Glyphosate, deux conceptions opposées de l’agriculture

Thèse : Round up, un produit sans aucun équivalent, tant il est efficace et bon marché. Il suffit d’épandre 2,5 litres de glyphosate par hectare pour tuer l’ensemble des plantes, moyennant 12 euros par hectare. Damien Greffin le considère même meilleur pour la planète. « Il nous évite de labourer, ce qui consomme beaucoup de gazole et aggrave l’effet de serre ». Mais c’est surtout le gain de temps qui emporte l’adhésion des deux frères . Ils se souviennent de leur grand-père, qui « s’éreintait dix heures par jour sur son tracteur… Avec le glyphosate, on peut faire nos 200 hectares en une journée, contre 20 hectares par jour avec un outil mécanique. »« Après avoir épandu, c’est un peu Tchernobyl, c’est pas très beau », reconnaît cependant Luc Greffin. Yves Chantereau, 60 ans, qui gère deux exploitations sur près de 200 hectares : « On n’arrive plus à désherber les adventices : elles poussent plus vite à cause des engrais et sont devenues plus résistantes du fait des herbicides, reconnaît-il. Il n’y a que le glyphosate qui permette de s’en sortir. »*
Antithèse : A 100 kilomètres de là, c’est un tout autre discours que tient Olivier Chaloche. Lui aussi céréalier dans la Beauce, il dirige depuis 1992 une exploitation de 120 hectares intégralement en agriculture biologique. Il n’utilise pas une goutte de glyphosate ni aucun autre pesticide chimique : « Il faut changer de logiciel. Cela passe d’abord par recommencer à aller tous les jours dans ses champs pour développer des savoirs et des observations qui se sont perdus avec l’essor de la chimie. » Il a mis en place une rotation des cultures très variées, tous les huit ou neuf ans. Au programme de cette année : du blé, de l’orge de printemps, du maïs, du sarrasin, de l’épeautre, de la luzerne, des petits pois, des pommes de terre et des oignons. « Avoir des cultures à toutes les saisons permet de concurrencer constamment les adventices », confie le céréalier. « Là, j’ai semé de la luzerne parce qu’elle prend le dessus sur le chardon », montre-t-il. A la frontière du semis, la démarcation est nette : les plants réguliers de la légumineuse laissent place à toutes sortes d’herbes, qu’Olivier Chaloche n’aime pas qualifier de « mauvaises ». « Il faut sortir d’une vision hygiéniste, sans aucune plante qui dépasse. » D’autant que les adventices lui servent aussi à fabriquer de l’engrais vert. Sur une autre parcelle, des fleurs violettes et jaunes ondulent au gré du vent. Le paysan de 49 ans égrène les avantages : « Elles permettent aux champs de rester couverts pendant l’interculture, leur pivot racinaire nourrit et restructure le sol et une fois broyées, elles fourniront de la matière organique. » Ses terres, Olivier Chaloche les a vues évoluer. « Elles ont retrouvé une vie microbienne riche, un bon cycle de l’azote, et elles accueillent de nombreux insectes », assure-t-il, en montrant coccinelles et abeilles.« La bio implique d’avoir trois fois plus de main-d’œuvre en moyenne que le conventionnel. » Son exploitation emploie trois personnes, autant que le GAEC des Greffin dont la taille est plus de trois fois supérieure.
Synthèse : Le gouvernement a tranché : il votera à Bruxelles contre le renouvellement de l’autorisation de la substance pour dix ans.
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LE MONDE du 19 octobre 2017, Dans la Beauce, les agriculteurs tentent de se désintoxiquer du glyphosate

4 réflexions sur “Glyphosate, deux conceptions opposées de l’agriculture”

  1. @ Bienvenu Daniel
    Connaissant un peu votre milieu, croyez bien que je comprends vos problèmes.
    Ce problème avec le Glyphosate n’est qu’un exemple qui illustre parfaitement l’aveuglement et le déni de réalité dont nous sommes tous plus ou moins atteints.
    Les agriculteurs sont comme pris au piège. Avec le recul on sait maintenant quand ils y sont entrés, comment et pourquoi. Mais il n’y a pas que les agriculteurs qui sont dans cette situation. Certes les agriculteurs sont au bord de l’abîme, et nombreux sont ceux qui ont déjà sombré. A tous les sens du terme.

    Vous avez raison, cette transition (vers Zéro pesticide) sera difficile. Pour résoudre ce problème comme bien d’autres, personne n’a de baguette magique.
    Vous avez raison, la solution pour supprimer les pesticides passe par l’acceptation de la part du consommateur (que j’écris con-sommateur) de consacrer plus d’argent à son alimentation.
    Hélas, entre ceux qui vivent avec des revenus de misère, et ceux qui préfèrent manger de la junk-food low-cost (malbouffe à bas prix) afin de pouvoir se payer le dernier gadget que la pub leur fait miroiter, et le vol low-cost pour aller passer le WE à Rome (très à la mode)… tous ceux qui veulent le beurre et l’argent du beurre… bref, dans l’état actuel des mentalités cette idée n’est pas prête d’être acceptée. D’autant plus que ne sont pas prêtes de changer non plus, les mentalités de ceux qui disposent de quoi vivre mille ans, mais qui ne veulent absolument pas partager. C’est bien le serpent qui se mord la queue !
    Aujourd’hui on parle du Glyphosate… et pendant ce temps « la maison brûle », comme disait Chichi. Et demain nous regarderons ailleurs. Tous les problèmes sont entrelacés, une véritable pagaille ! Nous ne savons même pas par quoi commencer, nous ne savons même plus où sont les priorités.

  2. Bienvenu Daniel

    1992: j’étais exploitant, j’ai vendu mon blé, au départ de l’exploitation, exactement 183 euros la tonne (120 francs par quintal à l’époque). Le 19 octobre 2017 le prix du blé était de 150 euros la tonne, rendu port de Rouen, donc environ 125 euros départ exploitation. En ajoutant les aides européennes (Pac) qui sont d’environ 30 euros par tonne de blé, on arrive à un prix du blé au 19 octobre 2017 à 155 euros la tonne départ exploitation.C’est donc environ (peut importe les quelques petites imprécisions) 28 euros de moins qu’en 1992. Pour résister comment fait-on? Réponse : on s’agrandit, on multiplie les hectares par UTH (unité travailleur homme), on supprime au maximum la main d’oeuvre en recourant au non-labour et en utilisant le glyphosate pour nettoyer les terres. On veut supprimer l’emploi des pesticides en grandes cultures : OK. Expliquez-moi comment peut faire un homme seul sur une multitude d’hectares en recommençant à labourer la totalité de la surface de son exploitation, tout en restant dans les bonnes périodes pour semer. Embaucher : premièrement il faut trouver les salariés qui vont accepter de faire un nombre d’heures important dans les pointes de travail, ensuite il va falloir les payer. Avec un blé moins cher qu’il y a 25 ans comment fait-on? C’est tout simplement impossible. Alors on fait quoi? Ce raisonnement ne concerne que les céréales (c’est le plus facile à expliquer) mais c’est identique pour toutes les productions agricoles. Voir le prix du lait, de la viande à la production. La seule solution pour supprimer les pesticides c’est que le consommateur accepte de consacrer plus d’argent à son alimentation. Si pour certains cela sera éventuellement possible, pour la majorité ce sera une réponse négative facile à comprendre, d’autant que l’augmentation des prix agricoles, sans pesticides et engrais, devra être importante pour pérenniser la situation financière des exploitations. Une autre solution existe, qui consiste à faire revenir vers l’agriculture un nombre important d’exploitants, installés sur de petites surfaces en bio naturellement, en utilisant un matériel très sommaire, en réintroduisant l’élevage, en vendant leurs produits en direct, en travaillant beaucoup physiquement. Cela aurait tous les avantages : diminution du chômage, nourriture très saine sans engrais ni pesticides, circuits courts qui diminueraient les transports……..Quand je vois, aujourd’hui encore, le nombre d’exploitations viables qui sont reprises pour agrandissement je me dis que cette dernière solution demandera énormément de temps pour se mettre en place, existera t-elle? permettez-moi de douter. Ce ne sera que marginal, ce travail n’intéresse plus grand monde, surtout pour un travail dans ces conditions. Si j’avais un enfant voulant reprendre derrière moi, je tenterai, par tous les moyens, de l’en dissuader. Exploiter de grandes surfaces céréalières sans pesticides ni engrais c’est aller au devant de beaucoup de déconvenues, c’est aller au casse-pipe. Je pars à la retraite après 41 années de labeur, je n’aurai pas à gérer le non emploi de pesticides. Si l’Etat impose cette solution sans un certain nombre d’années de préparation, sous les conseils d’apprentis-sorciers écolos, qui croient tout connaitre mais qui, en réalité, ne connaissent que leur petit monde à eux, nanti et confortable, je lui souhaite beaucoup de courage car les problèmes vont s’amonceler (voir le problème du beurre actuellement : vu le prix du lait depuis un certain temps, vu le nombre d’heures passées en élevage, vu les contraintes des traites matin et soir, sept jours sur sept, un certain nombre d’éleveurs ont arrêté le lait…….) Bon courage.

    1. @ Daniel Bienvenu
      merci de votre analyse, réaliste et intensément vécue. Vous montrez bien la spirale mortifère dans laquelle notre société a enfermé les paysans devenus agro-industriels. Vous donnez aussi la seule perspective durable, « La seule solution pour supprimer les pesticides c’est que le consommateur accepte de consacrer plus d’argent à son alimentation. »
      Nous aimerions que vos instances représentatives comme la FNSEA fassent la même démarche, nous aimerions que votre point de vue soit représenté aux Etats généraux de l’alimentation, nous aimerions des agriculteurs moins productivistes et plus écolos, nous ne pouvons que vous souhaiter « bon courage »…

  3. Si encore il n’y avait que « deux conceptions opposées de l’agriculture » … alors le simple bon sens donnerait raison à l’antithèse, et à ce céréalier, Olivier Chaloche.

    D’autant plus que les bras dispos ne manquent pas, pour désherber à la binette… d’autant plus que le temps, il vaut mieux le prendre, que d’essayer d’en « gagner », toujours plus… d’autant plus que le BIO collecte finalement bien plus d’avantages que ceux que nous vend le célèbre marchands de salades , MONSANTO !

    Hélas notre Problème va plus loin que ça. En fait ce sont deux conceptions opposées du monde de demain, qui s’affrontent.
    La question, toute simple, est toujours la même : Quel monde voulons-nous laisser à nos enfants ?
    Et pour y répondre sérieusement, il faut commencer par avoir fait le deuil de tout un tas d’illusions. Par exemple, il faut arrêter de penser qu’on pourrait avoir le beurre ET (en même temps), l’argent du beurre.

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