Faire « tourisme et découvertes » sans prendre l’avion

No Fly Climate Sci, Hypocrites in the Air ou Labos1.5 en France, des collectifs de chercheurs visent à limiter les déplacements aériens académiques*. Il en est des savants comme des touristes aux antipodes et tant de commerciaux, l’avion est à la mode. Tout ce beau monde devrait savoir que les climatologues remettent en question cette addiction au kérosène. Le pire, c’est quand des climatologues prennent eux-mêmes l’avion. L’Anglais Kevin Anderson, ancien directeur du Tyndall Centre**, sort du lot par sa réticence à prendre l’avion quel qu’en soit le motif. Son public lors d’une récente conférence en Chine fut stupéfait d’apprendre qu’il était venu (et repartirait) en train. Il est persuadé que cette information a renforcé la légitimé de ce qu’il avance. Anderson juge « extrêmement perturbant » le fait que les personnes qui façonnent les lois contre le changement climatique prennent autant l’avion. D’après Anderson, les experts semblent penser que la sagesse qu’ils répandent sur la Terre depuis leur siège en première classe à 10 000 mètres d’altitude est si importante qu’elle pèse plus lourd dans la balance que leurs propres émissions de gaz à effet de serre. Ils ne comprennent pas que le problème est causé par des gens comme eux. (extrait du livre de George Marshall, « Le syndrome de l’autruche »)**.
Mais ce journaliste avoue aussi ses manques : « Moi aussi je prends souvent l’avion. J’essaie de voyager le moins possible et de justifier chacun de ces vols. Mais comme le révèle le verbe justifier, je suis aussi enclin à bâtir une histoire susceptible de résoudre le conflit intérieur qui sourd en moi chaque fois que je prends place dans un avion. Les justifications de nos voyages personnels sont aussi semblables à celles que les toxicomanes inventent au sujet de leur dépendance : j’en ai besoin, je ne fais de mal à personne, tous les autres le font, je peux m’arrêter à tout moment, d’autres font bien pire. Mais les experts du changement climatique ne sont pas des êtres humains comme les autres en ce qui concerne un aspect essentiel : ils sont les principaux communicants sur cette question, et leurs actions seront toujours passées à la loupe comme preuve de leur fiabilité. » Le raisonnement est parfait, puisse tous ces toxicomanes de l’avion en prendre conscience et culpabiliser chaque fois qu’ils s’élèvent dans les airs. Voici comme complément d’analyse les réactions sur le monde.fr à l’article* sur les scientifiques qui s’envoient en l’air :
Alp25 : Ce grand chercheur à l’EHESS (ndlr : Jean-Baptiste Fressoz, auteur de l’article) ne doit certainement pas être chercheur en statistiques, car pour UN voyage de chercheur français en avion, combien y a-t-il de voyages vers la France pour des touristes chinois, américains, russes, etc…
relations publiques : Très grand nombre de « colloques » et « séminaires » qui pourraient être remplacés par des échanges par Skype ou par des mails. Mais cela donne le sentiment d’être très occupé et important.
Marik : Et de faire un peu de tourisme, visite, dégustations, rencontres…. Pour être savant, on n’en est pas moins humain !
HADI RIZK : Rabelais, Montaigne, Descartes, Montesquieu, et bien d’autres, mettaient en relation le voyage et la vie de l’esprit. Il serait regrettable qu’à force de parler de la planète, on en vienne à oublier que c’est le monde qui est l’horizon de l’existence humaine, celle-ci ne pouvant être enfermée dans le local parce qu’elle se nourrit de cosmopolitisme. Et la grandeur de l’esprit est de n’être point enraciné comme une plante, ni confiné à un territoire, comme l’animal.
Michel SOURROUILLE : Hadi Rizk, la grosse différence entre les « tours d’Europe » de Montaigne ou Montesquieu, c’est qu’ils se passaient à l’époque à pied ou à cheval, très faibles émissions de gaz à effet de serre… complètement recyclées. Ce n’est pas le cas des voyages en avion aujourd’hui, avec impact climatique… Et Malthus en 1803 a fait le tour du monde plusieurs fois uniquement en lisant les récits des quelques explorateurs de l’époque !
Jean-Baptiste Fressoz : Buffon, le plus grand naturaliste de son temps, qui décrit tous les animaux du monde, reste claquemuré dans le Muséum d’histoire naturelle. Bien sûr, si ces savants peuvent rester aussi statiques, c’est parce qu’autour d’eux, tout bouge. De la Compagnie des Indes orientales aux missionnaires jésuites, ce sont ces grands réseaux de la première mondialisation, transportant les marchandises, les spécimens et les informations, qui révolutionnent la botanique, la zoologie, la géographie, l’hydrographie, la météorologie et jusqu’à la physique mathématique ; qui rendent, en somme, possible l’avènement de la science moderne.
* LE MONDE du 4 avril 2019, « Faut-il prendre l’avion pour être savant ? »
** Tyndall Centre, laboratoire britannique en pointe sur les questions de climat
** http://biosphere.blog.lemonde.fr/2018/01/01/biosphere-info-le-syndrome-de-lautruche/
George Marshall, « Le syndrome de l’autruche (Pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique) » aux éditions Actes sud/colibris (2017), traduit de Don’t Even Think About It (2014)

4 réflexions sur “Faire « tourisme et découvertes » sans prendre l’avion”

  1. Le titre : Faire « tourisme et découvertes » sans prendre l’avion …

    FAIRE du tourisme, FAIRE des voyages, FAIRE les soldes, FAIRE de la musique, de la politique, du pognon, du shoping, de la montagne, du kite-surf etc. etc. FAIRE l’intéressant, FAIRE l’âne et j’en passe. J’ai FAIT le Mont Blanc, moi Monsieur ! J’ai FAIT les USA en 15 jours ! Allez on s’appelle, on SE FAIT un ciné, une bouffe, et après on ira SE FAIRE des tas de gonzesses.

    FAIRE me fatigue. AVOIR me pèse. Et si nous pensions un peu plus au verbe ÊTRE ?

    En nous disant par exemple : je SUIS un misérable, je SUIS un pauvre type, etc.

  2. @ Didier Barthès

    Beaucoup de gens me font rire, lorsqu’ils me disent « J’aime voyager, je suis un vrai baroudeur, un authentique voyageur, alors que dans les faits, ils se font juste téléporter d’un A à un point B, juste quelques heures de procédures de téléportation, à peine sorti de l’avion ils exécutent les mêmes habitudes qu’à la maison, ils vont d’une chaîne d’hôtel à une autre, un centre commercial à un autre, les mêmes restaurants et fast food que chez eux. Bref, leur voyage consiste juste à faire un selfie devant un monument, histoire de pouvoir crâner en rentrant devant leurs collègues et proches, à coup de « J’aime le voyage pour y découvrir d’autres cultures » MORT DE RIRE ! Leurs conversions avec un autochtone d’un pays à juste consisté à parler en anglais médiocre pour demander la direction des toilettes ou le prix d’un bibelot industriel reproduisant plus ou moins fidèlement un monument. Bref, cramer du kérosène juste pour ça ! Alors que les générations futures auront besoin de cette ressource pour des besoins plus important (comme les soins médicaux par exemple, mais pas uniquement, pour surmonter d’autres coups durs). En résumé, je suis exaspéré !

  3. Absolument Bga80, je veux bien reconnaître à l’avion un certain charme, celui quasiment magique de voler (encore que quand on est dans la rangée du milieu d’un jet à 9 places de front, on est plutôt dans un autobus clos et pressurisé), par contre il n’a pas celui de voyager.

  4. Sans doute parce que j’aime la poésie; mais j’ai toujours pensé, que le vrai tourisme, le vrai voyage, consiste à vivre le trajet de manière authentique, pour y découvrir les paysages et les cultures sur mon chemin, et non pas d’être téléporté d’un centre commercial à un autre par des avions.

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