La loi de Gabor critiqué par Gabor lui-même

François Jarrige : « Certains inscrivent les évolutions en cours dans un mouvement prétendument inéluctable, ce que résume la « loi de Gabor » selon laquelle tout ce qui est techniquement faisable sera fait tôt ou tard. L’Intelligence Artificielle par exemple serait le visage du progrès en marche, inarrêtable. L’IA constitue la pièce la plus récente d’un puzzle global de vieilles promesse qui passent par la géo-ingénierie, la fusion nucléaire, la colonisation spatiale ou la lutte contre la mort. Les prétendues commissions « d’éthique » sont mises au service du techno-solutionnisme, donnant naissance à une forme de blanchiment éthique qui tend à se généraliser dans le champ numérique. Derrière ces prophéties se jouent surtout les rapports de force industriels et politiques pour capter la manne financière et éviter toute régulation. L’essor d’oxymores comme « innovation responsable » illustre parfaitement les dynamiques de neutralisation de toute critique.

Pourtant Dennis Gabor (1900-1979), effrayé par le décalage croissant entre la puissance des technologies et la fragilité des institutions sociales susceptibles de les encadrer, s’interroge très tôt sur la civilisation industrielle et son avenir. Ses ouvrages précèdent les alertes en 1972 du Club de Rome sur les limites de la croissance think tank auquel il a d’ailleurs contribué. Gabor met en garde contre le gaspillage croissant de matières, l’épuisement des minerais, l’accélération vertigineuse des techniques. Dans « Inventons le futur » (1963), il constate que « jusqu’à présent, l’homme a lutté contre la nature, désormais il devra lutter contre sa propre nature ». Avec la « loi de Gabor », pour lui il ne s’agissait pas de la valider, mais au contraire de la contester comme une formule creuse et idéologique, de la repousser comme un mensonge, « une maxime de l’évangile du Progrès Mécanique ». Il s’efforce au contraire d’imaginer des réponses sociopolitiques pour inventer un autre futur moins menaçant et destructeur. L’IA, comme toute autre création humaine, peut être remise en cause si on l’estime potentiellement toxique et source de dommages. »

Résumé de l’article « Contre le fatalisme de la société technicienne »

in La Décroissance (mars-avril 2025, page 26)

NB : ce mensuel, devenu bimensuel, fourmille de lectures approfondies sur l’état de plus en plus désespéré (et désespérant) de la société thermo-industrielle. A acheter pour qui ne veut pas mourir idiot.

La loi de Gabor sur notre blog biosphere

L’acharnement médicalisé à vouloir un enfant à tout prix

extraits : Les méthodes technicisées pour avoir un enfant se sont multipliées : stimulation ovarienne, fécondation in vitro, procréation médicalement assistée. Pourquoi donc ce mal de parentalité dans un monde déjà surpeuplé ? D’abord à cause de la pression sociale. Ensuite à cause de la loi de Gabor : « Tout ce qui est techniquement possible sera nécessairement réalisé ». Il faudrait même préciser « Tout ce qui est techniquement faisable se fera, que sa réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable »….

En finir avec la « neutralité » scientifique

extraits : Cosigné par une dizaine de membres du collectif Scientifiques en rébellion, un livre rappelle que dépolitiser la science conduit à protéger les intérêts dominants… Si les scientifiques allaient au bout de leur logique, ils s’interdiraient de pratiquer des recherches dans des domaines à vocation marchande, ils pratiqueraient une décroissance du domaine de la recherche pour se consacrer à ce qui fait vraiment avancer le bien commun. Mais d’autres scientifiques viendraient les remplacer, attirés par l’appât du gain. Alors faudrait-il brûler les labos de cette techno-recherche mal intentionnée ? La question doit recevoir une réponse…..

Le moment où la technoscience devient insupportable ! (2014)

extraits : Il ne faudrait pas toujours faire ce que nous savons faire, mais les techno-scientifiques n’ont jamais su ne pas faire ce qu’ils savaient faire. Pour l’instant nous sommes encore soumis à la loi de Gabor : « Tout ce qui est techniquement possible sera nécessairement réalisé ». Mais il suffirait que les États ne financent plus ce genre de recherches à haut risque pour que les chercheurs retrouvent le sens de la mesure et de la modération. Or la décision du gouvernement américain….

8 réflexions sur “La loi de Gabor critiqué par Gabor lui-même”

  1. Esprit critique

    La «loi» de Gabor a été critiquée par Gabor lui-même, par Jacques Ellul et bien d’autres.
    À 11:30 j’ai osé critiquer IPAT… Seulement Gabor OK mais pas Kaya !
    Pourtant plus d’un l’ont démontée, cassée… sans pour autant passer pour d’affreux négationnistes ou je ne sais quoi.
    – « Casser l’équation de Kaya, c’est ce que propose Cédric Ringenbach, Fondateur de la Fresque du Climat lors de son intervention au TEDx de Bruxelles en septembre 2022. »
    (L’équation de Kaya : une impasse ? entracte.eco 16 janv. 2025)

    Nos raisonnements reposent trop souvent sur des idées reçues, là dessus viennent se greffer toutes sortes de biais, ce qui fait qu’à l’arrivée ON a tout faux.
    Les exemples sont nombreux, hélas. (à suivre)

    1. (suite) De plus tout est lié, et certaines choses très compliquées. Ce qui fait qu’ON a tendance à jeter l’éponge et se contenter d’explications (théories) simplistes. Généralement celles qui nous arrangent le mieux.
      Et c’est comme ça que tourne le monde, pas très rond. Misère misère !

      Les Décroissants disent «Penser global, agir local». Même que d’autres, pas du tout décroissants, se sont emparés de ce slogan. Mon dieu quelle pagaille !
      Alors que faire ? Pour moi il vaut mieux ne rien faire… que faire de conneries.
      Pour moi, agir (faire) c’est d’abord penser (réfléchir). Rien d’autre que cette décolonisation de l’imaginaire que prône Serge Latouche. Critiquer dans le sens de déconstruire, comme l’ont fait de nombreux penseurs, pour en arriver finalement à casser, contester, nier ce qu’ON prenait jusque là pour une vérité, une loi… de la nature.
      Alors que ce n’était qu’une simple idée reçue (lieu commun).

    2. Esprit critique

      Kaya ou Gabor peu importe, cet article peut servir d’entraînement :
      – « Equation de Kaya » prise en défaut : la croissance provient du travail humain, pas de l’énergie disponible ! (europeanscientist.com)
      Lisez l’article, ET les commentaires… et faites-vous votre opinion sur cette «théorie».
      Non pas celle de Kaya, mais celle de cet ingénieur… fou de travail, et d’innovations.
      Hors-mis que je n’en ai aucun, et surtout pas Kaya… notez que les ennemis de mes ennemis ne sont pas nécessairement mes amis. 😉

  2. – « On ne peut qu’être frappé par la similitude de cette « loi » avec l’énoncé de Jacques Ellul dans son ouvrage classique La technique ou l’enjeu du siècle : « Parce que tout ce qui est technique, sans distinction de bien et de mal, s’utilise forcément quand on l’a en main. Telle est la loi majeure de notre époque. » » (Wikipédia)

    Gabor savait très bien ce qu’est une loi scientifique. Comme celle-ci n’en a que le nom, les guillemets sont donc indispensables. La «loi» de Gabor ne pouvant pas être mise sur le même plan que la loi de la gravitation (Newton), ou que la poussée d’Archimède, elle ne peut donc être que critiquée (contestée). C’est donc ce que fit Gabor lui-même, comme Ellul.
    – « pour lui il ne s’agissait pas de la valider, mais au contraire de la contester comme une formule creuse et idéologique, de la repousser comme un mensonge, « une maxime de l’évangile du Progrès Mécanique ». » (F. Jarrige)
    (à suivre)

    1. Esprit critique

      (suite) La «loi» de Gabor est en effet une maxime (une formule, un axiome, un postulat, un dogme…) « de l’évangile du Progrès Mécanique ». Elle n’a donc de sens (ou de valeur) que pour ceux qui croient en ce Progrès qui progresse, et ces innovations qui innovent, pour des siècles et des siècles amen. Nous ne sommes évidemment plus là dans le domaine scientifique, mais dans celui du religieux.
      Cette «loi» est exactement du même type que cette formule (creuse), la fumeuse équation I=PAT , que certains considèrent également comme parole d’évangile. 😉
      (à suivre)

      1. Michel C dixit : « cette formule (creuse), la fumeuse équation I=PAT »…

        Désolé Michel, IPAT constitue une formule mathématique irréfutable qui permet de discerner, de façon simplifiée certes mais réaliste, l’impact écologique de nos comportements.
        Dénigrer une façon d’expliquer à autrui les causes de notre gaspillage actuel ne permet pas de soutenir une intelligence collective plus que balbutiante à l’heure actuelle… Dommage(able).

        1. Désolé Biosphère, je n’ai fait que dire que cette équation ne pouvait pas être considérée comme une loi scientifique. Je ne vois donc pas ce qu’il y a de répréhensible à ça.
          – « Une déclinaison de l’équation I = PAT est l’équation de Kaya […]
          Mario Bunge a souligné que l’identité de Kaya était une tautologie qui se réduit à C O 2 = C O 2 , ce qu’il considère comme « incontestable, mais vide » »
          (Wikipédia : I = PAT et Identité de Kaya)

          Je pense (pour l’intelligence collective) qu’il vaut mieux éviter de s’enliser dans des débats stériles. Alors bien sûr, en citant cette formule je reconnais avoir un peu… provoqué. Mais pas pour choquer… seulement pour faire réfléchir. 🙂
          Comme moi vous contestez la «loi» de Gabor… et c’est très bien comme ça.

    2. – « La Décroissance (mars-avril 2025) […] fourmille de lectures approfondies […]
      A acheter pour qui ne veut pas mourir idiot. »

      Ce numéro est titré « Ne travaillez jamais ? » De la même manière que pour le Progrès, le point d’interrogation nous invite seulement à critiquer (dans le sens de penser, repenser…) cette valeur sacrée pour plus d’un… le Travail.
      Entre autres : Le travail, pour quoi faire ? (p.3) Qu’est-ce que le travail ? (p.15) Vivre sans produire ? (p.22) La paresse à l’ombre des robots (p.23) etc.
      Seuls les idiots pourront penser que tout ça n’est qu’un éloge de la glandouille.
      Et comme tout est lié : Faut-il tirer sur l’OFB ? (p.27)
      L’article de F. Jarrige (p.26) est titré « Contre le fatalisme de la société technicienne ».
      Le fatalisme… le défaitisme, l’aquabonisme, le pessimisme, le catastrophisme etc.
      Bref, la fainéantise (misère) intellectuelle… ON en crève !

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