« guerre » contre le terrorisme, guerre contre la planète

Enfin un intellectuel qui s’exprime clairement dans les médias. Extraits :

La conférence internationale sur le climat COP21, prévue à Paris à la fin du mois, va-t-elle être affectée par les attentats du 13 novembre ?

Dominique Bourg : C’est le moins qu’on puisse dire. Le contexte terroriste dans lequel on s’installe relègue l’enjeu écologique, car on le croit moins urgent. Ce qui est faux : plus on tardera à agir pour limiter la hausse de température, moins on pourra le faire. Les attentats du 13 novembre sont une très mauvaise nouvelle pour la COP21.

Manuel Valls a annoncé vouloir supprimer tout ce qui ne relève pas de la négociation au sens strict.

Dominique Bourg : C’est-à-dire tout ce qui est manifestation publique ! C’est une perspective dramatique. Interdire la grande manifestation du 29 novembre pour laquelle des gens se préparent depuis des mois serait une catastrophe. Et tout cela pour se prémunir de fous sanguinaires, qui mourront de faim dans trente ou quarante ans si on ne lutte pas contre le réchauffement ! Que l’on plie devant ce ramassis de criminels, c’est inadmissible. Il y a dans la société civile une minorité de personnes mobilisées sur le climat, mais agissante et déterminée : si même elle, on l’empêche de s’exprimer, les enjeux de ce sommet n’auront plus aucune visibilité. Or, sans pression de la société civile, on n’avancera jamais sur ce sujet. On a le choix entre une humanité qui veut s’unir, qui veut penser à l’avenir, qui veut être lucide, intelligente, qui sait ce que science veut dire, et une humanité régressive, haineuse, stupide et sans aucune spiritualité.

De manière plus générale, pourquoi la crise écologique majeure que nous vivons actuellement peine-t-elle tant à mobiliser ?

Dominique Bourg : Les sciences qui nourrissent l’écologie portent sur de grands enjeux globaux, et sur des choses que les sens ne perçoivent pas. Vous ne percevez pas qu’il y a désormais 400 ppm de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ambiante, ni que plus de la moitié des animaux marins ont disparu depuis 1970. Les grands problèmes écologiques sont des problèmes abstraits. Ce qui nous fait vraiment bouger, c’est d’être confrontés à un danger sensible et immédiat. Mais le réchauffement climatique, pour le moment, n’a pas de conséquences sur notre environnement immédiat. Si ce n’est à un moment donné, et en général de l’autre côté de la planète.

Pour freiner les dommages que nous infligeons à la planète, certains invoquent le « solutionnisme », c’est-à-dire la capacité des technologies à résoudre les grands problèmes qui en résulteront. Illusion ou espoir réel ?

Dominique Bourg : Selon moi, il s’agit clairement d’une illusion. Mais celle-ci est très ancrée dans notre culture, parce que, pendant un siècle et demi, on a vraiment eu l’impression que le progrès allait tout résoudre. Le transhumanisme consiste à dire : « L’environnement, on s’en fout, on va tout artificialiser et devenir éternel. » Si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, cela consiste à faire vivre indéfiniment quelques riches et à faire crever tous les autres, car on aura du mal à vivre à 100 milliards sur Terre. C’est un projet de société d’un infantilisme et d’un égoïsme effrayants, fondé sur la logique néolibérale poussée à son extrême.

Le problème n’est plus, désormais, de produire mieux, mais de produire moins.

Dominique Bourg, professeur à la faculté des géosciences et de l’environnement de l’université de Lausanne (Suisse), est par ailleurs vice-président de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme.

Source : LE MONDE Culture&idées du 21 novembre 2015, « Les attentats de Paris sont une très mauvaise nouvelle pour la COP21 »

2 réflexions sur “« guerre » contre le terrorisme, guerre contre la planète”

  1. Bien dit, Merci. Avant le grand marchandage des financements qui s’annonce (COP21), le cliché d’un Nord coupable contre un Sud victime este déjà monnaie courante dans les media.
    C’est méconnaitre qu’il y a de nombreux Nord dans le Sud. Une foule d’ilots d’opulence, de gaspillage, d’abus énergétique, de je-m’en-foutisme insolent des élites économiques et d’ignorance de masse au bénéfice de l’incurie gouvernementale qui s’en nourrit. Je vis dans le « tiers-monde », dans le Sud, depuis plus de 30 ans. En ce moment au travail dans une ile Caraïbe dont les ministres se préparent à demander, lors de la Conférence, des « compensations » financières faramineuses, qui, si elles se concrétisent, financeront de fait leur campagne électorale et leur flotte de 4×4. Sans parler de leur négoce d’importation de diesel à bruler en centrales électriques obsolètes. L’empreinte (eau, carbone, etc) de ces individus et le mode de consommation de leurs électeurs, est sans doute supérieure à celle d’un californien moyen.
    Il serait temps de réviser profondément ces croyances, de ce que le Sud est par essence vertueux et digne de crédit, seulement parce que les majorités y sont pauvres, voire miséreuses. Et agir en conséquence pour que les irresponsables et abuseurs rendent compte (et gorge) à leurs sociétés. En leur coupant les vivres et les renvoyant bredouilles ?
    COP21: Il ne faut pas attendre grand chose de la fratrie des gouvernants, tous complices.
    « ..(..) Sans pression de la société civile, on n’avancera jamais sur ce sujet ».

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