse ce qu’on leur a déjà dit quelques instants auparavant. Chaque salarié fait pour le  « mieux », selon son âme et sa conscience. Mais il longe parfois un mur, les yeux baissés, pour enfin quitter son poste sans devoir épauler une dernière fois une errance mentale qui reprendra trois minutes après leur départ. La nuit la « résidence » change de visage, moins de personnels, plus de résidents errant… qui attendent la mort, une délivrance finale.

L’euthanasie est-elle possible dans un Ehpad ? Une aide soignante a provoqué des décès, elle devra être jugée. Pourtant il y a toute cette zone grise entre l’euthanasie de personnes conscientes en fin de vie dont le choix est clairement exprimée et ceux qui sont en coma cérébral dépassé. Difficile de définir dans quelle case il faut être pour remplir les conditions en Ehpad d’une aide au grand départ. A quel moment la personne peut-elle exprimer son désir de mourir quand elle ne sait plus son âge et ne retrouve plus son lit ? Est-ce par un refus alimentaire adresser à l’entourage et aux soignants ce message indirect, « Je me retire de ce monde » ? Le refus alimentaire est un comportement difficile à interpréter. Y a-t-il vraiment « refus d’acceptation », c’est-à-dire acceptation du terme de sa vie qui permet à la personne de se réapproprier sa fin de vie ? Est-ce de toute façon acceptable par les proches et les soignants ? Les pensionnaires d’un Ehpad peuvent être alités plusieurs mois sous morphine et le médecin référent prétendre être contre l’acharnement thérapeutique : pas de soins médicamenteux nouveaux, pas d’hospitalisation ! Tant qu’on est nourri, lavé, nourri artificiellement à la cuillère ou à la seringue … le corps résiste… le corps subsiste… l’esprit n’est plus.

Quel avenir offrons-nous à nos anciens ? Pour qui, pourquoi ? Pour permettre à des institutions de faire leurs choux gras, le fameux « or gris » qui tente les investisseurs ? Il est plus confortable de confier nos anciens à une structure extériorisée plutôt que de les garder avec nous en famille. La question de l’euthanasie en Ehpad pose en définitive la question de l’accompagnement de nos anciens. Nous ne sommes pas prêts à leur dire « adieu », mais nous les mettons à l’écart. Il est plus facile de prolonger une vie en gériatrie que d’y mettre un terme. En matière de fin de vie comme en bien d’autres matières, le problème de nos sociétés qui ont voulu s’affranchir de toutes les limites est de discerner maintenant où sont les limites. L’écologie nous donne les prémices du raisonnement : nous sommes poussière et nous retournerons poussière.

4 réflexions sur “EHPAD, au royaume des mémoires mortes”

  1. Alzheimer est une maladie terrible. Surtout quand les patients en arrivent au stade que vous évoquez. Avant d’en arriver là, nos aînés sont tout de même accompagnés en EHPAD : on essaye de leur proposer des activités, des animations, qu’ils prennent encore un peu de plaisir. Le sujet de la fin de vie est extrêmement compliqué, comme dit le commentaire au-dessus : qui prend la décision ? Comment vit-on « après » ? C’est sûr qu’on ne connaît pas (plus) l’état psychologique des résidents, passé un certain stade. C’est bien triste.

  2. Alzheimer est une maladie terrible. Surtout quand les patients en arrivent au stade que vous évoquez. Avant d’en arriver là, nos aînés sont tout de même accompagnés en EHPAD : on essaye de leur proposer des activités, des animations, qu’ils prennent encore un peu de plaisir. Le sujet de la fin de vie est extrêmement compliqué, comme dit le commentaire au-dessus : qui prend la décision ? Comment vit-on « après » ? C’est sûr qu’on ne connaît pas (plus) l’état psychologique des résidents, passé un certain stade. C’est bien triste.

  3. Besson-Morlière

    La fin de vie…qui prend la décision ? Nous pouvons tous écrire nos directives anticipées, et L’ADMD milite pour ce choix de fin de vie, mais en France, même si on n’est pas Alzheimer, que l’on a 100 ans et que l’on est cloué sur un fauteuil ou sur son lit, entièrement dépendant, qui et comment mesure la souffrance psychologique de cette personne ? Que faire ?

  4. Besson-Morlière

    La fin de vie…qui prend la décision ? Nous pouvons tous écrire nos directives anticipées, et L’ADMD milite pour ce choix de fin de vie, mais en France, même si on n’est pas Alzheimer, que l’on a 100 ans et que l’on est cloué sur un fauteuil ou sur son lit, entièrement dépendant, qui et comment mesure la souffrance psychologique de cette personne ? Que faire ?

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