La nature sans les humains se porterait beaucoup mieux

L’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) inaugure le 22 avril, au cœur de la Drôme, la première réserve privée de vie sauvage, celle du Grand Barry. Objectif de ce lieu inédit en France : laisser la nature s’exprimer sans la moindre intervention humaine. Sont interdits la chasse et la pêche, l’exploitation forestière et agricole, l’élevage, les feux, les dépôts de déchets, le passage de chiens non tenus en laisse et même la cueillette. Seule la promenade non motorisée, sur les sentiers, est autorisée. Ce niveau de protection très élevé et unique en France correspond à la catégorie 1b (zone de nature sauvage) du classement des aires protégées, réalisé par l’Union internationale de conservation de la nature. Le seul mode de gestion est la libre évolution*. Bravo !

                Mais les chamois, chevreuils, biches ou cerfs vont pulluler. Qui servira de régulateur s’il n’y a plus de  chasseurs ? Faudra-t-il réintroduire des loups ? En fait le problème essentiel du Grand Barru est sa petite taille, 110 hectares. La libre évolution sur une aussi petite superficie nous semble impossible. A titre de comparaison, le parc national de Yellowstone, créé en 1872, s’étend sur 8 983 km2, soit 898 300 hectares, une superficie plus importante que celle de la Corse. Mais laisser de la place à la vie sauvage permet de nous faire rêver : que serait donc la planète sans l’espèce humaine ?

Il ne nous semble pas que le règne de ce singe qui se croit intelligent soit la meilleure chose qui soit arrivé à la biosphère. Un livre** recense tout ce que les humains laisseraient derrière eux s’ils disparaissaient soudainement. « Regardez votre maison, votre ville, les terres alentours… Ne touchez à rien, contentez-vous d’extraire les être humains. Et voyez ce qui reste… Les réseaux péniblement entretenus par des myriades d’humains se briseraient rapidement, les canalisations d’eau exploseraient avec le gel, les métros souterrains seraient envahis par les eaux, les barrages et canaux engorgés de vase déborderaient, la végétation recouvrirait le bitume et le béton, tout ce qui fait les routes et les villes, les maisons et les usines disparaîtrait du regard. Ce processus ne prendrait que quelques centaines d’années. Mais les métaux lourds comme le plomb, le mercure ou le cadmium mettraient des millénaires à être recyclés et la concentration en gaz carbonique dans l’atmosphère ne retrouverait des niveaux pré-humains que dans au moins 100 000 ans. Il faudra même attendre que les processus géologiques refaçonnent la surface de la Terre pour que soit anéanti le plastique de la poupée Barbie. »

                Pour conclure, terminons par cette fabuleuse image d’une société sans nature sauvage : « Le destin final de l’homme posthistorique est de se transformer en un homoncule artificiel dans une capsule autopropulsée, voyageant à la vitesse maximale et ayant éliminé toute forme spontanée de vie de l’esprit. Considérons un pilote d’avion supersonique. Voici le nouvel homme mécanique, avec tout son harnachement, hermétiquement isolé de l’extérieur, sa combinaison chauffée électriquement, son casque à oxygène, monstrueux animal squameux ressemblant plus à une fourmi géante qu’à un primate. Peut-on appeler cela une vie ? Non. C’est un coma mécaniquement assisté. » (Lewis Mumford, 1956)

* LE MONDE du 20-21  avril 2014, Dans la Drôme, des terres rendues à la vie sauvage

**Homo disparitus d’Alan Weisman

3 réflexions sur “La nature sans les humains se porterait beaucoup mieux”

  1. Oui, c’est trop petit, pourtant chapeau à ceux qui ont fait cela, ils ont fait le mieux qu’ils pouvaient dans le cadre de leur moyens. La seule façon de protéger la nature n’est pas d’inventer des règles compliquées, elle est de lui laisser de l’espace et du temps. Réservons-lui de vastes zones sur les terres et sur les mers, où nous nous interdirions d’agir, voir même de pénétrer. La nature se débrouille très bien si on la laisse tranquille, cela fait au moins 500 millions d’années qu’elle le prouve (je ne compte que depuis l’apparition des grands animaux). Nous en 10 000 ans (surtout les 100 dernières) on a tout brisé, la messe est dite.

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