La souveraineté alimentaire, une notion dévoyée

Faire de la souveraineté alimentaire de la France la boussole des politiques publiques agricoles, inscrite dans la loi : c’est l’un des principaux objectifs du projet de loi d’orientation agricole examiné à l’Assemblée nationale en séance à partir de mardi 14 mai 2025. Mais ce projet de loi ne définit pas la souveraineté alimentaire. C’est simplement une liste hétéroclite de soutien à l’agriculture productiviste qui s’éloigne du sens originel de souveraineté obtenue grâce aux paysans.

Après la création de l’Organisation mondiale du commerce, en 1995, les États défendaient l’idée qu’il fallait ouvrir les marchés pour rendre l’alimentation moins chère et permettre aux pauvres de se nourrir. C’était n’importe quoi parce que la majorité de ceux qui ont du mal à survivre, ce sont les paysans pauvres, et baisser leurs revenus n’allait pas les aider. La souveraineté alimentaire est alors définie par Via Campesina (« la voie paysanne ») en réaction au libre-échange. C’est la capacité des peuples à décider de leur alimentation et convenir du modèle pour y parvenir, dans le respect de ceux qui travaillent la terre et des ressources naturelles. On prend ainsi ses distances avec une autre notion, celle d’autosuffisance alimentaire ; il ne s’agit pas de mettre fin au commerce international mais de préserver sur chaque territoire un tissu rural vivant. Une définition reprise et affinée par les Nations unies dans une « déclaration sur les droits des paysans », adoptée en Assemblée générale, en décembre 2018. On s’oppose aux discours portés par une agro-industrie sur la « sécurité alimentaire » selon laquelle, pour nourrir la population mondiale, le lieu de production importe peu à partir du moment où chacun a accès à une nourriture suffisante.

Aujourd’hui en France, la FNSEA relayée par le gouvernement en appellent à l’impératif de « souveraineté » pour justifier le besoin de maximiser la production agricole française et déroger à certaines règles environnementales. En guise de symbole, Marc Fesneau, nommé ministre de l’agriculture en 2022, avait fait inscrire le terme de « souveraineté alimentaire » dans l’intitulé même de son portefeuille. Une conception de la « souveraineté alimentaire » instaurée comme « intérêt fondamental de la nation » vise, selon la nouvelle ministre de l’agriculture, Annie Genevard, à « la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture française ». C’est sans le dire explicitement un soutien à l’intensification de la production et à une politique d’exportation qui nécessite en retour d’importer des pesticides et des engrais, ainsi que du soja pour nourrir les animaux d’élevage.

Notons que la France est certes une grande puissance céréalière, mais les importations d’engrais la rendent dépendante des pays producteurs de gaz, notamment la Russie, et des énergies fossiles ; elle exporte des matières premières brutes (blé, carcasses de porcs, jeunes bovins), mais importe des produits transformés (farines, pâtes et semoules, charcuteries et viande transformée)… Nous nous éloignons de la souveraineté agricole !

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Souveraineté alimentaire (2008)

extraits : Jeffrey Sachs propose (Le Monde du 16.05.2008) d’envoyer en Afrique semences, engrais, techniques d’irrigation. De l’irrigation en Afrique alors que l’eau y est déjà une denrée rare ? Des engrais alors que leur coût a été multiplié par trois ou quatre en l’espace d’un an ? Des semences à haut rendement alors que les sols africains comptent parmi les plus épuisés de la planète  ? Du productivisme agricole pour devenir exportateur de céréales comme le Malawi ? Et combien de temps durera l’aide financière massive des pays riches que réclame Jeffrey Sachs ? Il ne faut pas chercher bien loin pour connaître la seule solution durable. L’article haut de page nous décrit la bataille contre la faim des Camerounais. Rompant avec le libéralisme et la priorité aux importations de vivres imposée par le libre-échange généralisé, le gouvernement camerounais magnifie désormais l’agriculture nationale et vise la souveraineté alimentaire….

tous paysans en 2050 (2009)

extraits : Autrefois nos parents étaient presque tous des ruraux, demain nous serons tous paysans. De gré ou de force. En effet en 2050, nous serons au lendemain des grands chocs écologiques qui vont déstructurer la société thermo-industrielle. Ce sera comme pendant une grande guerre, la pénurie et le rapprochement des campagnes. Ce sera le retour des paysans comme décrit par Silvia Pérez-Vitoria : « Dès le début de l’industrialisation, la paysannerie a constitué un enjeu idéologique. Elle fut dénigrée par les tenants de la modernisation, les termes ne manquent pas : cul-terreux, bouseux, plouc, péquenot…La souveraineté alimentaire, le droit de produire nos aliments sur notre propre territoire, pose la question de la finalité de l’agriculture. Elle s’articule avec la défense d’une relocalisation de l’agriculture vivrière… »….

Schmallenberg : sécurité alimentaire contre libre-échange (2012)

extraits : En 1986, l’agriculture entre dans les accords du GATT avec l’Uruguay Round. La suprématie de la marchandise sur l’aliment est actée dans des textes internationaux. Le seul intérêt est le développement du commerce et les profits des transactionnaires (firmes agro-exportatrices, sociétés de transports, assurances, banques). Cela ne favorise ni l’alimentation de la population, ni l’activité du paysan local, ni les économies d’énergie. Le protectionnisme est une condition incontournable de l’autonomie. Via Campesina demande le retrait de l’agriculture de l’OMC (organisation mondiale du commerce), ou plutôt le retrait de l’OMC de l’agriculture….

pas de sécurité alimentaire sans planning familial (2012)

extraits : Personne ne peut s’exprimer décemment sur la faim dans le monde en oubliant l’évolution exponentielle de la démographie humaine. Il ne faut pas « seulement » s’interroger sur la manière de produire des aliments, mais aussi sur notre manière de faire des enfants. Jamais la sécurité alimentaire ne sera atteinte si on s’occupe seulement de nourrir les ventres affamés. En agissant ainsi, la population continuera d’augmenter plus vite que les ressources agricoles car cela constitue un permis de procréer….

Autonome grâce à son potager, c’est possible (2018)

extraits : A l’heure de la mondialisation de la production alimentaire, produire une partie de sa propre nourriture est un acte fort pour retrouver une partie de son autonomie. Il s’agit d’une démarche individuelle relativement simple et rapide à mettre en place. Il vous suffit de suivre les conseils prodigués par Blaise Leclerc dans son livre « Produire tous ses légumes, toute l’année ».  Il vous y donne des exemples….

Sécurité ou souveraineté alimentaire ? (2024)

extraits : L’agriculture techno-industrielle liée à la marchandisation mondialise des ressources alimentaires a été une catastrophe : paupérisation des paysans traditionnels, dépendance totale des consommateurs occidentalisés envers les filières agricoles des multinationales. Il faut soutenir les petits paysans et prendre en compte les processus écologiques comme le fait l’agriculture biologique. Il faut une retour aux savoirs locaux et communautaires, afin de retrouver une autosuffisance alimentaire pour assurer une sécurité alimentaire durable.

Lire aussi, Via Campesina, luttes paysannes dans le monde et accords de libre-échange par Pierre Grillet >> lire

3 réflexions sur “La souveraineté alimentaire, une notion dévoyée”

  1. – « la FNSEA relayée par le gouvernement en appellent à l’impératif de « souveraineté » pour justifier le besoin de maximiser la production agricole française et déroger à certaines règles environnementales. [etc.] »

    Et c’est uniquement pour ça. MAXIMISER la production, ici agricole, autrement dit MAXIMISER le Profit, ce qui n’est rien d’autre que la raison d’être du Capitalisme.
    Et c’est au nom de leur fumeuse «souveraineté alimentaire», notion sciemment dévoyée (détournée, falsifiée), que le 18 février dernier nos sénateurs ont supprimé du code rural l’objectif d’atteindre 21 % de surfaces agricoles en bio en 2030 (Biosphère 19 fév 2025).
    Tout en ayant, et en même temps, le culot de prétendre protéger le principe de non-régression en matière de protection de l’environnement.

    1. Esprit critique

      Le Capitalisme a cette formidable capacité de récupérer et digérer tout ce qui lui fait obstacle. C’est d’ailleurs ce qui fait son dynamisme. Les exemples sont innombrables :
      – Les conservateurs ont changé le sens des mots (sudouest.fr/ 10/02/2017)
      – Quand le capitalisme retourne les valeurs de l’éducation (openedition.org 2022)

    2. – « La notion de « souveraineté alimentaire », mise en avant face aux crises du monde agricole, s’est éloignée de son sens initial pour incarner une vision « néoproductiviste », relève Olivier de Schutter, le rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme. »
      ( Le concept de souveraineté alimentaire a muté, pour un expert de l’Onu –
      terre-net.fr – 23 février 2025 )

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