La fin des temps faciles, nous y sommes déjà

L’une est économiste et professeure à l’université Lille 1, l’autre est sociologue et professeure à l’Université Paris-Dauphine. Elles écrivent dans une collection de la «Direction de l’information légale et administrative». Pourtant elles prennent fait et cause contre le croissancisme et le productivisme. Comme quoi la pensée dominante commence à se lézarder… Voici quelques extrait de leur livre* :

« Certains économistes, les techno-optimistes, guettent l’avènement de la Troisième Révolution industrielle censée découpler les taux de croissance. D’autres plaident pour une réduction radicale de la protection sociale, qui seule permettrait un retour de la croissance. Aucun d’entre eux ne semble prendre en considération l’urgence de la menace écologique et la nécessité de rompre avec la croissance et la productivité telles que nous les avons connues. La troisième voie, étroite, consisterait à organiser une transition comportant un changement radical de paradigme et permettant une réorientation de notre modèle de développement vers une société post-croissance dont la production serait organisée sous une condition très stricte : prendre soin du patrimoine naturel et de la santé sociale (dont la qualité du travail reste un élément déterminant).

L’activité économique, notamment dans ses modalités productivistes, a été le moteur de l’accélération des crises écologiques majeures. On peut donc s’interroger sur le sens à donner aux politique entièrement dédiées à la croissance alors que celle-ci contribue en plus à creuser les inégalités et n’a pas le caractère redistributif dont on la crédite trop souvent. L’évidence s’impose ainsi peu à peu : il nous faut apprendre à nous départir de la croissance, même verte, comme horizon de développement et de progrès.

Il est intéressant de lire l’auteur de l’expression «les Trente Glorieuses», qui termine son livre écrit en 1979 par un chapitre intitulé : la fin des temps faciles : «Depuis 1968, j’attendais la fin des Trente Glorieuses. Ma raison était simple. Une grandeur qui double dix fois de suite devient plus de 1000 fois plus forte qu’à son origine. Voyez-vous les gens consommer 1000 fois ou seulement 60 fois plus qu’aujourd’hui ? La production française a été multipliée par 5 en 27 ans, de 1947 à 1974. Cela fait une multiplication par 25 en 54 ans, par 125 en 81 ans, par 625 en 108 ans. Le maintien d’une telle croissance supposerait une production française de 100 milliards de tonnes d’acier vers l’an 2100, et mondiale de 25 000 milliards de tonnes.» Pourtant ce n’est pas ce mode de raisonnement qu’ont tenu les économistes et les responsables politiques dans les années qui ont suivi. l’augmentation du taux de croissance reste un objectifs absolument central. Il ne faut pas souhaiter renouer avec les taux de croissance de «l’Age d’or» ni attendre leur retour, car cela nous conduirait tout droit à la catastrophe.»

* Faut-il attendre la croissance ? de Florence Jany-Catrice et Dominique Méda
La documentation française 2016, 174 pages pour 7,90 euros