La tragédie des horizons, ce qui nous pend au nez

Voir plus loin que le petit bout de notre nez est nécessaire si on ne veut pas s’écraser quelque part. L’écologie est une tentative scientifique qui envisage l’équilibre durable ou non d’une espèce par rapport à son milieu de vie. On mesure les effets des émissions de gaz à effet de serre sur le climat, on constate l’extinction de la biodiversité ou l’artificialisation des territoires, on soupèse l’avenir de la ressource halieutique ou hydrique, etc. Les conséquences à long terme peuvent être terribles pour l’espèce s’il y a un fort décalage entre population et ressources. L’écologie politique essayer d’en tirer des conséquences au niveau institutionnel. Mais pour le moment, sauf très rares exception, partis politiques, ménages , entreprises et État gardent une forte préférence pour le court terme. Il est paradoxal de constater que c’est le monde de la finance qui commence à s’inquiéter. Mark Carney, directeur de la banque d’Angleterre, a évoqué en 2015 ce qu’il appelle la tragédie des horizons qu’il nous faudrait briser :

« Nous n’avons pas besoin d’une armée d’actuaires pour nous dire que les conséquences catastrophiques du changement climatique se manifesteront bien après les horizons traditionnels de la plupart des acteurs, imposant un coût aux générations futures que les générations actuelles n’ont pas d’intérêt direct à régler. Cela est au-delà du cycle économique, du cycle politique, et de l’horizon des autorités technocratiques comme les banques centrales. Pour la stabilité financière, c’est un peu plus long, mais généralement jusqu’aux limites du cycle de crédit, environ une décennie. En d’autres termes, une fois que le changement climatique devient un sujet pour la stabilité financière, il est peut-être déjà trop tard… »

Les marchés financiers peuvent au mieux synthétiser l’information récente au regard du passé. Mais ils sont incapables de calculer le risque d’événements survenant à long terme. Même les investisseurs publics ne possèdent pas l’horizon nécessaire et les acteurs de ce secteur n’orientent pas spontanément les flux de capitaux vers l’économie « bas carbone ». Aujourd’hui Mark Carney, est devenu premier ministre au Canada, va-t-il se soucier du long terme ? Sa carrière politique est météorique. En septembre 2024, il est choisi pour diriger un groupe de travail du Parti libéral du Canada sur la croissance économique en vue des élections fédérales de 2025. Il se lance en dans la course à la direction du parti consécutive à la démission du premier ministre Justin Trudeau. Le 9 mars 2025, il remporte les élections internes avec 85 % des voix. Mark Carney est officiellement nommé premier ministre du Canada par la gouverneure générale Mary Simon, et assermenté le 14 mars 2025. On attend la suite quant à l’urgence écologique !

Comment surmonter « la tragédie de l’horizon » ? Les mutations du capitalisme provoquent des crises systémiques de longue durée parce que le croissancisme est vénéré par tous. Le mot sobriété est utilisé timidement dans certains discours politiques, mais l’idée de décroissance maîtrisée est encore tabou. Les questions du long terme ne sont pas encore l’horizon des préoccupations électorales. L’effondrement de notre mode de développement est donc programmé. Une tribune dans LE MONDE envisage cette perspective.

Eric Macé : « Il est maintenant bien établi que le mode de développement moderne déployé depuis plusieurs siècles, fondé sur un rapport extractiviste à la nature n’est pas durable. Les équilibres planétaires connus depuis les 11 000 dernières années au sein de l’holocène sont en train de vriller à un rythme dont la rapidité rend de plus en plus certaines des menaces aux conséquences incalculables. Alors que la modernité fondait sa légitimité historique sur le projet d’émanciper les humains de leur vulnérabilité originelle par le biais des bénéfices du progrès et de la croissance dans un futur illimité, le paradoxe tragique vient que ce mode de développement conduit à une vulnérabilité plus grande encore car non plus locale mais globale. Une pression anthropique exponentielle sur les équilibres planétaires menace les conditions mêmes d’existence des humains et des non-humains.

Les logiques capitalistes, extractivistes, inégalitaires, impérialistes, sont redevenues la norme et menacent toutes les formes existantes de coopération internationales concernant une action concertée de réduction des gaz à effet de serre et de restauration de la biodiversité. Reste à savoir qui seront les acteurs capables de porter un projet de rupture socio-écologique.

Le point des vue des écologistes bien informés

Rien de nouveau dans ce constat de Macé, c’est ce qu’écrivait déjà le rapport de 1972 sur le limites de la croissance : l’effondrement aura lieu au cours de ce siècle si les tendances croissancistes ne sont pas inversées. En d’autres termes, nous avons perdu plus de 50 ans en nous goinfrant de ressources naturelles de plus en plus limitées et dégradées. La conclusion d’Eric Macé, est terrifiante : «  Les logiques extractivistes, inégalitaires… sont redevenues la norme. Reste à savoir qui seront les acteurs capables de faire autrement ». Aucun pays, aucun parti en France, aucune personnalité politique ne tient devant les citoyens un discours de vérité : dire entre autres que nous allons au désastre si nous râlons contre le prix de l’essence (jugé toujours trop cher) alors que notre avenir est à la disparition de la voiture individuelle.

Notre plus ancien article sur la considération du long terme

27.12.2005 Le dernier mot à la coopération

Le prix Nobel d’économie est habituellement décerné à d’ardents défenseurs de la microéconomie et de la compétition, ce qu’on appelle élégamment la « concurrence ». Mais cette année 2005 le prix a été décerné à R.Aumann « pour avoir amélioré notre compréhension du conflit et de la coopération ». Il y a d’abord la prise en compte du long terme : quand une interaction sociale se répète au cours du temps, le comportement agressif d’un acteur, même s’il lui est favorable à court terme, lui est défavorable à long terme s’il prend en considération la chaîne de réactions que son comportement va induire. Ensuite la vertu de la médiation qui favorise la coopération. Pour une fois l’économie se rapproche des fondements de l’écologie. Dans l’organisation symbiotique du vivant, ce n’est pas la compétition et la domination qui sont les stratégies les plus efficaces, mais les systèmes de coopération. Un naturaliste américain faisait remarquer qu’on ne trouve pratiquement pas d’individualisme dans la Nature, une communauté biotique fonctionne comme une république de plantes et d’animaux étroitement associés se rapprochant davantage d’un organisme autonome qu’aucune de ses parties constituantes. L’avantages des alliances biotiques, c’est que la coopération est totalement inconsciente, une interdépendance mutuelle automatique. C’est l’équilibre automatique du marché en dehors de toute présence humaine.

Le monde humain est chaotique et entraîne une fragmentation de l’être, alors que celui de la Nature est une communauté étroitement soudée, un organisme complexe unique qui transcende tous les conflits et toutes les mesquineries, un champ de matière parcouru de courants vitaux même si les relations entre proies et prédateurs ne sont pas de tout repos. L’intrusion de la volonté humaine ne peut que perturber cet équilibre dynamique sauf à construire le sens de la coopération non pas simplement entre humains, mais entre activité et humaine et respect des écosystèmes.

En savoir plus grâce à notre blog biosphere

Écologie, choix du long terme contre le CT (juin 2024)

extraits : La seule chose dont on peut être certain est que le long terme finit toujours par l’emporter sur le court terme. La catastrophe écologique actuellement en œuvre a pour cause essentielle l’incapacité de l’espèce humaine à raisonner sur le long terme, à anticiper les drames à venir.Une des caractéristiques principales de l’écologisme est sa préoccupation du long terme, à savoir le sort des générations futures et de la biodiversité. Cette pensée du futur peut rendre optimiste. Certes la montée de l’extrême droite en France et dans beaucoup de pays fait en sorte que l’urgence écologique n’est pas du tout ressentie….

1 réflexion sur “La tragédie des horizons, ce qui nous pend au nez”

  1. Didier BARTHES

    C’est sur ce point que l’on peut mesurer l’importance de la surpopulation, car en réalité la non prise en compte du long terme n’est pas une nouveauté. Dans l’essentiel des cas (on trouve quelques exceptions) les société humaines ne se sont pas préoccupé du long terme, Parfois elles l’ont préservé, mais plus par absence de technologie que par pensée et par volonté.
    La différence, c’est que cette indifférence au long terme n’avait pas les mêmes conséquences dans les sociétés prénéolithiques où l’homme se comptait en centaines de milliers sur la planète (peut-être en quelques millions à l’approche de l’an – 10 000) et aujourd’hui quand nous sommes 10 milliards.
    Nos effectifs engagent l’avenir de la vie sur la Terre, ce ne fut pas le cas par le passé.
    Les horizons… sont noirs de monde.

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