Interdisciplinarité face à l’urgence écologique

Les disciplines scolaires, telles qu’elles sont enseignées aujourd’hui, sont issues d’un découpage artificiel ; chaque professeur sa spécificité. C’est la conséquence de l’explosion des connaissances et le résidu encore tenace de la fragmentation cartésienne. Cet affaiblissement de la perception du global et de ses interrelations conduit à l’affaiblissement de la responsabilité, chacun tendant à n’être responsable que de sa tâche spécialisée. Née dans ce monde découpé en tranche, l’écologie a  été inventée pour nous rappeler que rien ni personne ne peut survivre en vase clos. Cette capacité à sortir des cadres de la pensée unique ne peut se forger qu’en prenant du recul.

Les sciences économiques ET sociales en lycée avait déjà dès les années 1970 entamé l’évolution vers l’interdisciplinarité. Professeur de SES à l’époque, j’ai toujours regretté que l’écologie ne soit pas partie prenante de cette matière. Par exemple le circuit économique qui lie production et consommation ne peut que se comprendre que par la connaissance de la sociologie de la consommation et les rapports sociaux de production. Mais ce circuit économique est lui-même inséré dans la biosphère qui lui apporte les ressources nécessaires à son fonctionnement durable.

Michel Sourrouille

Soazig le Nevé : La transition écologique peut-elle devenir une source de décloisonnement dans l’enseignement supérieur ? Les basculements en cours dans les rapports des humains à leur environnement entraînent une recomposition des objets scientifiques et donc des formations universitaires. Une voie se dessine qui emboîte différentes échelles et cultive les liens entre sciences naturelles et sciences humaines. Mais la pluridisciplinarité entre en totale contradiction avec les critères d’évaluation des carrières d’enseignant qui demeurent résolument disciplinaires ; le système universitaire est constitué de telle manière qu’on attend de chacun qu’il creuse son sillon toujours plus spécialisé. le Conseil national des universités comptabilise 92 sections, correspondant chacune à une discipline. C’est une erreur. S’attaquer séparément à la perte de la biodiversité, au réchauffement climatique, à la pénurie d’eau ou à l’insécurité alimentaire aggrave les problèmes.

Seuls six masters en France proposent actuellement la mention « science de la durabilité ».

Le point de vue des écologistes du complexe

Nous ne percevons pas les coûts de la complexité aujourd’hui, car ils sont subventionnés par les combustibles fossiles. Sans ces derniers, les sociétés modernes ne pourraient pas être aussi complexes qu’elles le sont. Notre complexité s’accroît car elle est très utile pour résoudre les problèmes créés par la complexité. Confrontés à des difficultés, les solutions que nous mettons en place tendent à impliquer plus de technologie élaborées, la prolifération de rôles sociaux et de spécialisations, le traitement d’une plus grande quantité d’informations, ou l’engagement dans de nouvelles sortes d’activités. Par exemple, pour faire face au terrorisme, nous créons de nouvelles agences gouvernementales et augmentons les contrôles sur tous les types de comportements d’où une menace peut émerger.

Mais la complexité dans les résolutions de nos problèmes atteint le point des rendements décroissants : passé un seuil, vous payez de plus en plus pour obtenir de moins en moins de bénéfices.

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La complexité de la réalité fait notre fragilité

extraits : Pendant près de 300 000 ans, nous avons vécu dans des petits groupes simples, quelques douzaines d’individus ou moins. Ce n’est que depuis 10 000 ans que certaines sociétés humaines ont commencé à grossir et à se complexifier. La manière dont nous vivons actuellement est une anomalie. En effet dans tout système vivant, la complexité a un coût métabolique. Plus un système est complexe, plus il nécessite de l’énergie…

coût de la complexité

extraits : L’homme moderne s’est dépersonnalisé si profondément qu’il n’est plus assez d’hommes pour tenir tête aux machines. Un système automatique fonctionne mieux avec des gens anonymes, sans mérite particulier, qui sont en fait des rouages amovibles et interchangeables. Nous ne maîtrisons plus la chaîne de la spécialisation des tâches, rendant chaque individu complètement dépendant de la bonne marche de la société. Plus la division du travail est poussée, plus la société est fragile.    Pour Richard Heinberg dans Pétrole, la fête est finie ! (traduction française, 2003), entre 2 et 5 milliards d’êtres humains n’existeraient probablement pas sans les combustibles fossiles. Lorsque l’afflux d’énergie commencera à décliner, l’ensemble de la population  pourrait se retrouver dans une situation pire encore que si les combustibles fossiles n’avaient jamais été découverts. Les sociétés  complexes tendent à s’effondrer car leurs stratégies de captage de l’énergie sont sujettes à la loi des rendements décroissants….   

Bientôt un diplôme de « savoirs verts » !

extraits : La difficulté intrinsèque de l’éducation à l’écologie vient principalement du fait que les trois domaines que sont l’économie, la nature et le développement social, déjà complexe en eux-mêmes, doivent être appréhendés dans une perpétuelle interaction. Une approche globale, systémique, est donc indispensable. Dans une société où les règles de pensée sont extrêmement binaires (le monde est divisé en bons et méchants, entre pays riches et pays pauvres, etc.), la complexité n’est pas évidente à admettre. L’idée de complexité s’accompagne de la prise de conscience des interactions, des interdépendances, des systèmes ouverts et dynamiques. L’école est bien loin de ce qu’il faudrait faire, on commence juste à envisager pour la 3e un apport de connaissances verdissantes…

La difficulté de l’école à enseigner l’écologie

extraits : L’écologie est une approche globale de la réalité, transdisciplinaire, faisant appel aussi bien aux connaissances biologique et chimiques qu’à l’économie, la sociologie, l’ethnologie, la politique, l’histoire, la géographie, etc. Or l’organisation des temps scolaires, avec le modèle « un cours, une matière, un professeur, une classe », laisse peu de place aux croisements de disciplines. Il faudrait s’affranchir du modèle « boîtes à œuf » : une heure, une classe. Comment ? L’histoire des textes officiels en dit long sur la difficulté de l’école à enseigner la transition écologique. Apparue en France en 1977, l’éducation à l’environnement y a été reprise sous l’intitulé plus euphémisé d’« éducation au développement durable », qui intègre l’économique et le social….

Cri de colère contre les sciences économiques

extraits : Diplômé en sciences économiques, enseignant en sciences économiques et sociales, conscient de l’urgence écologique, je (Michel Sourrouille) constate le gouffre qui existe entre les universitaires spécialisés en économie et les réalité de notre temps , y compris climatique. L’origine du problème vient du manque d’interdisciplinarité d’une approche néolibérale (lois du marché naturel, système concurrentiel, abondance des ressources, etc.). Les sciences économiques n’ont pas encore changé de siècle, mais comme on a échafaudé des montagnes de théories qui servent à justifier les politiques économiques d’aujourd’hui, cette idéologie fait encore la loi….

7 réflexions sur “Interdisciplinarité face à l’urgence écologique”

  1. Un partisan de la décroissance doit être bien au clair que le secteur tertiaire tout entier est un secteur parasitaire. Seul le secteur primaire, l’agriculture, donne les moyens de se nourrir et c’est sa plus-value qui permet au reste de la population d’exister. Les « services » comme l’hébergement, la restauration, le commerce, l’enseignement, les transport… on peut s’en passer. Si on ne se déplace pas, un seul logement suffit, le sien. On se fait à manger soi-même ce qui évite d’aller au restaurant. Le commerce peut être réduit au strict minimum, avec le tailleur local qui habille et la forge qui permet l’outillage de base. Les transports, à quoi ça sert si on arrive à se satisfaire de son milieu environnant. Quant à l’école, c’est du bourrage de crâne. Les enfants apprennent à parler avec leurs parents et le groupe d’appartenance, le contenu de l’enseignement actuel est à 90 % inutile et pour le reste inutilisable.

    1. Esprit critique

      Et les soins (la santé), c’est comme l’école … ON peut s’en passer ? Et la culture, la musique, les distractions, les artistes, les clowns … pareil, tous des parasites peut-être ?
      C’est un point de vue. Du mien je pense que le monde serait bien triste sans tout ça. Primaire, secondaire, tertiaire et même quaternaire, pour moi cette classification n’a aucun sens. Les activités, rémunérées ou pas, devraient être classées selon leur véritable utilité (ou réel intérêt) pour la Collectivité. La publicité, par exemple, est une activité non seulement inutile, mais néfaste. Produire en France du maïs (agriculture) qui servira à engraisser des bœufs outre-Atlantique, ce n’est pas mieux comme activité.
      Tout ça est complexe je le concède, c’est justement le sujet de cet article.

  2. Le coût de la complexité est effectivement un grand manque dans l’enseignement des sciences économiques, mais cela n’est que le reflet en un point précis de sa négation dans tous les médias, dans toutes les réflexions et débats qui agitent nos sociétés.
    75 % des emplois relèvent aujourd’hui du secteur tertiaire.
    Ne voit-on pas qu’il s’agit là de la traduction de cette complexité ? Ce que nous produisons et l’organisation sociale que cela suppose conduit à ce que trois personnes sur quatre gèrent , mesurent, taxent, observent, autorisent… les activités des autres, ou au moins leur permettent de les mener (je pense notamment au transport).
    Ce ratio constitue une mesure assez pertinente de la baisse de productivité de nos sociétés prise dans leur ensemble.

    1. Je ne vous suis pas. Ou alors je n’ai pas compris où vous vouliez en venir.
      75 % des emplois relèvent aujourd’hui du secteur tertiaire, admettons.
      Seulement ça ne veut pas dire que trois personnes sur quatre gèrent, mesurent, taxent, observent, autorisent… (sic) autrement dit ne produisent (foutent) rien, si ce n’est du vent, ce qui explique alors la baisse de productivité.
      D’abord le secteur tertiaire est un fourre-tout, dans lequel ON mélange toutes sortes de services, allant de l’hébergement, la restauration, les soins (3 besoins essentiels), le commerce, l’enseignement, les conseils, les transports et j’en passe.
      Quant à la Productivité, ce n’est là encore (comme la Croissance) qu’une obsession des curés du Libéralisme (Capitalisme). La sacro-sainte Productivité se doit donc de croître pour des siècles et des siècles amen. Et en ce moment ON pleurniche parce qu’elle serait soi-disant en berne, que les Ricains font mieux que les Européens et patati et patata.
      ( à suivre )

      1. Quoi d’autre que les machines pour faire progresser la Productivité ?
        Les marchands de conseils (à la con) diront que yaka optimiser, simplifier, supprimer les doublons et blablabla. Oui je veux bien, mais jusqu’où alors faut-il aller ?
        Là encore où sont les limites ? Faut-il faire comme Trump, dégraisser à mort le Mammouth ? Oui si ON veut… mais n’oublions pas que la meilleure solution restera toujours le bon vieux presse-citron. Et bien sûr, Compétition oblige, toujours plus gros, toujours plus vite, toujours plus fort, le presse-citrons (à la con) !
        Mais bon, je n’ose croire que c’est vers ça que vous souhaitez aller… 😉

  3. – « Seuls six masters en France proposent actuellement la mention « science de la durabilité » … semble déplorer Soazig le Nevé. Comme je n’en avais encore jamais entendu parler… j’ai donc cherché à savoir ce qu’est cette nouvelle science.
    – La science de la durabilité : une approche émergente pour répondre aux défis sociaux et environnementaux (enseignementsup-recherche.gouv.fr)

    Une approche émergente donc. Autrement dit une nouveauté, une innovation.
    Je me dis alors qu’il faut peut-être attendre un peu, que la durabilité devienne à la mode, incontournable etc. Mais au fait… ça fait combien de temps déjà qu’ON nous bourre le mou avec ce foutu Développement Durable ?
    En 2023 ON nous a inventé une certification des «savoirs verts», pour les élèves de 3ème. L’objectif serait-il alors que les 80% d’une tranche d’âge accèdent au Master de la «durabilité» ?
    La bonne blague !

    1. Tout ça est bien joli, seulement je me demande encore si ce n’est pas comme beaucoup de choses. Comme par exemple ces maintes montées au créneau d’étudiants en économie (Les Éconoclastes) pour dénoncer le catéchisme orthodoxe.
      Les chiens aboient et la caravane passe. Mais ça fait combien de temps, déjà, qu’ON sait qu’une croissance infinie dans un monde fini est tout connement impossible ? Que même repeinte en vert la Croissance n’est pas durable ! Que la Course à la Croissance génère toujours plus de problèmes, que tout est lié etc. etc. etc. !!!
      Mais que nous faut-il savoir (science) de plus !!??
      Je propose donc que le certif des «savoirs verts» et le Master de la « durabilité » soient exigés pour accéder au métier de politicard .

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