Laurent Samuel et l’information nucléaire

Quand ça change, ça change

Dans les années 1970, la tâche des journalistes spécialisés en nature et environnement qui souhaitaient informer sur le nucléaire civil était à la fois simple et redoutablement difficile : face au black-out quasi-total de l’information, il leur fallait d’abord dénicher des données critiques, souvent apportées par des associations comme l’APRI (Association pour la protection contre les rayonnements ionisants), créée par un instituteur de campagne, Jean Pignero, par des scientifiques non inféodés au lobby atomique, qui allaient bientôt lancer le GSIEN (Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire), toujours actif près de 40 ans plus tard, ou par des syndicalistes CFDT comme Bernard Laponche, lui aussi encore sur le pont ! Après quoi, les journalistes devaient convaincre des rédacteurs en chef réticents de sortir ces infos. A l’époque, la « grande presse » (y compris Le Monde) et l’ORTF étaient quasi fermées à toute critique de l’atome pacifique. Quant aux responsables d’EDF, du CEA ou de Framatome, ils nous assuraient que tout était sous contrôle et qu’un accident était impossible.

.                Aujourd’hui, à l’heure de Fukushima, cette politique du déni et du secret n’a pas totalement disparu. Au Japon, l’opérateur Tepco et les autorités publiques fournissent des informations fragmentaires et parfois contradictoires sur la situation dans les réacteurs et ses conséquences radiologiques. On peut consulter à ce sujet le blog Fukushima Leaks (littéralement : les fuites de Fukushima) qui répertorie sur 30 ans les mensonges de Tepco, dont ce communiqué en date du 11 mars 2011 certifiant que les réacteurs de Fukushima ont été arrêtés en « toute sécurité ». En France même, un responsable du réseau Sortir du Nucléaire a été poursuivi il y a quelques années pour avoir enfreint le « secret défense » en rendant publiques des informations sur les risques d’attaques terroristes sur le centre de retraitement de La Hague.

.               Mais force est de reconnaître que les choses ont bien changé dans notre pays depuis 1986, lorsque le Pr Pellerin avait tenté de nous faire croire que le nuage de Tchernobyl avait contourné la France ! Désormais, la presse dans sa majorité  est devenue très critique sur le nucléaire. Les journalistes font leur travail, y compris Michel Chevalet, jadis chantre inconditionnel de l’atome, qui, sur iTélé, ne dissimule nullement la gravité de la situation à Fukushima.

.               Autre évolution importante : on a vu apparaître, puis s’affirmer, des organismes qui, pour être officiels, n’en ont pas moins acquis une certaine indépendance par rapport à EDF, AREVA et au gouvernement : l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) et l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire). Avec malgré tout des limites : après avoir déclaré le 30 mars envisager d’imposer un moratoire sur le chantier du réacteur EPR à Flamanville (lire ici), André-Claude Lacoste, président de l’ASN, s’est rétracté dès le lendemain sur France Info (écoutez ici).

.               Pour les journalistes, les sources d’information se sont diversifiées car, parallèlement, des associations comme la CRIIRAD, Global Chance et Wise ont renforcé leur expertise et assis leur crédibilité.

.               Reste que, face à cet afflux constant (on n’ose employer le terme tsunami…) de faits et d’images apportées par le net et les chaînes d’info continue, le citoyen balance souvent entre résignation catastrophiste et désir d’être rassuré par les discours lénifiants ou relativistes (le charbon tue plus que l’atome) du dernier carré des pro-nucléaires. C’est pourquoi le rôle des journalistes spécialisés doit être, plus que jamais, de s’employer à mettre les événements en perspective, notamment historique. Depuis les lendemains de la catastrophe de Fukushima, le site des JNE (dont de nombreux membres comme Jean Carlier, Claude-Marie Vadrot, Nicole Lauroy, Hélène Crié, Dominique Martin Ferrari ou l’auteur de ces lignes ont joué un rôle pionnier pour l’information critique sur le nucléaire) s’efforce de remplir cette mission, en multipliant articles, tribunes et liens. Que vous soyez ou non membre de l’association, n’hésitez pas à y apporter vos contributions en nous contactant sur asso.jne@free.fr.

.Rédacteur en chef du site des JNE, Laurent Samuel anime plusieurs blogs, dont l’un est consacré à l’écologie : http://laurent-samuel.over-blog.com/.

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