humanisme élargi

Comment situer le centre du monde ? Mon quotidien préféré présente le 1er décembre la conception du planisphère australien. Du point de vue des géographes de ce pays, on inverse la carte du monde, le pôle sud en haut, l’Australie bien au milieu. Chacun regarde le monde à sa façon, les cartes se brouillent, il n’y a plus de boussole.

C’est Lévi-Strauss qui nous montre la voie de l’unité conceptuelle, celle d’un humanisme élargi. Dans un discours de 2005,  il montre que l’humanisme change de perspective au fur et à mesure de sa confrontation à l’autre. La Renaissance trouva dans la littérature ancienne le moyen de mettre sa propre culture en perspective, au XVIIIe et au XIXe siècles, l’humanisme s’élargit donc avec le progrès de l’exploration géographique. En s’intéressant aux dernières civilisations encore dédaignées – les sociétés dites primitives – l’ethnologie fit parcourir à l’humanisme sa troisième étape. Par de sages coutumes que nous aurions tort de reléguer au rang de superstitions, les sociétés sans écriture limitent la consommation par l’homme des autres espèces vivantes et lui en imposent le respect moral, associé à des règles très strictes pour assurer leur conservation. Si différentes que ces dernières sociétés soient les unes des autres, elles concordent pour faire de l’homme une partie prenante, et non un maître de la création. Telle est la leçon que l’ethnologie a apprise auprès d’elles.

Selon Lévi-Strauss, « Les droits de l’humanité cessent au moment où leur exercice met en péril l’existence d’autres espèces. Le droit à la vie et au libre développement des espèces vivantes encore représentées sur la terre peut seul être dit imprescriptible, pour la raison très simple que la disparition d’une espèce quelconque creuse un vide, irréparable, à notre échelle, dans le système de la création. »

Lévi-Strauss nous définit ainsi un humanisme qui abandonne son anthropocentrisme pour se rapprocher d’un biocentrisme. Cela ne veut pas dire nier la centralité de l’homme qui est la seule espèce à penser la nature et l’univers, cela signifie que ni la France, ni l’Australie, ni même l’humanité ne sont le centre du monde.