Georgescu-Roegen, la question démographique

Une aile du mouvement de défense de l’environnement soutient que le problème de la croissance démographique n’est qu’un croquemitaine agité par les nations riches afin de masquer leurs propres abus écologiques. Pour les tenants de cette opinion, il n’y a qu’un mal, à savoir le développement inégal. D’autres font valoir en sens inverse que la croissance de la population est le mal le plus menaçant pour l’humanité et qu’il doit être traité d’urgence. Comme il fallait s‘y attendre, ces deux opinions opposées n’ont cessé de s’affronter en controverses inutiles et même violentes, ainsi qu’on a pu le constater notamment lors des conférences de Stockholm sur l’environnement en 1972 et lors de la conférence de Bucarest sur la population en 1974. Il est vrai que la différence de progression des nations riches et des nations pauvres est un mal en soi ; bien qu’étroitement liée à la croissance démographique continue, elle doit être traitée aussi pour elle-même. Bien entendu les pays qui connaissent à présent une très forte croissance démographique devront faire des efforts tout particuliers pour obtenir aussi vite que possible des résultats dans la décroissance démographique.

L’humanité devrait diminuer progressivement sa population jusqu’à un niveau où une agriculture organique suffirait à la nourrir convenablement. Étant donné l’éventail existant des plantes vertes et leur distribution géographique à n’importe quelle époque, la capacité de charge biologique de la Terre est déterminée. C’est dans ce cadre que l’homme lutte pour la nourriture contre d’autres organismes vivants. Il n’a pas dévié si peu que ce soit de la loi de la jungle ; s’il a fait quelque chose, c’est de se rendre encore plus impitoyable par ses instruments exosomatiques perfectionnés. L’homme a ouvertement cherché à exterminer toutes les espèces qui lui « volent » sa nourriture – les loups, les lapins, les mauvaise herbes, les insectes, les microbes, etc.

Deux facteurs ont influé sur la technologie agricole. Le plus ancien est la pression continuelle de la population sur la terre effectivement cultivée. L’essaimage des villages d’abord, les migrations ensuite, sont parvenus à réduire cette pression. Le second est un sous-produit de la révolution industrielle ; il réside dans l’extension à l’agriculture du processus par lequel la basse entropie d’origine minérale (les ressources fossiles en particulier) remplaça celle de nature biologique. Cette technique moderne constitue à long terme une orientation défavorable à l’intérêt bioéconomique fondamental de l’espèce humaine. Les tracteurs et autres machines agricoles ont supplanté les animaux de trait, les fertilisants chimiques ont supplanté fumures et jachères. Cela équivaut à substituer des éléments rares au plus abondant de tous, le rayonnement solaire. Une agriculture hautement mécanisée et lourdement fertilisée permet la survie d’une très grande population, mais au prix d’un épuisement accru des ressources, ce qui signifie une réduction proportionnellement accrue de la quantité de vie future. Aristote lui-même enseignait que l’État idéal doit veiller à ce que la taille de sa population reste accordée à celle de son sol.

Combien d’êtres humains la Terre pourrait accueillir ? Aucun des expert en démographie ne s’est posé la question cruciale de savoir combien de temps pourrait durer une population des 40 milliards, voire d’un seul million. Cette question met à nu la vision mécaniste du monde, à savoir le mythe de la population optimale « comme d’une population qui peut se maintenir indéfiniment ». Dans La République de Platon, la taille de la population doit être maintenue constante, (si besoin est par des infanticides). Mais il est inexact de croire que l’état stationnaire peut perdurer aussi longtemps que le niveau de la population n’excède pas la capacité de charge biologique. Cet état ne saurait avoir qu’une durée finie, faute de quoi il faudrait rejoindre le club des « sans limites » en soutenant que les ressources terrestres sont inépuisables. La Terre a une capacité de charge qui dépend d’un ensemble de facteurs incluant la taille de la population, la quantité de ressources épuisées par personne dans l’année et la quantité des ressources accessibles de la croûte terrestre.

Source : Nicholas Georgescu-Roegen, La décroissance (Entropie, écologie, économie) aux éditons Sang de la Terre, 2020

Pour en savoir plus sur Georgescu-Roegen (1906-1994)

le programme bioéconomique minimal

équité intergénérationnelle, la grand oubliée

24 juillet 2016, le programme de décroissance de Georgescu-Roegen

22 mai 2012, GEORGESCU-ROEGEN, l’entropie contre l’économie

7 réflexions sur “Georgescu-Roegen, la question démographique”

  1. Cette fois je suis d’accord avec BGA sur 2 points.
    1) En effet les 2 problèmes coexistent. Et la grande famille Écolo ne se résume pas en 2 sous-familles, les malthusiens et les anti-malthusiens. Il y a aussi ceux qui pensent que ce sujet est «miné», qu’il ne peut mener à rien de bon, etc. Les malthusiens traduiront ça par «tabou» etc. etc. et on n’en sortira pas.
    2) Autre problème, tout aussi réel, la cupidité. La cupidité n’est qu’une forme parmi tant d’autres de la Bêtise. Quoi qu’on en pense, en attendant, faut bien faire avec tout ça.

    Peut-on lutter contre la cupidité, contre la Bêtise ? Oui bien sûr. Maintenant si on espère voir de son vivant les fruits de cette lutte, on risque alors d’être déçu.
    Par contre je reste très sceptique sur sa théorie selon laquelle «les 2 guerres mondiales sont déjà de bons indicateurs pour estimer la population mondiale à ne pas atteindre […] 2 milliards d’habitants».

    1. D’ailleurs, sauf pour dire que ça doit être entre 1 million et 40 milliards… comme quoi faut peut-être pas s’affoler… Biosphère reconnait que personne n’est capable de donner un chiffre sérieux concernant cette «population optimale».
      Toutefois il dit que «L’humanité devrait diminuer progressivement sa population jusqu’à un niveau où une agriculture organique suffirait à la nourrir convenablement».
      Alors admettons… que nous soyons (ou qu’ils soient) trop nombreux, d’ailleurs c’est vrai que tout porte à le croire.

    2. (suite) Seulement là encore on va s‘étriper sur le nombre d’hectares nécessaires pour nourrir X individus. Pour les uns le «convenablement» sera un bol de riz et une olive, pour d’autres ce ne sera évidemment pas convenable.
      Et jusque là bagarre portait seulement sur la gamelle, maintenant si on rajoute l’espace nécessaire plus tout ce qui va bien pour FAIRE en plus tout le reste, je vous laisse imaginer.
      Ceci dit bien sûr qu’on peut pas mettre 13 oeufs dans une boite de 12.
      Ni même un seul s’il s’agit d’un œuf d’autruche.
      Avec tout ça nous voilà bien avancés.

  2. Pourquoi systématiquement 2 opinions opposées ? Il y a aussi la 3 ème opinion qui consiste à penser, voir même constater que, les 2 problèmes coexistent = une trop grande croissance démographique et une trop grande croissance de consommation matérielle, les deux problèmes se renforçant mutuellement en terme de tensions entre populations; de pollution mais aussi d’artificialisation des sols entravant la vie sauvage. Exemple, être de plus en plus nombreux à avoir besoin d’un logement est un problème ET être de plus en plus nombreux à vouloir un logement de plus en plus grand est un problème aussi.

    1. « Le monde contient bien assez pour les besoins de chacun, mais pas assez pour la cupidité de tous. » Gandhi.

      Hormis que lorsque Gandhi est né (1869), on était que 1,4 milliards d’habitants et quand il est décédé (1948) 2,4 milliards d’hbts. Et déjà, en étant seulement autour de 2 milliards d’hbts, il n’a pas été possible de partager équitablement les ressources, et 2 milliards d’habts sont suffisants pour produire 2 guerres mondiales en moins de 30 ans.

      Alors bon c’est bien beau de dire que ce n’est pas bien d’être cupide probablement vrai, mais bon Gandhi n’a pas compris que c’est une réalité à en tenir compte, c’est tout ! On ne peut pas lutter contre la cupidité. D’ailleurs où est la frontière d’accumulation de biens entre cupides et pas cupides ? Nombreux sont ceux qui n’ont pas conscience qui prélèvent trop de ressources, ex = un smicard en France estime mener une vie trop modeste, il n’a pas le sentiment de trop consommer de ressources

    2. En l’occurrence les 2 guerres mondiales sont déjà de bons indicateurs pour estimer la population mondiale à ne pas atteindre, autrement dit ne surtout pas dépasser 2 milliards d’habitants, on connaît le plafond puisque nous avons des références historiques fiables ! Alors le résultat à terme à plus de 7 milliards d’hbts voir autour de 10 milliards, on peut déjà le prévoir ! Surtout dans un monde en déplétions de ressources fossiles et métalliques, et même agraires puisqu’on a stérilisé des sols en intensifiant l’agriculture par une production industrielle, il n’y a plus d’humus sur de grandes surfaces, ça ne pousse que grâce aux engrains non illimités et aux pesticides qui polluent les eaux.

      Alors c’est vrai les technologies et ressources fossiles ont rendu possible une vie à 7 milliards, mais c’est vrai seulement à court terme en tant qu’épiphénomène, car à long terme ces énergies et technologies ne sont pas soutenables et durables

  3. Une population de quelques millions ne consommant que du renouvelable dure très longtemps,c’est ainsi qu’a vécu l’humanité durant l’essentiel de son histoire. C’est aussi l’ordre de grandeur des effectifs des espèces de la mégafaune même pour les prédateurs. Donc là aussi, c’est cohérent.
    Mais à un milliard, c’est différent. Il n’y a que 220 ans que l’humanité est plus d’un milliard sur Terre et pendant ces 220 ans nous avons réduit la faune sauvage à … presque rien, avons rasé les forêts, enclenché le changement climatique, essaimé les sols et océans de déchets.
    Certains accusent le seul mode de vie, mais le mode de vie « naturel » ne permet pas de vivre nombreux, il nous faudrait pour cela redevenir prédateurs et non producteurs et, à plusieurs milliards, c’est impossible, voilà pourquoi la démographie est la question incontournable, n’en déplaise à la majorité de ceux qui se réclament de l’écologie.

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