Débat sur l’antériorité de l’individu… ou de la société

Je pense avoir fini ma maturation psychologique pendant l’année 1972, j’ai 24-25 ans. Je sais maintenant de façon théorique qu’il faudrait changer la société, mais je sais aussi par expérience que changer les gens n’est pas gagné par avance. Pourquoi ? Chacun joue un rôle social, il se comporte par rapport à ce que les autres attendent de lui. Il ne pratique pas l’acte juste, il respecte le jeu social. Plus tard je mettrai un mot sur ce déterminisme, l’interaction spéculaire : je fais parce que tu fais ainsi parce que nous faisons tous de même. Cette explication sociologique permet d’enterrer le vieux débat épistémologique sur l’antériorité de l’individu ou de la société. L’un et l’autre se renforcent mutuellement car je me représente la manière dont les autres se représentent les choses et moi-même. « Je donne le bon exemple » n’est un message positif que si un grand nombre de personnes font ainsi. Sinon je vais suivre le mauvais exemple !

La boucle est bouclée. La dépendance matérielle est corroborée par l’obligation qui est faite aux individus d’intérioriser ou d’admettre le bien fondé de nos structures socio-économiques. L’institution provoque une coupure entre l’idée que se fait l’individu de l’acte juste et ce qu’impose à l’individu la préservation de l’institution. L’homme est dans un corset très serré, division extrême du travail, distinction poussée entre ville et campagne, transport individualisé et polluant, exploitation de l’ouvrier dans la fabrication d’automobiles. Chacun de nous est compromis… Difficile alors de trouver les moyens de sa liberté. Tout dépend de notre attitude dans les différentes institutions que nous traversons. L’action qui déclenche l’effet domino a besoin que chacun de nous se positionne dans la bonne ligne pour que la réaction en chaîne se produise dans le bon sens.

Le plus important se trouve donc dans l’éducation. Mais il ne s’agit pas d’apprendre à lire, écrire et compter. Ces « fondamentaux » sont presque anodin par rapport à la possibilité de former sa propre pensée pour acquérir son autonomie et le sens collectif. Or cela, on ne l’apprend ni à l’école, ni en fac. Je recherchais la réalité dans les interstices de mes cours. Ricardo était « un esprit puissant mais obscur qui, il en fait d’ailleurs l’aveu, ne s’est pas toujours compris lui-même ». Stuart Mill a écrit des choses sublimes, genre : « L’appréciation comparative du moraliste n’a rien à faire en économie politique. Mais s’il n’y avait pas d’autre alternative, on choisirait le communisme avec tous ses risques plutôt que l’état présent où le produit du travail est distribué en raison inverse de la peine prise (…) La concurrence est pour le présent une nécessité indispensable au progrès, mais la coopération est le plus noble idéal, l’émulation fraternelle pour la poursuite du bien de tous. » (à suivre)

NB : pour lire la version complète de cette autobiographie, ICI