Le pape François contre l’arme nucléaire

Le chef de l’Eglise catholique a délivré à Nagasaki, le 24 novembre 2019, son « message sur les armes nucléaires ». Ce texte proclame l’illégitimité morale de la possession même de ces armes, de la dissuasion, et appelle les États qui en sont dotés à engager des négociations en vue d’un désarmement total. Le pape jésuite introduit une rupture dans le discours de l’Eglise catholique. Elle considérait la dissuasion nucléaire comme un moindre mal, transitoire. Le 7 juin 1982, en pleine crise des euromissiles, Jean Paul II avait ainsi résumé cette acceptation conditionnée : « Dans les conditions actuelles, une dissuasion basée sur l’équilibre, non certes comme une fin en soi, mais comme une étape sur la voie d’un désarmement progressif, peut encore être jugée comme moralement acceptable. » Mais lors d’un symposium sur le désarmement le 10 novembre 2017, le pape François posait les fondements de sa doctrine personnelle : « Il faut condamner fermement la menace de leur usage ainsi que leur possession, précisément parce que leur existence est liée à une logique de la peur qui ne concerne pas seulement les parties en conflit, mais tout le genre humain. »

Le pape François estime que les États concernés ne font plus d’efforts pour appliquer l’article 6 du traité de non-prolifération (TNP), signé en 1968, selon lequel les Etats s’étaient engagés à négocier en vue du désarmement. Pour lui, « on ne construit pas la paix sur la peur que l’on crée en montrant sa force. Or, avoir des armes nucléaires, c’est menacer de s’en servir. On ne peut donc se contenter de mettre en cause la dissuasion. Il faut aussi mettre en cause leur possession ». Dans une initiative politique sans précédent, sa diplomatie, qui privilégie d’habitude le statut d’observateur, s’est impliquée en faveur du traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), conclu en 2017 et signé par 122 Etats – mais par aucun possesseur officiel ou officieux de l’arme nucléaire. Des représentants d’États nucléaires ont glissé au Vatican que l’Eglise n’avait peut-être pas une vision complète des impératifs de la sécurité. « Le pape leur pose cette question : au nom de quoi peut-on dire que le nucléaire donne la sécurité ? », rétorque Marc Stenger, coprésident de Pax Christi International. Mgr Duffé » Le représentant d’un gouvernement nous a dit : il vous manque une pensée de l’ennemi. Je lui ai répondu : qui est l’ennemi ? Si c’est le terrorisme international, pensez-vous que l’arme nucléaire vous permette de lutter contre ? »

Le message de François a une vocation universelle. Il s’adresse non aux seuls catholiques, mais à toute l’humanité, comme l’encyclique sur le climat Laudato Si’ (2015). Pour le pape argentin, les thématiques du désarmement et de l’environnement sont liées. « Dans Laudato Si’, il y a l’idée d’un parallélisme entre le développement intégral, le désarmement intégral et l’écologie intégrale »

Sur ce blog biosphere, nous avons toujours analysé l’armement nucléaire comme dénué de fondement stratégique au niveau militaire tout en prenant les populations civiles en otage puisqu’il s’agit d’anéantir des villes entières. Envisager un hiver nucléaire sur la planète est d’ailleurs hisotriquement à la source des conceptualisations de l’effondrement possible de notre civilisation. Voici un récapitulatif de nos écrits antérieurs:

25 septembre 2019, Pour un désarmement nucléaire

24 mars 2019, Le nucléaire, inacceptable dans un pays démocratique

23 janvier 2018, NI dissuasion nucléaire, NI service national universel

10 octobre 2017, La folie du feu nucléaire entretenue par un journaliste

30 mars 2017, Les présidentiables face au feu nucléaire

29 septembre 2016, Politique de défense en accord avec l’écologie politique

21 février 2015, François Hollande fait joujou avec la bombe nucléaire

16 juillet 2014, L’art de ne pas répondre… sur le nucléaire militaire

21 mars 2014, Un gouvernement français de tout temps pro-nucléaire

27 juin 2012, supprimer la dissuasion nucléaire, alléger le budget !

23 juillet 2011, les socialistes sont pro-nucléaires

1er juillet 2011, Eva Joly contre le désarmement nucléaire

31 octobre 2011, la bombe atomique n’est pas écolo

19 juillet 2011, la dissuasion nucléaire, un débat pour 2012

18 mars 2011, Fukushima et la bombe atomique

25 mars 2008, la bombe, assurance vie d’une nation ?

4 réflexions sur “Le pape François contre l’arme nucléaire”

  1. Le pape François parle tout simplement comme un sage. Les armes nucléaires ne garantissent absolument pas une quelconque sécurité, au contraire leur seule présence représente un terrible danger. La dissuasion nucléaire repose sur la peur de l’apocalypse, or si cette peur disparait alors c’est la porte ouverte au désastre.
    L’anthropologue Alain Bertho vient de publier une tribune intitulée « L’effondrement a commencé. Il est politique». Voici ce qu’il dit à la fin :

    – « Ce qui fait l’Humanité, pour l’anthropologue que je suis, c’est sa conscience d’elle-même et sa conscience du temps, sa capacité à rêver, à espérer, à inventer, à s’inventer sans cesse. Le consentement aux pouvoirs s’alimente toujours d’une espérance ou d’une peur et d’une promesse ou d’une crainte d’avenir. La mobilisation politique capte les rêves autant que les colères. Or ni les pouvoirs ni les partis ne sont aujourd’hui en capacité de dessiner un futur. Et tandis que « en raison de l’indifférence générale, demain est annulé » les peuples, comme le peuple chilien peuvent aussi crier « ils nous ont tout volé, même la peur ». Si aujourd’hui gouverner s’apparente de plus en plus à la guerre, c’est que cette abolition de l’avenir est en train de rendre les peuples ingouvernables.
    L’enjeu d‘aujourd’hui n’est donc pas tant de sauver coûte que coûte la démocratie représentative que de réunir le peuple et les peuples dans la recherche d’un avenir commun, d’une éthique commune du vivant dans l’apocalypse qui commence.
    Alors que des États délégitimés se maintiennent aujourd’hui par des stratégies de peur, de division et de guerre qui sont des stratégies destructrices de ce qui constitue la singularité de l’Humanité, les soulèvements donnent à voir chacun à leur façon des logiques instituantes de rassemblement.
    […] L’effondrement qu’on nous annonce a déjà commencé. Et c’est sur ce terrain, la politique, qu’il se manifeste aujourd’hui à l’échelle planétaire. Les soulèvements ne sont pas la cause de cet effondrement. Ils en sont le symptôme et peuvent en être l’antidote salutaire.»

  2. En 1139, sous le pontificat d’Innocent 2, le concile de Latran 2 condamnait l’usage de l’arc et de l’arbalète contre les chrétiens. En 2898, nos descendants se battront avec des haches de pierre et quelques arcs.
    Vu notre passé empli de bruits énormes et de fureurs aveugles, le futur de l’espèce humaine est malheureusement prévisible. Mais au moins sur ce blog biosphere, nous auront fait tout ce qu’il est possible à notre échelle pour qu’il n’en soit pas ainsi…

  3. – A Nagasaki, le pape François a affirmé : « Un monde sans armes nucléaires est possible et nécessaire… Ces armes ne nous défendent pas des menaces contre la sécurité nationale et internationale de notre temps. » Il a ajouté :  « La paix et la stabilité internationales sont incompatibles avec toute tentative de compter sur la peur de la destruction réciproque ou sur une menace d’anéantissement total », en demandant à ce que leur soient substituées la « solidarité » et « la coopération » entre des Etats conscients de leur « interdépendance ».
    A Hiroshima, le pape François a déclaré : «  Au nom de toutes les victimes des bombardements et des expérimentations atomiques, ainsi que de tous les conflits élevons ensemble un cri : plus jamais la guerre, plus jamais le grondement des armes. » Puis François a prononcé une condamnation du nucléaire militaire : « L’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est aujourd’hui plus que jamais un crime, non seulement contre l’homme et sa dignité, mais aussi contre toute possibilité d’avenir dans notre maison commune. Nous aurons à en répondre. Les nouvelles générations se lèveront en juges de notre défaite si nous contentons de parler de paix sans le traduire concrètement dans les relations entre les peuples de la terre. Comment pouvons-nous parler de paix en construisant de nouvelles et redoutables armes de guerre ?  »
    François a aussi repris un parallèle déjà établi par ses prédécesseurs entre les moyens investis dans l’armement, qui seraient autant de ressources détournées du développement. Il y a ajouté une troisième composante, celle de la préservation de la planète. « L’argent de la course aux armements pourrait être utilisé pour la protection de l’environnement naturel… Dans le monde d’aujourd’hui, où des millions d’enfants et de familles vivent dans des conditions inhumaines, l’argent dépensé et les fortunes gagnées dans la fabrication, la modernisation, l’entretien et la vente d’armes toujours plus destructrices sont un outrage continuel qui crie vers le ciel. »

  4. Au comble de l’absurde, les forces françaises amorcent un doublement de l’effort financier annuel consacré à l’arme nucléaire. L’investissement sera de 23 milliards entre 2019 et 2023. Il s’agit de moderniser missiles et systèmes de transmission et de lancer la réalisation des futurs sous-marins lanceurs d’engins.
    Il est vrai que le débat moral est faible en France, cette force s’est construite comme la condition de la souveraineté française face aux grandes puissances. Tous les présidents de la république depuis de Gaulle, toutes étiquettes confondues, ont favorisé l’armement nucléaire.

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