Hubris technoscientifique en médecine

Le « progressisme » techno-médical a mis au rencart Ivan Illich (1926-2002) qui écrivait : « Le traitement précoce de maladies incurables a pour seul effet d’aggraver la condition des patients qui, en l’absence de tout diagnostic et de tout traitement, demeureraient bien portants les deux tiers du temps qu’il leur reste à vivre. » Dans cette période qui s’ouvre de sobriété dans tous les domaines, son message finira-t-il par être entendu ?

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Bruno Falissard : Toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus de technologie, pour quel résultat ? Dans l’espoir utopique de pouvoir vaincre la mort et la souffrance par la puissance sans limite de notre science, nous tous, médecins, patients, autorités de santé, politiques… nous enivrons du flot ininterrompu des découvertes annoncées à grands fracas. Concernant les nouveaux traitements, si leur réelle plus-value en termes d’efficacité peut souvent être discutée, le vrai problème concerne leur prix. Le coût des nouveaux anticancéreux dépasse souvent les 100 000 euros par patient, ce qui interroge sur l’acceptabilité collective. Car il y a un réel problème d’équité : les patients pouvant bénéficier de traitements sophistiqués bénéficieront de plus de ressources de la solidarité nationale que les soins « humains ». Il nous faut donc procéder à des arbitrages. Ne pas les faire, c’est réduire le temps des soignants et la relation thérapeutique. Si l’hôpital et la médecine de ville souffrent en ce moment, cela vient en partie de ces choix bien réels qui ne sont ni discutés démocratiquement ni même totalement conscients. Tendre vers plus de frugalité concerne aussi notre système de santé.

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Le point de vue des écologistes

Les merveilles technologiques de la médecine et de sa quasi-gratuité ont donné à penser que nous, patients ou futurs patients, pouvons entièrement nous délaisser de notre responsabilité individuelle sur notre propre santé. Combien de comportements individuels inadaptés ou dangereux sont à l’origine de très nombreuses maladies, tabagisme et alcoolisme, par exemple. Faut-il accepter des traitements coûteux pour ces conduites à risque ? Où est la limite de la prise en charge techno-médicale des patients. Difficile problème qui se pose dans tous les domaines. Si l’effort technologique pour la médecine peut être remise en question, à plus forte ce qui concerne la recherche pour les armements, la conquête spatiale ou, plus terre à terre, la sophistication de notre alimentation techno-industrialisée…

ll y avait dans les années 1970 une différenciation essentielle faite entre technique douces et techniques dures, ce qu’on appelle aujourd’hui, low tech et high tech. Il nous faut démocratiquement discerner à partir de quand il y a contre-productivité de la technicisation de notre existence, à partir de quand il y a acharnement thérapeutique, à partir de quand la prolongation des études fabrique des gens hors sol, à partir de quand l’emprise de l’État étouffe l’initiative individuelle, à partir de quand l’usage des véhicules individuels devient insupportable pour le climat, à partir de quand industrialisation de l’agriculture détruit les sols, etc.

Ivan Illich avait développé la notion de « contre-productivité » pour rendre compte des conséquences néfastes de certaines institutions lorsque leur fonctionnement dépasse certains seuils au-delà desquels ces institutions produisent l’effet inverse de leur but initial : alors la médecine rend malade, l’école abrutit, les communications rendent sourd et muet, l’industrie détruit, l’État étouffe la société civile, les transports immobilisent. Mais politiques et citoyens sont-ils capable d’aborder toutes ces problématiques de front ?

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11 réflexions sur “Hubris technoscientifique en médecine”

  1. – « Des chirurgiens d’Amérique latine suivent des stages dans des hôpitaux spécialisés de New York pour y apprendre des techniques qui ne s’appliqueront qu’à quelques malades.[…]
    En matière de santé, ce qu’il faut à l’Amérique latine, c’est un personnel paramédical qui puisse intervenir sans l’aide d’un docteur en médecine. » (Ivan ILLICH)

    Même en France, depuis un moment déjà les services de santé manquent de moyens.
    De lits, d’infirmières, de médecins… Et ceci ne serait-ce déjà que pour les soins de base.
    Devoir attendre 8 heures aux urgences pour 2 ou 3 points de suture que n’importe quel infirmier (infirmière) est sensé savoir faire… ce n’est pas normal.
    Comme il n’est pas normal non plus, de devoir attendre 8 mois pour un RDV chez un ophtalmo, pour de simples lunettes. Cet ophtalmo qui ne nous consacrera pas plus de 10 minutes, l’essentiel du boulot étant fait par des assistants bien moins qualifiés.
    ( à suivre )

    1. Qu’entend-on alors par «soins médicaux de base» ?
      Pensons à la SNCF… qui a mis le paquet sur le TGV, au détriment du reste. N’allons pas en déduire trop vite que le TGV doit être mis à la ferraille, non. Par contre demandons-nous s’il est vraiment utile de construire de nouvelles lignes. Ou s’il ne vaudrait pas mieux plutôt faire reprendre du service aux petites vieilles abandonnées. Je parle des voies ferrées bien sûr. 😉

      – « La médecine est le meilleur alibi de l’hubris technoscientifique.» (Bruno Falissard)
      Peut-être, seulement ça reste juste à démontrer. Mais plutôt que la médecine, je dirais alors que c’est plutôt la santé, qui sert d’alibi.
      Or, derrière cette fameuse santé (bonne santé ?)… nous avons déjà l’idée que nous nous en faisons. Ou plutôt l’idée qu’on nous en donne, si ce n’est qu’on nous impose.
      Et derrière tout ça, la peur de la mort.

      1. Pour moi, être en bonne santé sous-entend déjà qu’on ne souffre pas.
        Or la peur est un stress, une souffrance. On dit que la peur de souffrir est pire que la souffrance elle-même. On dirait là du Sénèque … En tous cas si on le dit c’est que ça doit être vrai. Et puis, la peur de souffrir et la peur de la mort ce n’est pas non plus la même chose.
        En attendant, si la peur (de ceci ou de cela) peut se surmonter, se soigner, si la souffrance ou la douleur peut également être soignée, ou calmée, et je ne vois aucune bonne raison à ce qu’on laisse (ou fasse) souffrir les gens… en ce qui concerne la mort c’est une autre histoire. Je dis souvent, pour rire, que mourir de peur ça doit être affreux. Faut croire que nous le sommes. Affreux. 🙂

  2. – « le vrai problème concerne leur prix. Le coût des nouveaux anticancéreux dépasse souvent les 100 000 euros par patient, ce qui interroge sur l’acceptabilité collective. » (Bruno Falissard)

    Le «vrai problème» … l’«acceptabilité collective» ??
    Comme si déjà l’ «acceptabilité collective» ne dépendait en rien du Discours, de la Chanson, la Rengaine etc. Si on nous ramène tout (et n’importe quoi) à une question de prix, de coût, de Pognon… et que et en même temps on nous chante que ça coûte un prix fou, que les caisses sont vides et patati et patata… alors en effet les pauvres pantins que nous sommes en viennent à s’interroger. Et à se poser ce genre de questions :
    – « Faut-il accepter des traitements coûteux pour ces conduites à risque ? Où est la limite de la prise en charge techno-médicale des patients ? » (Le point de vue des écologistes)
    ( à suivre )

    1. Les «conduites à risque» ?? On pense de suite aux alcolos, toxicomanes et autres, et puis à tous ces fous de vitesse et de sensations fortes etc. Et on en fait l’impasse sur une autre question : POURQUOI tous ces gens en sont là ?
      Qu’est-ce qui les amène ou les pousse à picoler, à se droguer, à bouffer comme des porcs, à mettre leur vie et celles des autres en danger etc. etc. ?
      Cette notion de conduites à risque est dangereuse. Ne serait-ce que parce qu’on peut l’étendre très loin (ex. les discours anxiogènes sciemment diffusés. Voir À 14:07)
      On pourra alors me dire que je suis là en train d’user et d’abuser du sophisme de la planche savonneuse. ( à suivre )

    2. On pourra dire ce qu’on veut. En attendant, ce n’est pas moi qui va dire que le refus de se faire vacciner est une conduite à risque. Par contre, de mon point de vue… inoculer à des millions de gens un produit douteux… je pense que ça, ça devrait nous interroger beaucoup plus. Mais bon !
      Et ce n’est certainement pas moi non plus qui pense que les non-vaccinés, alcoolos, toxicomanes, alpinistes et autres devraient payer leurs soins au cas où. Ni que les non-vaccinés (non-pucés etc.) se doivent de laisser leur place en réa, de signer des décharges ou je ne sais quoi. Et je trouve très grave qu’on en soit arrivé à discuter, s’interroger et «débattre» de ça. Et pourtant, et hélas, je n’invente rien. Ce que je raconte là n’est que la vérité.

    3. Ceci dit, nous avons quand même le droit de nous interroger, de se poser des questions. Seulement faut-il que ce soit les bonnes. Et les bonnes ne sont pas forcément celles qu’on cherche à nous imposer. Avant de parler du coût des nouveaux médicaments anticancéreux, et de se demander s’ils sont trop chers et ceci et cela … interrogeons-nous sur tous ces milliards de dollars ou d’euros qui font le bonheur des labos, des lobbies et des gros.
      Je dis juste qu’il faut savoir ce qu’on veut, ce qui prime etc. Quelle société, quelle utopie, quelles valeurs ? Etant bien entendu que ces valeurs, celle d’une vie par exemple, ne se chiffrent pas en dollars ou euros.

      1. BUSINESS AS USUAL !

        – L’explosion des prix des nouveaux anticancéreux est-elle justifiée ?
        ( Jean-Yves Paillé 18 Jan 2017 – latribune.fr )
        Extrait : « Ce sont les laboratoires qui font monter les prix. Il faut se battre contre le prix exorbitant des médicaments qui ne sont pas justifiés. » (René Ducroux, président de Collectif K, une organisation regroupant une vingtaine d’associations de patients contre le cancer)

      2. Quoi qu'il en coûte !

        L’expérience Covid devrait, pourtant, nous avoir donné une bonne leçon. Nous permettant, entre autres, de comprendre ce qu’est l’«acceptabilité collective». On a très bien vu comment nos politiques ont accepté et nous ont fait «accepter», entre autres, ce fumeux Quoi Qu’il en Coûte.
        On a filé des milliards (de l’argent public) à certains, et ceci même pour des «remèdes» qui présentaient bien plus de risques que de bénéfices !
        Rien que cette affaire, qui reste un épisode par rapport à tout le reste, aurait dû provoquer un scandale. Mais non, on est passé par-dessus, on a oublié et finalement on peut dire, qu’on a … accepté. Faut dire qu’une autre guerre, plus réelle celle-là, nous y a bien aidé. Misère misère !

  3. « Combien de comportements individuels inadaptés ou dangereux sont à l’origine de très nombreuses maladies, tabagisme et alcoolisme, par exemple. »

    Pourquoi ne citer que ces deux cas ? Qu’en est il de ceux qui font des excès de vitesse en voiture et en moto puis provoquant des accidents ? Ceux qui font du hors piste au sport d’hiver ? Qui vont nager sous drapeau rouge ou saute dans l’eau là où il ne faut pas ? Des industries qui nous polluent les poumons en refusant de mettre des filtres dans leurs cheminée ? Des fumeurs de cannabis ou autres herbes qui rendent bêtes ? De ceux en haut du sommet de l’échelle sociale qui prennent de la schnouf dans le pif ? Il y en a encore plein à désigner !

    1. – « Il y en a encore plein à désigner ! »

      Oh que oui ! Dans ces comportements individuels inadaptés ou dangereux, à l’origine de très nombreuses maladies, on peut aussi y mettre tous les discours anxiogènes. Ces discours qui provoquent du stress, qui favorisent les maux du dos («mal du siècle» dit-on), l’éco-anxiété (autre mal du siècle ?) etc. etc. et qui peuvent même pousser jusqu’au suicide.

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