fin de la croissance, émergence de l’écologie profonde

LE MONDE Economie&entreprise nous révèle parfois des surprises, ainsi cet excellent article de Jean-Pierre Dupuy sur la (dé)croissance*. En résumé :

« Nous ne parlons pas, avec la croissance du PIB, d’une variable d’état, comme la croissance d’un arbre ou celle d’un enfant, mais d’une variable de flux. La croissance économique, c’est l’accélération d’un cycle de consumations toujours recommencé. Il ne subsiste rien du pain que j’ai mangé ni les kilomètres que j’ai parcourus ; tout a été englouti dans le grand métabolisme avec la nature. Rien de ce que nous pouvons fabriquer et accumuler (en capital) ne comblera la partie du stock donnée par la nature. Par contre un enfant qui grandit reste lui-même tout en devenant plus fort… La Croissance est sans objet, elle est aussi sans fin. Elle n’a pas de terme assignable, on la désigne par un pourcentage. Il serait divertissant de supposer que la taille d’un être humain croît normalement d’autant plus qu’elle est déjà forte, et cela sans limite. La Croissance est aussi sans fin au sens qu’elle n’a pas de finalité. On lui a reconnu des finalités successives, le bonheur, puis l’emploi. Il s’agit aujourd’hui de rembourser la dette. On s’enfonce dans le dérisoire. La Croissance est sans objet, ni fin, ni finalité… Est-ce à dire qu’elle est privée de sens ? Tant le marxisme que le libéralisme ont rêvé de ce moment où tous les besoins humains seraient satisfaits. Cette croyance a depuis longtemps fait place à une autre, qui accepte que l’idée même de terme est dépourvue de sens : c’est la foi en la Croissance. Avec la Croissance, l’économie est devenue l’Etoile, qui n’est notre guide que parce qu’elle recule à mesure que nous avançons. Pour Elias Canetti, « La masse a besoin d’une direction », d’un but qui soit donné « en dehors de chaque individu », « identique pour tous » : peu importe alors ce qu’il est, « du moment qu’il n’est pas encore atteint ». La Croissance sans objet et sans fin a rempli assez bien ce programme pendant de nombreuses années. Aujourd’hui, l’Etoile s’est éteinte. Sans sacré ni Croissance, qui ou quoi pourra satisfaire le désir d’Etoile et d’infini qui est en nous ? »

Nous avons une réponse à cette dernière question, l’écologie profonde. La crise des conditions de vie sur Terre peut nous aider à choisir une nouvelle voie avec de nouveaux critères écologiques. Nous, qui sommes responsables, nous avons la capacité intellectuelle de réduire notre nombre consciemment et de vivre dans un équilibre durable et dynamique avec les autres formes de vie. Nous, êtres humains, pouvons saisir la diversité de notre environnement et en prendre soin. Le terme d’écologie profonde a été introduit par Arne Naess dans un article de 1973 « The shallow and the deep, long-range ecology movements ». Il a formulé avec George Sessions une offre de « plate-forme de l’écologie profonde » en huit points :

I) les principes

1) le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque (en eux-mêmes). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains.

2) la richesse et la diversité des formes de vie contribuent à l’accomplissement de ces valeurs et sont également des valeurs en elles-mêmes.

3) sauf pour la satisfaction de leurs besoins vitaux, les hommes n’ont pas le droit de réduire cette richesse et cette diversité.

II) le problème

4) l’interférence actuelle des hommes avec le monde non-humain est excessive et la situation s’aggrave rapidement.

III) les solutions

5) l’épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non-humaine requiert une telle diminution.

6) les politiques doivent changer, elles doivent affecter les structures économiques, techniques et idéologiques. La situation qui résultera du changement sera profondément différente de la situation actuelle.

7) le principal changement idéologique consistera en la valorisation de la qualité de la vie plutôt que de toujours promouvoir un niveau de vie supérieur.

8) ceux qui adhèrent aux points précités ont obligation de tenter de mettre en place directement ou indirectement ces changements nécessaires.

* LE MONDE du 10 septembre 2013, La « Croissance » sans fin