En marche… vers la sobriété partagée

La sobriété est devenue une nécessité absolue… qui reste pourtant l’angle mort de notre société de consommation.

Claire Legros : La « tempérance » ou « frugalité » ou « modération » est une notion ancienne, qui s’enracine dans les grandes traditions philosophiques et religieuses. Elle était perçue comme « une évidence », dans des sociétés « soumises aux contraintes matérielles », où les populations s’organisaient « pour répartir des sources d’énergie peu abondantes, gérer la pénurie pour se chauffer, s’alimenter, se déplacer, ou produire des biens », rappelle François Jarrige (« Sobriété énergétique, un nouvel oxymore ? ». C’est seulement à partir du XVIIIe siècle qu’émerge l’idée que la Terre est exploitable, qu’il suffit de la creuser pour en extraire une énergie abondante. Se déploie alors « un nouvel imaginaire où l’émancipation et la réalisation de soi passent par un progrès technologique sans limite, qui pourvoit à la satisfaction matérielle de tous les désirs », analyse Barbara Nicoloso, autrice d’un Petit traité de sobriété énergétique. Au XIXe siècle, la sobriété devient même une idée rétrograde, « un signe de misère ou de retard ». Ce récit se renforce tout au long du XXe siècle jusqu’à l’avènement de la société de l’hyperconsommation et du tout-jetable…

Lire, Dans les entrailles de la machine mondiale à expresso

La « chasse au gaspi », lancée par Valéry Giscard d’Estaing en 1979 après les chocs pétroliers, apporte la preuve qu’une stratégie politique de rationnement est possible. Mais comment faire la part entre les besoins fondamentaux et ce dont on peut se passer, alors que la sociologie montre que cette distinction est culturelle et non universelle ? Comment définir un accès équitable à l’énergie et aux biens quand une large part de la population vit déjà une sobriété qu’elle n’a pas choisie ?

À connaître, « âge de pierre, âge d’abondance »

Marc Campi et Guillaume Flament : Il devient évident que le réchauffement climatique oblige les pays à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). La question aujourd’hui est de savoir s’il va être possible d’assurer la décroissance des émissions de GES sans altérer le potentiel de croissance de l’économie : c’est la notion de « découplage absolu ». Cette notion est centrale car, si la baisse d’émissions de GES devait se traduire par une baisse de l’activité économique, la transition climatique se heurterait potentiellement à des réticences insurmontables des populations. Or la productivité globale des facteurs augmente (et donc la croissance économique) lorsque les consommations d’énergie augmentent ; à l’inverse, la productivité globale des facteurs décroît (et le PIB se contracte) lorsque les consommations d’énergie décroissent… Le défi principal est de savoir comment les humains vont réduire leur consommation d’énergie d’ici à 2050 : soit ils inventent un modèle économique capable de combiner croissance et réduction de la consommation d’énergie (le découplage absolu), ce qu’ils n’ont jamais réussi à réaliser depuis le début de l’ère industrielle ; soit il va falloir accepter la décroissance et apprendre à la gérer sans faire exploser le pacte social, ce qui est un défi tout aussi considérable. Le troisième chemin serait de renoncer aux engagements de l’accord de Paris, et d’accepter que les températures augmentent au-delà des 1,5 ou 2 degrés, au mépris des générations futures.

Lire, Sobriété ou Nucléaire, E. Macron a tranché

Michel SOURROUILLE : On ne peut mesurer l’influence que chacun de nous est susceptible d’exercer sur les autres. On ne sait jamais quand s’amorce une réaction en chaîne. Mais n’oublions jamais que notre société n’est que la somme de toutes nos actions individuelles de producteurs, de clients, d’amis, de parents. Cessons d’attendre que le système change, changeons nos comportements pour que le système change. L’action qui déclenche l’effet domino a besoin que chacun de nous pour que la réaction en chaîne se produise. Mais la sobriété volontaire n’est qu’un premier pas, les politiques publiques doivent soutenir le mouvement général de basculement. Pour faire passer la purge des économies d’énergie, non seulement les politiciens devraient imposer un revenu maximum admissible (3 fois le salaire minimum par exemple), mais ils devraient rendre obligatoire la lecture à l’école de livres comme No Impact man.

Lire : 2022, le revenu maximum autorisé au programme

He jean Passe : C’est pas si compliqué on laisse les énergies fossiles sous-terre et l’humanité se débrouille avec la force musculaire, le solaire, l’hydroélectrique… Les humains seront moins riches, les pauvres devront élever moins d’enfants et nous tâcherons tous d’avoir à manger, à boire… et à faire la fête !

Dans les archives du blog biosphere :

15 décembre 2020, La sobriété ne suffit pas vu notre nombre

26 janvier 2017, Notre défi, 100 % de sobriété énergétique en 2050

30 mars 2011, sobriété volontaire ET forcée !

13 janvier 2009, sobriété énergétique ?

10 réflexions sur “En marche… vers la sobriété partagée”

  1. Il faut évidemment décroître, il n’y a pas d’alternative, la biosphère ne peut supporter la trajectoire actuelle, mais il ne faut pas en sous estimer la difficulté.
    Les revenus de beaucoup d’entre nous dépendent largement de la production de biens et de services que nous considérons comme non essentiels. Supprimer ces biens et services, c’est supprimer les revenus de ceux qui les produisent. C’est pourquoi parfois je suis moins sévère que certains commentaires sur l’attitude de nos dirigeants (sur ce point en tout cas), comment peuvent-ils dire à la population, on va supprimer vos activités ? C’est très difficile naturellement

    1. Parti d'en rire

      Et c’est pourquoi nos «dirigeants» laissent cette difficile tache à Janco et Compagnie.
      ( Jancovici nous pousse hors zone de confort )
      Parce qu’il faut préciser que le think tank de Janco pense et en même temps aux emplois de demain. Vraiment, il est formidable notre Janco ! Dommage qu’il ne soit pas candidat. 🙂

    2. Le dernier rapport du Shift Project vient de sortir, il nous promet tout plein d’emplois. Extrait d’un article publié sur actu-environnement.com le 11 novembre 2021
      ( [Pollutec] Vers une transition écologique avec l’emploi comme moteur ? )
      – « En effet, selon le rapport, la transition écologique – et donc économique – sera responsable de la suppression de 800.000 emplois et de la création de 1,1 million de postes supplémentaires d’ici à 2050 […] D’après les estimations du Shift Project, la demande de main-d’œuvre augmentera de 75 % dans le secteur agricole d’ici à 2050 et entraînera l’addition nette de 540.000 nouveaux emplois[…] De la même manière, le besoin croissant en termes de rénovation énergétique des bâtiments aboutira à la création d’au moins 90.000 emplois […] Enfin, dans les secteurs de la mobilité, la transformation vers une économie décarbonée bénéficiera surtout aux industries ferroviaires et du vélo [etc.]»

      1. Parti d'en rire

        Eh oui, et finalement tout se tient. La Transition va effectivement supprimer des emplois, mais à côté de ça elle va en créer bien plus. Remarque, il n’y a pas que Janco qui le dit. Le plus important c’est pas de sauver le Climat, c’est de sauver le Système. Au lieu de se faire un pognon fou en nous vendant des bagnoles, les Peugeot et Compagnie s’en feront tout autant en nous vendant des vélos. Des vélos et des brouettes et des charriotes et des binettes et en même temps. Et Total se fera un max du blé en se reconverdissant dans la production et la vente d’avoine pour les chevaux de traits. Pour les fers c’est pas encore décidé.
        L’est-y pas belle la décroissance à Janco ?

  2. Esprit critique

    – « Mais comment faire la part entre les besoins fondamentaux et ce dont on peut se passer, alors que la sociologie montre que cette distinction est culturelle et non universelle ? »

    Déjà en faisant la part entre besoins, désirs et envie. Et en se référant à la pyramide des besoins (Maslow). On comprend alors que la sobriété ne peut porter que sur ces besoins autres que physiologiques (respirer, boire, manger, dormir etc.)
    Or nous savons qu’un drogué ne peut pas se passer de sa drogue, il en absolument besoin pour vivre. Même s‘il sait qu’elle le tue à petit feu. Son seul salut (même s’il ne sera que temporaire, nous devons tous mourir un jour ) c’est le sevrage. Or, comment un alcoolique pourrait-il réussir à se sevrer s’il continue de fréquenter les bars peuplés d’alcooliques ?

    1. Esprit critique

      La sobriété ne peut donc passer que par l’ARRÊT de tout ce qui nous invite et nous pousse à consommer, à aller plus vite, plus loin, à être comme on voit à la Télé etc.
      Finalement l’ARRÊT de tout ce qui nous maintient dans ce cercle infernal de dépendance. La drogue étant ici le toujours plus, la frime, le prestige etc.
      La sobriété passe donc par l’ARRÊT de la Publicité et de la Compétition, sous toutes leurs formes. Et comme bien entendu il n’en est pas question… tout ce qu’on pourra dire ensuite ne peut-être que du bla-bla.

  3. Esprit critique

    – « Pour faire passer la purge des économies d’énergie, non seulement les politiciens devraient imposer un revenu maximum admissible […] mais ils devraient rendre obligatoire la lecture à l’école de livres comme No Impact man.» (Michel Sourrouille)

    Oui bien sûr. On peut dire tout ce qu’on veut, en attendant l’éducation reste la Base.
    L’éducation, c’est à dire l’enseignement et l’apprentissage. De ce qu’est l’énergie, la sobriété, l’hubris… et tant d’autre choses. Mon dieu que de choses à apprendre !!! Et pas seulement du côté de nos chères petites tête blondes. L’éducation, autrement dit aussi, le Déformatage. La Dépollution, la Décolonisation des imaginaires, etc. Et là, particulièrement du côté des plus pollués, les vieux cons.
    Oui bien sûr ce livre… mais combien d’autres ?

  4. Ce n’est pas voir le mal partout que de douter des intentions du Monde («le quotidien des affairistes Niel-Pigasse et Kretinsky») quand celui-ci semble vouloir nous inviter à la sagesse. Comme ici en nous donnant des leçons de tempérance, de frugalité, de modération, bref de sobriété. N’oublions pas que, comme dans les arts martiaux, le Capitalisme a cette formidable capacité à s’emparer de tout ce qui lui fait obstacle, de le transformer (le recycler) pour s’en servir à son avantage.
    Même affublée de l’étique «durable», la croissance ne peut être éternelle. Même peinte en vert, la croissance reste la Croissance. Le Business reste le Business et le Pognon reste le Pognon. Confrontés à la Réalité nos «grands penseurs» (bien payés pour ça) en sont donc aujourd’hui à se demander comment ils pourraient combiner Croissance et… sobriété.

    1. Leur problème aujourd’hui ce sont les idées défendues par les Décroissants, parmi lesquelles la sobriété. La Croissance Sobre et le Capitalisme Sobre sont dans les tuyaux, ils devraient sortir sous peu. En attendant, les marchands de salades continuent à nous vendre le «renouvelable», le «durable», le «découplage absolu» et j’en passe.
      François Jarrige se demande si la «sobriété énergétique» ne serait pas, par hasard, en train de devenir un nouvel oxymore. Jarrigue dit «Pourtant, la sobriété a des significations floues et ambiguës». Partant de là tout est possible, et il est en effet fort possible que la boulimie et/ou l’alcoolisme deviennent la sobriété. Et qu’un cercle devienne un carré, que la Bêtise devienne la Sagesse etc. etc.

      1. Le 15 DÉCEMBRE 2020 À 17:36 (Biosphère : La sobriété ne suffit pas vu notre nombre) j’avais ébauché ce qu’allait devenir la sobriété :
        – « Tant qu’on en sera à penser qu’être sobre […*] se limite à «seulement» 2 planètes au lieu de 4… à «seulement» 250 esclaves 24H/24 au lieu de 500… à trier ses déchets et fermer le robinet lorsqu’on se brosse les dents… alors c’est sûr, cette la «sobriété» là ne règlera pas le Problème.»

        […*] : « et je pense que je le suis » … écrivait Biosphère.

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