L’art de bien vivre de peu, comportement à contre-courant

La manière dont personnellement tu vis et consommes a des répercussions tant sur la vie des autres personnes que sur celle des non-humains et des générations futures. Quelles sont donc les caractéristiques de la simplicité volontaire ?

La simplicité volontaire se heurte d’abord au problème de la définition d’un mode de vie acceptable.  Il n’y a presque aucune norme de consommation a minima : par exemple tous les moyens de subsistance d’un ascète indien peuvent provenir uniquement de l’univers mortuaire. S’il porte une tunique, c’est celle d’un défunt. Son unique bien, signe distinctif des vrais aghoris, c’est un crâne humain ; soigneusement nettoyé et taillé jusqu’au niveau des orbites oculaires, ce récipient osseux lui sert aussi bien à mendier qu’à se nourrir. Sa nourriture, à part les déchets récupérés ici ou là, provient des aumônes qu’apportent les familles du disparu. Mais il n’y a pas de véritable ascète s’il s’agit de compter uniquement sur la générosité de ses semblables. Il faut donc envisager une autre définition.

Vauban décrivait en 1707 ce qui lui paraissait le minimum vital pour une famille ouvrière française, le seuil au-dessous duquel la survie n’était plus possible. La ration correspondait à quelques 1500 calories, mélange de blé et d’autres céréales appelé méteil dont la part dans le budget total était presque de 70 %. Mais dans les pays développés actuels, la part de l’alimentation pour les ménages ouvriers s’établit à moins de 20 % et la place du pain est tombée en dessous de 3 %. Pour les pays riches, le seuil de pauvreté devient donc complètement relatif et s’exprime par rapport au niveau de revenu médian de la population ; puisque la base de calcul est variable, le minimum vital devient alors indéfinissable, un pauvre des pays riches est très riche du point de vue d’un habitant en pays pauvre. Pourtant, dans ce contexte d’enrichissement sans frein, aucun dirigeant d’un pays, quel que soit le niveau de vie obtenu, n’a annoncé un projet de stabilisation de la demande de ses nationaux ; à l’économie de subsistance a succédé la tyrannie de l’excédent.

La simplicité volontaire se heurte aussi à l’idéologie économique ambiante. Selon la doctrine keynésienne (dans son livre de 1936), il fallait consommer toujours plus pour échapper à une grande crise comme celle de 1929 : ainsi on lutterait contre l’équilibre de sous-emploi et le chômage. Aujourd’hui les entreprises et les gouvernements ont tellement bien compris la leçon que la croissance de la consommation est devenue une fin en soi, sans souci de la survie des futures générations ni de la préservation de la biodiversité. La simplicité volontaire est une tentative d’enrayer ce mécanisme keynésien (et fordiste). Cela consiste à choisir un autre mode de vie que celui de la société de consommation et du spectacle. Contre le gaspillage des ressources fossiles, il s’agit de cultiver la sobriété énergétique, contre la dictature des objets, il s’agit de privilégier les relations directes avec les autres humains tout autant qu’avec la Nature. Les humains ne devraient jamais penser en termes de maximum ou de minimum, mais en termes d’optimum, ce qui est le mieux pour la planète, donc pour soi personnellement : il faut respecter les cycles vitaux de la Biosphère.

Limiter l’expansion indéfinie de nos désirs, c’est la seule voie réaliste vers une société d’abondance. Il faut en revenir aux schémas mentaux des sociétés premières dont rien dans le fonctionnement social ne permettait la différence entre le plus riche et le plus pauvre car personne n’y éprouvait le désir baroque de faire, posséder ou paraître plus que le voisin. A chacun de tracer son propre chemin sur la voie de la simplicité volontaire…