Eugénisme, améliorer notre espèce ?

Michel Sourrouille, auteur en 2017 du livre « On ne naît pas écolo, on le devient », a décidé avant de mourir de partager sa pensée avec tous les Internautes qui fréquentent ce blog biosphere. La parution se fera chaque jour pendant les mois de juillet et août. Il dédie ce livre aux enfants de ses enfants, sans oublier tous les autres enfants… car nous partageons tous la même maison, la Terre, si belle, si fragile…

Eugénisme, engendrer de bonne façon est-il condamnable ?

En avril 1970, je lisais avec curiosité un livre de Jean Rostand. Son discours n’était pas politiquement correct, et c’est un euphémisme.

« Nos sociétés donnent la possibilité de survivre et de se reproduire à des milliers d’êtres qui eussent été autrefois implacablement éliminés dès le jeune âge. La fécondité des idiots est très sensiblement supérieure à celle des individus normaux et les avantages sociaux ou financiers font plus pour unir les humains que la beauté du corps ou la finesse de l’esprit. La diminution de la mortalité infantile, les vaccinations généralisées entraînent un affaiblissement de la résistance moyenne de l’espèce. Grâce à l’obstétrique, des femmes deviennent mères malgré un bassin trop étroit, et grâce au lait stérilisé, nourrices, en dépit de glandes mammaires insuffisantes. Il s’ensuit un avilissement progressif de l’espèce. Les tarés, les débiles et les criminels encombrent les hôpitaux, les asiles et les prisons. Tandis que les superstructures spirituelles et sociales deviennent sans cesse plus pesantes, leurs fondations organiques perdant en solidité. Donc par l’effet de la civilisation, nul progrès à espérer pour l’animal humain, mais une décadence à craindre. » [Jean Rostand, L’Homme (Gallimard, 1940/1961)]

Cette liberté d’opinion ferait scandale aujourd’hui. Mais j’estime qu’il y a une part de vrai dans ces propos. La mort devient parfois une valeur préférable à la vie car certaines existences ne méritent pas d’être vécues. En 1978, j’attendais un enfant. La mère travaillait dans un institut médico-pédagogique, entourée de mongoliens et autres anomalies. Elle était terrorisée à la possibilité de mettre un enfant anormal au monde. J’ai alors pensé sincèrement que si mon enfant à naître ne pouvait être autonome, je l’aurais avec amour doucement étouffé sous un oreiller. Je n’ai pas eu à le faire…

Selon la thèse de Darwin sur la sélection naturelle, une partie seulement des naissances atteignent l’âge de la reproduction car seuls les mieux adaptés résistent. Mais comme les humains modifient leur milieu pour améliorer leurs moyens d’existence, ils étendent indûment leur capacité à se reproduire et il leur faut alors construire socialement leur propre conception de la sélection ; en empêchant la nature de faire son œuvre de sélection, on devient alors responsable de ses propres critères d’expansion démographique. Peu d’intellectuels défendent aujourd’hui ce point de vue, mais ils existent. Lors d’un entretien interpersonnel tenu le 16 mars 2011, Alain Hervé m’avait confié :

« L’homme est dangereux, l’homme est un désastre. On échappe aux régulations naturelles comme les épidémies, c’est la survie à n’importe quel prix. Je considère même Pasteur comme l’ennemi de la civilisation. Il a éliminé la fièvre puerpérale, il a circonscrit la mort naturelle, il a rompu l’équilibre démographique. On peut me traiter d’antihumaniste lucide, l’humanisme qui donne la priorité absolue à l’homme, ne me satisfait pas. L’humanisme consiste à nous faire accéder à des stades supérieurs d’intelligence. Maintenant les hommes qui naissent n’accèdent pas vraiment à l’état humain, ce ne sont que des esquisses, ils en restent à un état infra-animal. »

Composé à partir de « eu » (bien) et « genos » (race), il s’agit avec l’eugénisme d’améliorer l’espèce humaine au travers de ses gènes. L’humanisme actuel est encore totalement opposé à cette option ! Il est vrai que si l’eugénisme est un concept agréable, l’histoire humaine l’a rendu dangereux en parlant de race supérieure et autres errements. Aujourd’hui notre connaissance croissante du génome humain permet de mesurer de façon plus précise les difficultés à venir de la personne à naître. Dans la pratique déjà, le monde développé se lance en silence dans l’éradication programmée du mongolisme. Depuis la découverte en 1959 des bases chromosomiques du mongolisme, la diffusion généralisée dans la population des acquis de la génétique favorise le consensus sur une interruption thérapeutique de grossesse. L’amniocentèse permet de vérifier la constitution des chromosomes, elle est systématiquement proposée en France aux femmes de plus de 38 ans, le taux de trisomie 21 augmentant avec l’âge de la mère. Si la décision d‘avorter passe en France par le libre choix de la femme, on sait que 90 % décident l’élimination s’il y a trisomie. Il s’agit donc d’un eugénisme « démocratique ».

 Un certain nombre de pays ont même des dispositions législatives autorisant la stérilisation à des fins de sélection. C’est le cas de la Chine qui a adopté en  1994 une loi destinée à améliorer la « qualité » des nouveau-nés. L’article 8 indique : « Le bilan de santé prénuptial doit comporter l’examen des maladies suivantes : les maladies génétiques grave ; les maladies infectieuses désignées et tout sorte de maladie mentale pertinente. » Et l’article 10 : « Après avoir effectué ce bilan de santé, le médecin doit l’expliquer et donner un avis médical à l’homme et à la femme auprès desquels il a diagnostiqué une maladie génétique. Ce couple peut se marier si tous deux acceptent de recourir à des moyens contraceptifs pendant une longue période ou de subir une opération assurant leur stérilité. »

Cet interventionnisme de l’État peut ouvrir la porte au totalitarisme, il doit être solidement encadré. La démocratie est toujours confrontée à des principes contradictoires, liberté individuelle ou contrainte collective. La délibération démocratique tranche… jusqu’à la prochaine délibération. L’eugénisme est une option, comme l’euthanasie.

(à suivre… demain sur ce blog biosphere)

Déjà paru :

On ne naît pas écolo, on le devient, introduction

Abécédaire, la façon la plus simple pour s’y retrouver

Abeille, qui ne pique que si on l’embête

Abondance, s’éloigne dès qu’on lui court après

Absolu, un mot à relativiser, un mot indispensable

Acteurs absents, dont on a eu tort d’ignorer l’existence

Adolescence, moment de révolte ou de soumission ?

Alcool, dur pour un écolo de refuser de trinquer !

Amour, une construction sociale trop orientée

Animal, une facette de notre humanité trop ignorée

Austérité, mot qui fait peur et pourtant source de bonheur

Barbe, un attribut des hommes qu’on voulait faire disparaître

Cannabis, une dépénalisation qui créerait l’usage

Chasse, activité dénaturée par des chasseurs motorisés

Compétition, système inhumain au service d’une société inhumaine

Croissance, l’objectif économique le plus débile que je connaisse

Démographie, le problème central qui est systématiquement ignoré

Devoir, la contre-partie nécessaire de nos droits

Doryphore, symbole d’une agriculture post-moderne

École obligatoire et gratuite, une entreprise de déculturation

Écologiste en devenir, notre avenir commun

Électricité, les inconvénients d’un avantage

Ethnologie, la leçon primordiale des aborigènes

12 réflexions sur “Eugénisme, améliorer notre espèce ?”

  1. Eugénisme est naturel et s’effectue depuis l’éternité de manière naturelle par de nombreuses espèces, y compris humaine. Tout simplement parce que les femmes choisissent leurs hommes, en écartant de s’accoupler avec des hommes ayant des tares ! De nombreux animaux, les mâles s’affrontent pour s’accoupler avec la femelle, le meilleur mâle étant celui qui s’accouplera. Bon puis, on a des zozos aux idéologies bien connues, viennent nous prendre la tête avec l’eugénisme soit disant affreux, tout simplement parce que des femmes veulent utiliser des outils scientifiques pour procréer, bref des femmes utilisent des outils supplémentaires pour y parvenir c’est tout, mais même sans les outils scientifiques elles procèdent déjà à l’eugénisme…

    1. A travers les millénaires, le quotient intellectuel du cerveau humain n’a cessé de croître ! Comment pensez vous que cela a été rendu possible ? Il est évident que les accouplements se sont produits en écartant les plus idiots, du moins le plus souvent possible. Donc même si les gènes ne pouvaient pas encore être perçus au microscope lors des siècles précédents, instinctivement les humains se sont accouplés en écartant les moins performants.

    2. Parti d'en rire

      – « Tout simplement parce que les femmes choisissent leurs hommes, en écartant de s’accoupler avec des hommes ayant des tares ! »
      Super cette théorie ! Voilà donc qui pourrait expliquer la misère sexuelle de certains. Pour commencer, faudrait déjà savoir qui choisit qui dans cette affaire. C’est Lui ou c’est Elle ? Jean Rostand a dit : « le mieux que nous puissions faire pour avoir des enfants réussis est de bien choisir leur mère. » C’est qui nous ? Jusqu’à preuve du contraire, deux mâles comme deux femelles ne peuvent pas faire d’enfant. Ni même un loupé… Donc je suppose qu’il s’adresse là aux hommes, leur conseillant de bien choisir. C’est donc aux hommes que revient l’immense honneur de choisir, avec toutefois le risque de se planter. De toutes façons, si le gosse est loupé, ce sera seulement la faute à pas de chance. Si ce n’est de la mère.

      1. En attendant, le Jean Rostand, lui, eh ben ils l’ont super bien réussi.
        Au moins lui, ils ne l’ont pas loupé. Comme d’autres avec certains.
        C’est qui ils ? Ben, c’est son père bien sûr, qui a super bien choisi. À moins, à moins, je ne voudrais blesser personne, que ce soit sa mère… qui a eu un bon flair. Quoi qu’il en soit le hasard, qui a voulu que ce rejeton devienne écrivain, moraliste, biologiste, historien des sciences et académicien français… Et à la fin on dira que ce type a bien réussi. Misère misère !

  2. Des mots qui puent !

    – « La multiplication contre nature et de plus en plus rapide des faibles d’esprit et des malades psychiatriques, à laquelle s’ajoute une diminution constante des êtres supérieurs, économes et énergiques, constitue un danger pour la nation et pour la race qu’on ne saurait surestimer… Il me semble que la source qui alimente ce courant de folie devrait être coupée et condamnée avant que ne s’écoule une nouvelle année. » ( Winston Churchill, 1910 )

    1. – « L’eugénisme était pratiqué par les Grecs, à l’époque de Périclès, de façon naturelle et inconsciente : aujourd’hui, il doit tenir un rang élevé dans les préoccupations des peuples civilisés. L’hygiène et la médecine ont manqué de sagesse, elles ont permis et encouragé la reproduction des faibles, des malades, des dégénérés ; aussi, le nombre des dégénérés augmente-t-il sans cesse. L’eugénisme est donc devenu indispensable au salut de la race blanche. » (Réflexions sur la conduite de la vie, Alexis Carrel, 1950)

    2. Misère misère

      Notons que ces deux-là, qu’on ne peut a priori considérer comme des imbéciles (ou des dégénérés…) se basent sur les poncifs plus que douteux : «êtres supérieurs» , «peuples civilisés», «race», «race blanche» …

      – « Notre racisme n’est agressif qu’à l’égard de la race juive. Nous parlons de race juive par commodité de langage, car il n’y a pas, à proprement parler, et du point de vue de la génétique, de race juive […] La race juive est avant tout une race mentale […] Une race mentale, c’est quelque chose de plus solide, de plus durable qu’une race tout court. Transplantez un Allemand aux États Unis, vous en faites un Américain. Le Juif, où qu’il aille, demeure un juif. C’est un être par nature inassimilable. Et c’est ce caractère même qui le rend impropre à l’assimilation, qui définit sa race. Voilà une preuve de la supériorité de l’esprit sur la chair !» (Testament politique d’Hitler)

    3. D'un autre côté

      – « Jour après jour, sournoisement, sans que personne y trouve à redire, et parce que la vie a perdu son sens, l’euthanasie et son compagnon l’eugénisme frayent leur voie, sans coup férir, sans guerre déclarer, et sans camp à ouvrir.»
      ( Journal atrabilaire – Jean Clair, 2006 )

      – « Elle [la médecine] va de plus en plus prévoir et prévenir. La tendance va s’accélérer. Mais le début de la prédiction, c’est quand même de le faire in utero, de sélectionner entre guillemets les bons bébés par rapport aux mauvais. Ca se fera pendant la grossesse comme ça se fait déjà pour le mongolisme. On voit bien qu’on a mis le doigt dans l’engrenage. En Suisse, comme en France ou en Belgique, la quasi-totalité des enfants trisomiques sont avortés, ce qui est stricto sensu de l’eugénisme et de l’eugénisme intellectuel.»
      (La médecine va de plus en plus prévoir et prévenir – Laurent Alexandre, 2011)

  3. Esprit critique

    Question : « Eugénisme, engendrer de bonne façon est-il condamnable ? » (Biosphère)
    « L’eugénisme est combattu pour des raisons d’ordre moral, religieux ou social. » (La Toupie)

    Déjà, on peut dire que c’est toujours pour les mêmes raisons que les gens s’entretuent.
    Et que l’eugénisme c’est comme le reste, on est POUR ou on est CONTRE. Misère misère !
    En attendant, le combattre c’est le condamner, c’est juger qu’il n’est pas bon.
    «Bien naître» ne serait donc pas bon, pas bien …
    Mais c’est quoi «bien naître» ? Nous voilà donc bien avancés.

    1. Je conseille la page Wikipédia sur le sujet (Eugénisme).
      – « L’étymologie du mot « eugénisme » est grecque : eu (« bien ») et gennaô (« engendrer »), ce qui signifie littéralement « bien naître ». Ce néologisme a été utilisé pour la première fois en 1883 par le Britannique Francis Galton, cousin de Charles Darwin par le biais d’Erasmus Darwin. La préoccupation de Galton pour l’amélioration de l’espèce humaine précède néanmoins largement l’invention de ce terme. […] L’eugénisme ou le galtonisme est souvent amalgamé au spencérisme. »

    2. – « Inquiétude de la dégénérescence. Pour le philosophe Jean-Paul Thomas, «l’eugénisme […] est habité par l’obsession de la décadence» […]
      Jean Rostand, dans L’Homme, mentionne que le pays qui se dotera d’une politique eugéniste (ce sera le cas par exemple de Singapour) prendra selon lui une avance rapide sur les autres, puis se rabat philosophiquement sur une position plus modérée : « le mieux que nous puissions faire pour avoir des enfants réussis est de bien choisir leur mère ». » (Wikipédia)

      C’est quoi être en avance ? C’est être et faire comme Singapour. Misère misère !
      Sérieusement… c’est quoi des enfants réussis ? C’est quoi une bonne mère ? Et le père là dedans ? Mais c’est quoi bien naître !!?? Mais qui peut le dire !!??
      Je dirais que c’est que c’est comme bien mourir… que ce n’est pas évident à dire.
      En attendant, entre naître et mourir il y a vivre. Et c’est quoi bien vivre ?

    3. Et ça c'est ben vrai ça !

      – « Soit dit en passant, ça me fait bien rire cette sélection à la naissance. La science parvient à donner aux parents un enfant sans le moindre défaut physique, mais elle est incapable de produire un être moralement acceptable. » (La Porte des anges, la morsure du temps, tome IV, Michael Dor, éd. Médiaspaul, 2009, p. 194 )

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