En 2017, peut-être de Gaulle devenu Jaurès de l’écologie

Annonciateurs d’Apocalypse, vous êtes vraiment nuls. Où sont les millions de réfugiés climatiques ? Où est la pénurie de pétrole, alors que les cours du baril ont été divisés par cinq ? Où est l’explosion du prix du poisson, depuis le temps que l’on nous annonce que l’océan se vide ? De l’extrême gauche à l’extrême droite, ils sont tous d’accord : il y a peut-être un problème avec le pingouin sur la banquise, ce qui rend les enfants très tristes, mais cela ne concerne pas les affaires des grandes personnes, comme le chômage ou la compétition économique internationale. Nous vivons tous dans Second Life. Premier commandement de l’élu : « L’opinion en toute circonstance respecteras, et si l’opinion se fiche du long terme comme de l’an 40, alors du court terme uniquement te préoccuperas. » Il est vrai que le public a d’autres chats à fouetter. Quand on entre chez un marchand de journaux, la profusion des journaux saute aux yeux, sur la mode, sur les engins qui font broum broum, sur le dernier faits divers, sur les sudoku et mots croisés ou les magazines de fesses. La portion des présentoirs consacrée à l’écologie est proche du zéro absolu. D’ailleurs le magazine Terra eco est entré en liquidation judiciaire le 10 mars*.

Changement climatique, urgences sanitaires et environnementales, initiatives concrètes : le journal s’était voulu un défricheur, fort de la conviction que ces sujets allaient rencontrer un intérêt croissant. Badaboum, la culbute financière. Walter Bouvais, cofondateur du titre, s’en explique: « Tout le monde sait que les thématiques que nous portons sont majeures, mais cela ne se traduit pas forcément dans les actes. Notre histoire est emblématique d’une époque partagée entre la conscience que le monde doit changer et la force des résistances. » D’ailleurs le magazine titrait en mars 2015 : « Ecologie, pourquoi tout le monde s’en fout ».
Car c’est un fait. Les conférences sur l’environnement ont beau se multiplier, les rapports alarmants s’accumuler, qui, tous, font craindre une catastrophe écologique globale, la mobilisation de chacun face à ces cris d’alar­me reste dérisoire. Effectuée en mars 2015 par BVA, une étude d’opinion révélait que la lutte­ contre le réchauffement est une priorité pour seulement 13 % des sondés, très loin derrière celle qui doit être menée contre le chômage (60 %), contre le terrorisme (41 %) ou pour la défense du pouvoir d’achat (36 %).
Pourquoi un tel décalage ?**

En raison, d’abord, de la difficulté du sujet. Parce qu’elle interagit avec le champ des sciences, de l’économie, des questions sociales, l’écologie nécessite, pour être intelligible, un vocabulaire et des connaissances complexes. En raison, aussi, de l’énormité du problème. « L’urgence écologique mobilise peu parce que les causes de ce qui nous arrive sont lointaines et invisibles. Parce que cela demande de s’in­téresser aux inégalités. Parce que c’est un sujet de guerre, qui implique d’accepter les situations de conflit – par exemple, entre l’énergie nucléaire et les énergies alternatives. C’est donc un sujet qui rend fou », résume le sociologue et philosophe Bruno Latour. D’autant plus, ajoute-t-il, qu’il aurait fallu agir contre le réchauffement climatique dès les années 1980, et qu’il est désormais trop tard pour éviter des conséquences graves. Le déni de réalité est alors une attitude courante. Surtout lorsque domine le sentiment d’impuissance. « Ce qui nous fait vraiment bouger, c’est d’être confronté à un danger sensible et immédiat. Les représentations abstraites, elles, n’ont guère d’influence sur notre conduite », souligne Dominique Bourg. Enfin à quoi bon agir si les grands de ce monde ne le font pas ? Quand le citoyen apprend que Volkswagen truque ses moteurs diesel, quand la COP21 ne débouche que sur des recommandations, la tentation est grande d’envoyer tout promener.

Osons le dire : celui ou celle qui arrivera à la présidentielle 2017 avec les idées claires sur la contrainte des ressources naturelles, et qui aura un bon programme pour y répondre, avec un mélange de souffle nouveau et d’efforts pour chacun, celui-là ou celle-là pourrait être audible. Osons le dire : il nous faut un nouveau de Gaulle devenu Jaurès de l’écologie.

* LE MONDE éco&entreprise du 12 mars 2016, « Terra eco » dit adieu à ses lecteurs

** LE MONDE culture&idées du 4 décembre 2015, L’écologie, j’y pense et puis j’oublie

3 réflexions sur “En 2017, peut-être de Gaulle devenu Jaurès de l’écologie”

  1. … peut-être n’est-ce qu’une question de génération ? Quand on a biberonné toute sa vie au pétrole et au gaspillage, pas facile de prendre conscience …

    [le poisson sait-il ce qu’est l’eau ? ]

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