Depuis 2007, il délivre tous les mois une chronique au journal La Décroissance. Alain Accardo, né le 3 mai 1934, est adepte d’une sociologie critique dans la continuité des travaux de Pierre Bourdieu, notamment sur les systèmes de reproduction des inégalités et de domination. Voici sa dernière prestation, à presque 90 ans, dans le mensuel de février 2024.
« Errare… perseverare… », en résumé :
Alain Accardo : Si l’on en croit les projections des experts de l’ONU, la population mondiale a atteint les 8 milliards d’individus en 2022 et devrait atteindre les 10 milliards en 2050. Est-il nécessaire de préciser que, de l’avis d’à peu près toutes les personnes réellement compétentes sur la question des équilibres démographiques, avec de tels effectifs de population l’état de la planète, d’ores et déjà inquiétant à tous égards, deviendrait absolument ingérable. Une autre thèse consiste à dire qu’assurément la situation deviendrait ingérable non pas à cause du nombre des êtres humains mais à cause de leur mode de vie. Ce qui signifie qu’on ne perdrait tout espoir d’éviter la catastrophe que si ces dix milliards s’obstinent à copier l’American way of life, comme s’efforcent, ou rêvent, de le faire actuellement la plupart des peuples de la Terre.
En revanche, si cette immense population apprenait à modérer ses appétits dans tous les domaines et sur tous les plans, la planète Terre pourrait continuer à se montrer hospitalière pour ses habitants. C’est là une hypothèse de nature à réjouir n’importe quel partisan de la Décroissance, mais qui ne va pas sans quelques interrogations. D’abord, d’où tire-t-on l’assurance que la population globale s’arrêtera d’augmenter une fois franchi le seuil des 10 milliards ? Ensuite comment être assuré que se produise dans le domaine de la fécondité un changement d’attitude sans précédent dans l’histoire de l’espèce ? Pourquoi pourrait-on se fier aux réactions d’une humanité qui a prouvé mille fois qu’elle préférait « danser sur un volcan » ? Rien n’est plus commun que l’erreur, tous les sages nous l’ont répété au fil des siècles.
Et qui peut encore douter aujourd’hui que la majorité des pays européens et au-delà ne soit tombée amoureuse du modèle américain au point de vouloir lui ressembler trait pour trait ? C’est malheureusement le constat d’une telle aliénation qui s’impose. Les mentalités modernes sont marques par le désir obsédant d’accumuler toujours plus de capital, tant chez les simples particuliers que chez les milliardaires. Cela rend encore plus douteuse la conversion massive et rapide d’une conversion à une décroissance économique.
Notre commentaire : Pour une fois et c’est une première, le mensuel de Vincent Cheynet laisse paraître un article sur le douloureux dilemme « décroissance démographique » et/ou décroissance économique. Après une condamnation sans nuance de la question malthusienne en 2009, une récente ouverture d’esprit se fait donc jour. Voici sur notre blog biosphere :
Comment réduire la population mondiale (décembre 2023-janvier 2024)
extraits : « Comment réduire la population mondiale avec bienveillance », tel est le titre d’un article de Nicolas Bertrand (un pseudo) du mensuel La Décroissance (décembre 2023-janvier 2024). C’est une première dans ce journal, aborder la question démographique à part entière sans porter ouvertement de jugement anti-malthusien. Son rédacteur en chef Vincent Cheynet va-t-il devenir adhérent de l’association Démographie Responsable ?…
Vincent Cheynet, la décroissance démographique (avril 2023)
extraits : Après des années de silence absolu sur la question démographique de la part du mensuel « La décroissance » et de son rédacteur en chef Vincent Cheynet, voici ce mois d’avril 2023 une première approche, disons assez « décalée ». Le grand titre en première page : « Pour sauver le monde, faites des bébés, pas la guerre ». L’article de fond en page 3 : la pensée stérile des « no kid »…
La surpopulation snobée par les décroissants (février 2023)
extraits : Les anti-malthusiens sont parfois virulents. Le mensuel « La Décroissance » a choisi une voie plus pernicieuse, ne jamais parler de la question démographique, même dans un monde aujourd’hui peuplé de 8 milliards d’une espèce grouillante, nous-mêmes. Voici un témoignage dans le courrier des lecteurs de février 2023 :
« Comment justifier une ignorance aussi perturbante du sujet de la démographie dans vos colonnes ? A travers ce qui ne peut être, à un stade aussi prononcé, qu’une omerta délibérée, vous pratiquez le même genre de manipulations-occultations que celles que nous reprochions aux systèmes en place. Si vous détricotez tous les dégâts que vous déplorez à longueur de numéros, vous verrez apparaître, à la base, le parallèle à la voracité, cette foutue démographie exponentielle. L’espèce humaine grouille et se vautre dans la profanation du miracle qu’est l’apparition de la vie sur la planète Terre.
MALTHUS, décroissant nié par les décroissants (2009)
extraits : Aujourd’hui encore, tout un pan du mouvement de la décroissance rejette le malthusianisme. Un dossier inclus en supplément de la revue La Décroissance (juillet 2009) titre : « La décroissance contre Malthus ». C’est une philippique contre les « malthusiens ». Vincent Cheynet, le rédacteur en chef, estime que c’est un débat miné : « Pour sauver l’humanité, faut-il sacrifier ce qu’il y a d’humain en nous ? » Il évoque une double facette du malthusianisme, la nécessité de prendre en compte les limites écologiques d’une part et une pensée antisociale d’autre part. Il écrit : « En fréquentant les milieux écologistes, nous croisons inévitablement des militants pour la réduction de la population humaine […] Il est particulièrement aisé de percevoir le caractère pathologique de leur démarche. »…
En savoir encore plus sur la surpopulation
Alerte surpopulation, le combat de Démographie Responsable (2022)
Surpopulation… Mythe ou réalité ? (2023)
Un panorama des pays surpeuplés,
Surpopulation généralisée dans tous les pays
Pour lutter contre la surpopulation,
https://www.demographie-responsable.fr/
Je propose à Vincent Cheynet de publier une critique du livre « Le Défi du nombre » !
Attention toutefois, le discours de Monsieur Accardo me semble un peu différent de celui de Démographie Responsable. Il admet bien sûr qu’il faut se préoccuper de démographie parce qu’il pense que nous n’arriverons pas à être sobres (enfin autrement que par la contrainte physique du manque de ressource).
Mais le problème est plus profond, même si nous étions sobres et avions assez de ressources pour faire vivre ainsi durablement plusieurs milliards de personnes, nous devrions décroître en nombre pour laisser de la place au reste du vivant, car nous avons tout éliminé et curieusement cet aspect écologique des choses, ce respect pour la Terre et ses autres habitants me semble absent du discours d’Alain Accardo. Si j’ai mal compris ses propos, pardon.
Je ne sais pas si Vincent Cheynet lit Biosphère, le mieux est donc que vous lui écriviez en personne. Merci de nous tenir informés de ce qu’il pense de votre proposition.
En attendant, je suppose que vous avez lu cette chronique d’Alain Accardo, dans son intégralité bien sûr. Moi qui l’ait lu je disais qu’elle laissait une sorte de goût amer.
Dès le début il parle de «l’état de la planète, d’ores et déjà plus qu’inquiétant à tous les égards». Je suppose donc qu’il n’oublie pas la biodiversité, c’est à dire les autres habitants de la Terre. De toute façon tout est lié, et tout écolo qui se respecte le sait. Quoi qu’il en soit le constat qu’il fait n’invite pas à se faire trop d’illusions.
( à suivre )
(suite et fin) Là où Accardo diffère de DR c’est que, contrairement à vous, il ne croit pas trop au contrôle des populations. Là encore il y croit autant qu’à l’apparition d’une seconde lune ce soir dans notre ciel :
– « La question des équilibres démographiques est une des plus complexes qui soient et il est difficile d’y intervenir à bon escient. C’est un scénario comportant tellement de variables […] qu’on peut craindre qu’elles ne soient pas toutes favorablement réunies avant longtemps. »
( ON pourrait lui répondre : « Qui ne tente rien n’a rien. »)
Ensuite il se pose une autre (bonne) question :
– « Ensuite – et c’est de loin la condition la plus importante -, comment être assuré que se produise dans un domaine qui a toujours échappé à ce genre de régulation «morale» un changement d’attitude sans précédent dans l’histoire de l’espèce ? »
( Et là ON pourra lui dire qu’il use du sophisme de la pente glissante. ) 😉
Ah si vous étiez venu à la conférence du 25 novembre Michel C, vous auriez écouté le discours du démographe Michel Garenne expliquant au contraire qu’il est tout à fait possible d’avoir des politiques démographiques efficaces, il a fait des études comparées très détaillées entre différents pays d’Afrique (vous pouvez si vous le souhaitez, écoutez ça sur le site de DR ou sur mon blog, on trouve les liens).
Pour la suggestion à Vincent Cheynet, je plaisantais, je ne vais pas donner dans la provocation en lui écrivant.
Le surnombre ne se résoudra pas par plus de répartition et d’équité mais au contraire par un appauvrissement de la majorité de la population et un enrichissement plus fort des riches. C’est déjà le cas depuis quelques années.
Autrement TINA (There is no alternative). ON dit amen et ON se couche.
Les plus motivés peuvent toujours ramer toujours plus fort, en prenant pour modèles ces milliardaires qu’ON dit partis de rien. Le mieux est encore de jouer au Loto. En tous cas je trouve que c’est triste d’en arriver là.
Si Alain Accardo, à la suite de Nicolas Bertrand (La Décroissance déc 2023-janv 2024), ont réussi à rabibocher Biosphère avec La Décroissance… j’en suis très content.
J’adhère évidemment, à 200%, au constat dressé à la fin de la première partie de cette chronique. Et finalement à son intégralité, qui nous laisse comme un goût amer.
La prise de conscience que la Conversion (à la décroissance) est aussi plausible que l’apparition d’une seconde lune ce soir dans notre ciel nous ramène (toujours et encore) à cette foutue question : Que faire ? (en attendant…)
En effet nous (« la majorité de la population des pays européens et au-delà » sic Accardo) sommes devenus des petit-bourgeois. Gentilhommes ou pas peu importe. Je me dis que d’en être conscient… c’est déjà ça. Seulement ça change quoi ?
Nous voilà donc, encore une fois, bien avancés. ( à suivre )
Storytelling : J’avais un copain, cheminot, très à gauche, très anticapitaliste, très encarté, très militant, et même très écolo. Comme nous partagions beaucoup d’idées nous passions des heures à refaire le monde. Et à mieux nous connaître. Il était bien rangé, une jeune femme, prof, deux jeunes enfants, une vieille bagnole, pour faire prolo. Et en même temps une belle maison, avec une belle bibliothèque. Beaucoup de BD, toute la collection de Tardi, des bouquins de YAB et de Hulot. Nous nous échangions donc des bouquins.
C’est ainsi que je lui avais prêté, et fortement conseillé de faire connaître à ses petits camarades de lutte… «Le petit-bourgeois gentilhomme – Sur les prétentions hégémoniques des classes moyennes » (Accardo 2009).
Je ne crois pas qu’il ait apprécié. En tous cas pas plus que lorsque je le qualifiais, tout autant que moi, de… bobo. Un jour il a déménagé et nous nous sommes perdus de vue.
Ceci dit… Biosphère, et bon nombre de commentateurs de ce journal, ne pourront plus dire que la Surpop est un sujet tabou à La Décroissance. Que les seules fois où elle l’aborde c’est pour flinguer Malthus et les malthusiens, pointer «le caractère pathologique de leur démarche» etc. Rien que ça c’est déjà ça. Qu’ON arrête une bonne fois pour toutes de se bouffer le nez. Seulement je ne crois pas que ce qui peut ressembler à «une récente ouverture d’esprit» fasse de la «décroissance démographique» le principal cheval de bataille de ce journal. Chacun sa came ! Et puis comment l’adhésion d’Accardo et de Cheynet à Démographie Responsable pourrait-elle changer les choses ?
Une chose est sûre, si un jour La Décroissance consacre ne serait-ce que la moitié de ses pages à nous raconter qu’il y a de la Surpop partout, que c’est intenable, ingérable, que trop c’est trop et patati et patata… je ne l’achèterais plus que pour le Pr. Foldingue. 🙂