Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere.
Désacraliser la mort
Quelques idées générales : Notre société « moderne » a un rapport à la mort complètement décalé : personne ne doit mourir ! On réalise des guerres « zéro mort », on soigne le moindre bobo à coup de médecin et d’hôpital, on fait survivre les vieux au-delà de leur force, on rêve à la vie éternelle. On oublie simplement que la mort et la vie sont intimement liés. La mort ne doit pas faire peur. Eugénisme, suicide, euthanasie, tout est possible quand c’est mûrement réfléchi. Loin des religions, ma pensée est pragmatique : je suis poussière et je retournerais poussière, ma mort n’est qu’un épiphénomène des grands cycles naturels, il me faut célébrer le recyclage des corps.
En avril 1970, je lis avec curiosité un livre de Jean Rostand, « L’homme », écrit en 1940 : « Nos sociétés donnent la possibilité de survivre et de se reproduire à des milliers d’êtres qui eussent été autrefois implacablement éliminés dès le jeune âge. La fécondité des idiots est très sensiblement supérieure à celle des individus normaux et les avantages sociaux ou financiers font plus pour unir les humains que la beauté du corps ou la finesse de l’esprit. La diminution de la mortalité infantile, les vaccinations généralisées entraînent un affaiblissement de la résistance moyenne de l’espèce. Grâce à l’obstétrique, des femmes deviennent mères malgré un bassin trop étroit, et grâce au lait stérilisé, nourrices, en dépit de glandes mammaires insuffisantes. Il s’ensuit un avilissement progressif de l’espèce. Les tarés, les débiles et les criminels encombrent les hôpitaux, les asiles et les prisons. Tandis que les superstructures spirituelles et sociales deviennent sans cesse plus pesantes, leurs fondations organiques perdent en solidité. Donc par l’effet de la civilisation, nul progrès à espérer pour l’animal humain, mais une décadence à craindre. »
Cette liberté d’expression, exprimée en 2023, ferait scandale. Mais il y a du vrai dans les propos de Jean Rostand. Selon la thèse de Darwin sur la sélection naturelle, une partie seulement des naissances atteignent l’âge de la reproduction car seuls les mieux adaptés résistent. Mais comme les humains modifient leur milieu et fabriquent aujourd’hui une grande partie de leurs moyens d’existence, ils étendent indûment leur capacité à se reproduire et il leur faut alors construire socialement leur propre conception de la sélection ; en empêchant la nature de faire son œuvre de triage, on devient alors responsable de ses propres critères d’expansion démographique. Peu d’intellectuels ont intériorisé ce jugement. L’humanisme actuel, même s’il est plutôt favorable à l’euthanasie active, est encore totalement opposé à l’eugénisme ! Personnellement je soutiens tout ce qui facilite la décroissance démographique du moment que c’est démocratiquement discuté et appliqué de façon individualisée, au cas par cas. Eugénisme à la naissance, euthanasie en fin de vie et même suicide me semblent des choix courageux quand ils sont assumés en toute conscience.
L’eugénisme est un concept agréable que l’histoire humaine a rendu dangereux. Composé à partir de « eu » (bien) et « genos » (race), il s’agit d’améliorer l’espèce humaine au travers de ses gènes. Le projet du fondateur de l’eugénisme, Francis Galton, se résumait en une phrase : « Se débarrasser des indésirables et multiplier les désirables ». C’était une définition trop vaste et d’autant plus condamnable. Nous étions au début de l’ère victorienne, alors que la science génétique n’existait pas encore… On rêvait d’améliorer les lignées humaines comme le font les horticulteurs et les éleveurs. Au cours du XXe siècle, dans des pays très divers, on a voté pour un eugénisme négatif qui vise à empêcher les « dégénérés » de se reproduire : plus de 50 000 personnes furent stérilisés aux Etats-Unis entre 1907 et 1949, des criminels, des faibles d’esprit, des pervers : dans le Dakota du nord et l’Oregon, la sodomie était un motif suffisant. Un rapport du tribunal municipal de Chicago, en 1922, classe parmi les personnes susceptibles d’être stérilisées les tuberculeux, les aveugles, les sourds, ainsi que les orphelins, les bons à rien, les gens sans domicile et les indigents. Le nazisme n’a fait que reprendre une méthode à la mode… Je répète, cet eugénisme-là est condamnable.
Maintenant, notre connaissance croissante du génome humain permet de mesurer de façon plus précise les difficultés à venir de la personne à naître. L’eugénisme positif vise à sélectionner et à produire des êtres conformes à des normes, par exemple la santé de l’espèce. C’est un eugénisme bienveillant quand il laisse la liberté aux couples. Il s’agit d’éviter la venue au monde d’enfant malades ou handicapés et cela s’inscrit donc dans une logique thérapeutique. Il ne s’agit pas de la quête de l’enfant parfait, mais de l’enfant normal, capable d’un développement à l’égal des autres humains. Dans la pratique déjà, le monde développé se lance en silence dans l’éradication programmée du mongolisme. Depuis la découverte en 1959 des bases chromosomiques du mongolisme, la diffusion généralisée dans la population des acquis de la génétique favorise le consensus sur une interruption thérapeutique de grossesse. L’amniocentèse permet de vérifier la constitution des chromosomes, elle est systématiquement proposée en France aux femmes de plus de 38 ans, le taux de trisomie 21 augmentant avec l’âge de la mère. Cela passe aujourd’hui dans le libre choix de le femme dont on sait que 90 % décident d’éliminer l’enfant trisomique 21. Il s’agit d’un eugénisme démocratique, même si au nom de la liberté individuelle, on laisse tout le poids de la culpabilité à l’individu.
Mais soyons réaliste : quand un enfant est né quai-anencéphale, sourd et presque aveugle comme j’ai pu le constater chez un couple d’amis, c’est la société qui devient en charge d’une existence que les parents ne sont pas en mesure de supporter moralement, matériellement ou durablement. Le geste médical d’un eugénisme pourrait alors sortir du cadre de la stricte relation familiale pour servir une politique collective de régulation du retard mental et d’éradication des maladies génétiques. Un certain nombre de pays ont aujourd’hui des dispositions législatives autorisant la stérilisation à des fins de sélection. C’est le cas de la Chine qui a, en 1994, adopté une loi destinée à améliorer la qualité des nouveau-nés. L’article 8 indique : « Le bilan de santé prénuptial doit comporter l’examen des maladies suivantes : les maladies génétiques grave ; les maladies infectieuses désignées et tout sorte de maladie mentale pertinente. » Et l’article 10 : « Après avoir effectué ce bilan de santé, le médecin doit l’expliquer et donner un avis médical à l’homme et à la femme auprès desquels il a diagnostiqué une maladie génétique. Ce couple peut se marier si tous deux acceptent de recourir à des moyens contraceptifs pendant une longue période ou de subir une opération assurant leur stérilité. »
Mais comme cet interventionnisme de l’État peut ouvrir la porte au totalitarisme, il doit être solidement encadré. (la suite, demain)
Si tu ne veux pas attendre demain, à toi de choisir ton chapitre :
Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde
Chacun a le droit d’exprimer les idées les plus dérangeantes du moment qu’elles sont bien argumentées.
Merci à Michel Sourrouille de remuer nos méninges !
C’est sûr que les articles de Michel Sourrouille sont d’excellents exercices pour remuer ses méninges et parfaire son auto-défense intellectuelle.
Hier ON a désacralisé l’humanité, aujourd’hui c’est au tour de la mort.
Pour moi, désacraliser la mort revient à désacraliser la vie. La vie et la mort d’un être humain, ça va de soi. Désacraliser la mort c’est renier cette pratique (tradition) multimillénaire qui veut que Sapiens, comme Neandertal avant lui, respecte les corps de ces défunts. Autrement dit c’est enterrer le culte des morts. Désacraliser la mort c’est ramener l’Homme au stade bestial, l’éloignant ainsi de ce Sapiens enfin digne de ce nom. Désacraliser la mort c’est ouvrir la porte au Grand N’importe Quoi. C’est ouvrir la porte de ces ignobles composteurs qui deviennent à la mode ici ou là. Comme ces capsules d’euthanasie au design futuriste qui font rêver certains. Continuons sur cette voie et sous peu ON bouffera des capsules Soleil Vert. Les plus gros misérables se régaleront de croque-môsieurs et madames. ( à suivre )
Aujourd’hui le sacré s’applique à tout et n’importe quoi, le Pognon, la Bagnole etc.
Et finalement il n’y a plus rien de sacré. Qu’à cela ne tienne, ON veut désacraliser la vie, la mort, l’Homme et l’humanité. Grande Confusion et Grand N’importe Quoi ne sont que les symptômes du nihilisme de notre époque décadente.
ON a perdu la Boussole et ON en crève. Misère misère !
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– « Après avoir effectué ce bilan de santé, le médecin doit l’expliquer et donner un avis médical à l’homme et à la femme auprès desquels il a diagnostiqué une maladie génétique. Ce couple peut se marier si tous deux acceptent de recourir à des moyens contraceptifs pendant une longue période ou de subir une opération assurant leur stérilité. » (article.10)
Tout le monde aura compris que l’article 9 indique que seuls les couples mariés ont le droit de procréer. ( à suivre )
Bonjour donc le Permis de Procréer. Dont seront exclus les dégénérés.
Puis les «dégénérés», les mal-pensants, tous les malades et «malades», sans oublier les pauvres n’ayant pas les moyens d’élever correctement leur progéniture.
Et tout ça pour le Bien Commun. Le Meilleur des mondes quoi.
Oui je sais, ON va encore me parler de la pente glissante.
Un comble vu ce qu’ON s’applique à préciser en suivant :
– « Mais comme cet interventionnisme de l’État peut ouvrir la porte au totalitarisme, il doit être solidement encadré. »
C’est bien joli tout ça, c’est très politiquement correct… en plus ça ne mange pas de pain. Ça me fait penser aux chartes éthiques, à ces belles déclarations, à ces promesses électorales etc. Bref du vent, du trompe-couillons.
À partir du moment où la porte du totalitarisme est ouverte… et a fortiori quand il est déjà bien installé… comment pourrait-ON solidement encadrer ça ?