Histoire de la crise écologique

Conférence faite à Soulac par Simon Charbonneau pour l’association Agora le 28 septembre 2012

Il s’agit de parler de la crise écologique à travers la critique de l’idéologie du progrès matériel dont on voit aujourd’hui où elle nous a mené. A l’origine de cette expérience, il y a bien sûr mes origines familiales marquées par l’œuvre pionnière de mon père Bernard Charbonneau ainsi que mon amour de la nature manifesté par mes activités de chasseur, pêcheur et randonneur.

Aujourd’hui, mes cinquante années d’expérience humaine m’ont conduit à la conscience de la « grande mue » dans la quelle l’humanité s’est engagée à l’aveugle toujours plus rapidement. Autrement dit, il y a eu un point de départ et un point d’arrivée qui aujourd’hui pourrait signifier la fin de l’aventure humaine.

1/3) Le point de départ : la naissance de la société industrielle au XIXème siècle

Tous les historiens en conviennent, cette naissance a pour origine celle de l’idéologie du progrès, elle même issue des Lumières, selon laquelle l’humanité allait vers un « toujours mieux », autrement dit, portée par l’histoire, l’avenir ne pouvait être que meilleurs que le passé sur le plan matériel comme moral. Autrement dit, la civilisation était inscrite dans l’histoire et il suffisait de se faire porter par elle !

Si Condorcet, malgré le démenti représenté par sa fin tragique, en a été un des meilleurs représentants au XVIIIième siècle alors que le XIXième siècle a vu triompher cette idéologie commune à la bourgeoisie et au socialisme. Qu’il s’agisse de Saint Simon, d’Auguste Comte ou de Marx, tous croyaient au progrès matériel et moral de l’humanité. Comme les libéraux, les marxistes croyaient aux bienfaits de la libération des forces productives comme moyen d’aller vers un état social supérieur. La conquête de la nature par la science et la technique illustrée par l’œuvre de Jules Verne était alors considérée comme une évidence.

Les deux guerres mondiales vont alors ébranler cette idéologie sans pour autant la faire disparaître. La première de ces guerres a vu justement le triomphe des forces productives consacrées à l’armement qui a largement contribué au progrès technique dans tous les domaines (transports motorisés, communications, produits chimiques etc….). Ces progrès fulgurants qui en ont fait la première guerre industrielle de l’histoire expliquent le décalage complet avec ceux de la conscience humaine. C’est ainsi que chez les militaires, la conception traditionnelle de la guerre s’est trouvée complètement remise en question par la puissance des armes (voir le film de Spielberg « Le cheval de guerre »). D’où l’énormité des coûts humains payés par les peuples d’Europe au cours de cette boucherie.

Si la seconde n’a fait qu’aggraver encore ces coûts à cause du perfectionnement des armes, malgré Hiroshima, on a assisté dans les années d’après guerre à un regain d’optimisme progressiste. C’est ainsi qu’en Occident sont nées les fameuses « trente glorieuses » qui en réalité se sont étendues jusqu’aux années 90 où triomphait la foi dans les bienfaits de la croissance économique et technique. Durant cette période qui a été aussi celle de l’affrontement entre l’Ouest et l’Est, ont commencé à se faire sentir les premiers signes de la crise écologique, d’abord limitée géographiquement aux zones les plus industrialisées, puis s’étendant progressivement à la planète entière avec la croissance économique des « pays émergents ».Très logiquement, ces années d’optimisme progressiste ont été aussi celles de l’occultation complète de ces signes dans l’espace public comme le montre la redécouverte actuelle du fameux livre de Rachel Carson sur l’empoisonnement par les produits chimiques publié dans les années 50 et sévèrement censuré à l’époque.

Ce déni collectif était fondé encore une fois sur le décalage existant entre la conscience humaine et les conséquences de la puissance technique et économique : comme de tous temps, la nature apparaissait comme généreuse, inépuisable et indestructible.

C’est de cette inconscience qu’est née la crise écologique aujourd’hui planétaire provoquée par une croissance exponentielle de nos interventions sur la nature avec son lot de pollutions multiples, d’épuisement rapide des ressources naturelles (eau, énergies, minéraux, stocks halieutiques etc….) et  de l’appauvrissement de la biodiversité.

Au terme d’une vie humaine, ce qui frappe aujourd’hui, c’est l’emballement complet du processus de destruction qui explique l’éveil tardif de la conscience collective jadis aveuglée par les avantages immédiats procurés par le progrès matériel, un déferlement que nous subissons avec un sentiment d’impuissance.

2/3) L’émergence d’une prise de conscience écologique

En dépit de l’omerta écologique des « trente glorieuses », des esprits plus libres que de coutume avaient pourtant déjà tiré la sonnette d’alarme durant ces années. Ces auteurs longtemps restés inaudibles et tous nés au XXième siècle dans l’Occident industriel, proviennent d’horizons divers mais ont pour caractéristique commune d’avoir écrit dans la solitude à contre courant de leur époque. Pour les biologistes, il s’agit de Rachel Carson et aux USA, de Roger Heim et Jean Dorst en France, pour les économistes, on peut citer De Jouvenel, Denis Meadows et Georgescu Roegen, chez les artistes naturalistes, Robert Hainard et chez les philosophes, historiens et sociologues, Günther Anders, Lewis Mumford, Jean Brun, Hans Jonas, Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Yvan Illich, Gorz et Edouard Goldsmith.

Quelques uns de ces auteurs ont commencé à être lu au début des années 70 mais c’est surtout l’aggravation de la crise écologique à cette époque qui est à l’origine de la prise de conscience d’une minorité de jeunes parmi la génération de 1968. C’est ainsi que les premières manifestations antinucléaires ont vu le jour accompagnée du côté des pouvoirs publics par la création en Europe de ministères de l’environnement et de l’adoption des premiers textes de loi censés s’attaquer à la question. C’est ainsi que beaucoup d’espoirs sont nés à l’époque caractérisée par ce que Bernard Charbonneau a appelé « Le feu vert ». Mais ces espoirs ont été rapidement douchés par les premiers chocs pétroliers et les impacts économiques négatifs qui en ont résulté. D’où l’effacement provisoire de la question écologique dans l’espace public qui a accompagné la restauration de l’entreprise et le libéralisme économique triomphant dans les années 80/90. Mais c’est paradoxalement à la même époque que les voyants rouges de la crise écologique ont commencés à se multiplier et à émerger dans les médias. C’est ainsi que les catastrophes industrielles (Bophal, Tchernobyl) accompagnées des grands phénomènes de pollution transfrontière (pluies acides, trou d’ozone, effet de serre ) ont fait leur irruption dans l’opinion publique en dépit de la priorité accordée à la croissance. Décidément, la crise écologique était bien inscrite dans les faits.

C’est aussi durant ces années là qu’est né le mouvement écologique avec sa composante associative protéiforme et sa composante politique naissante. C’est aussi durant cette période qu’ont commencé à se multiplier les institutions et les textes chargés de protéger l’environnement, en particulier au niveau européen, qui ont commencé à imposer les premières contraintes sur le monde économique sans que vraiment des résultats positifs se soient fait sentir depuis.

3/3) L’accélération du processus de crise et ses conséquences

Aujourd’hui, plus précisément depuis le début du troisième millénaire, il n’est pas exagéré de dire que l’humanité est entrée dans l’œil du cyclone. Au début des années 2000, des évènements marquent l’opinion parmi les quels la canicule de 2003 tandis que les médias répercutent amplement les informations fournies par les scientifiques. Des films touchent enfin le grand public tels que celui d’Al Gore ou de Nicolas Hulot qui expliquent le passage au second « feu vert » débouchant en France sur les accords de Grenelle mais qui sera rapidement impacté par l’effondrement économique de 2008.

La première décennie du XXIième siècle reste en effet marquée par la reconnaissance tardive de la gravité de la crise écologique. Dans cette prise de conscience tardive, il faut souligner le rôle essentiel joué par la communauté scientifique et en particulier par le GIEC sur la question du réchauffement climatique. Par la suite, cette reconnaissance va s’étendre aux questions de biodiversité et de santé humaine dans une démarche plus globale. Mais les progrès de cette prise de conscience publique vont rapidement se heurter aux évènements de 2008 qui remettent au devant de la scène les préoccupations économiques de court terme. A la crise écologique dont les réponses ne peuvent être envisagées que sur le moyen et le long terme, est opposée celle de l’économie des pays industriels dont les effets sont immédiats alors même que la cause des deux crises est la même, à savoir la transgression des limites de la croissance.

D’où l’existence de réponses contradictoires aux défis des deux crises, à savoir continuer d’une part à soutenir les politiques publiques de protection de l’environnement et de l’autre chercher aussi à soutenir la croissance économique en continuant à utiliser les vieilles recettes à l’origine de la crise écologique. Ceci explique le succès d’un concept politique aussi paradoxal que « le développement durable » dont l’obscure clarté n’est plus à démontrer. Au niveau des entreprises, cela explique la pratique du « greenwashing » utilisant les arguments écologiques comme moyens de communication destinés à leur donner une bonne image pour masquer les effets des pratiques économiques habituelles. Pour les représentants de l’oligarchie qui nous gouverne, la crise écologique doit au contraire être considérée comme une opportunité pour faire redémarrer la croissance en investissant massivement dans les énergies renouvelables.

Aujourd’hui, contrairement aux années 70, la crise écologique est prise au sérieux à tous les niveaux de la société comme le montre la multiplication des institutions, des multiples instruments juridiques de protection de l’environnement et des grandes conférences internationales. Au plan national, les accords de Grenelle illustrent ce constat comme le fait de la publication quotidienne d’une page « planète » dans Le Monde qui a longtemps fait l’impasse sur la question écologique. Il n’est désormais plus possible d’ignorer la tragédie planétaire que l’humanité a déclenchée sur le plan tant politique qu’économique. Cependant, en même temps, l’effondrement économique et financier en cours pousse notre oligarchie à recourir  aux vieilles recettes destinées à soutenir et à développer l’économie industrielle et ceci dans deux domaines exemplaires, à savoir celui de l’industrie informatique et automobile. En ce qui concerne la première, aujourd’hui florissante, ses produits ont non seulement envahi notre vie quotidienne au détriment des relations humaines mais en plus ses impacts écologiques se font sentir dès aujourd’hui à travers le monde avec l’accumulation de déchets électroniques. La seconde bien que déjà ancienne continue inexorablement son expansion planétaire en s’étendant à de nouveaux pays jusqu’à présent épargnés par notre addiction à la bagnole. Depuis la fin du XXième siècle l’industrialisation de pays à forte démographie comme la Chine, le Brésil et l’Inde ne peut qu’accélérer encore davantage la crise écologique mondiale. C’est ainsi que l’Occident a inventé la société industrielle qui sert de modèle pervers à la planète entière. Et puis il y a aussi les nouvelles menaces liées à des innovations technologiques telles que les nanotechnologies aujourd’hui au stade de la diffusion massive sur le marché sans aucun contrôle et les OGM qui rencontrent en Europe une résistance qui ne faiblit pas.

Aujourd’hui, l’aggravation de la crise n’est pas sans conséquence sur le mouvement écologique lui même divisé entre d’un côté sa composante réformiste tant politique (EELV) qu’associative (FNE, WWF, Fondation Nicolas Hulot etc…) au nom du réalisme et d’un autre par la naissance d’une fraction radicale prônant l’urgence de la décroissance en raison de l’impossibilité de réformer le système. Sur le front des conflits écologiques, les défaillances de l’écologie politique expliquent la naissance d’une nouvelle catégorie d’acteurs politiques exerçant des fonctions de contre pouvoir des domaines aussi divers que celui du nucléaire, des OGM ou de la contestation des « grands projets inutiles » représentés par le programme des lignes à grande vitesse et celui des autoroutes ou encore de nouveaux aéroports comme celui de Notre Dame des Landes. De ces combats est née la conscience du lien étroit existant entre la dette écologique laissée à nos descendants et celle financière dont les économies industrielles n’arrivent plus à se défaire.

Aujourd’hui, alors que les menaces d’une catastrophe globale s’accumulent, l’humanité semble arrivé au bout du chemin et sans un sursaut spirituel la libérant des illusions de solutions technico-scientifiques, elle risque de ne plus avoir d’avenir !

Simon CHARBONNEAU  (BERGERAC, le 10 octobre 2012)

 

Pour en savoir plus, les livres des Charbonneau père et fils :

Bernard, le jardin de Babylone (1969)

Bernard, le Feu vert (1980)

Simon, Résister pour sortir du développement (2009)

Simon, L’effondrement de l’idéologie du progrès (2012)

2 réflexions sur “Histoire de la crise écologique”

  1. GIRARD Jean François

    Synthèse bien senti,à laquelle je souscris entièrement.
    Mr Charbonneau
    je suis preneur d’une conférence en Savoie sur le thème développé

  2. GIRARD Jean François

    Synthèse bien senti,à laquelle je souscris entièrement.
    Mr Charbonneau
    je suis preneur d’une conférence en Savoie sur le thème développé

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