L’avortement serait-il contraire à la nature humaine ?

« L’égalité hommes-femmes est contraire à la nature humaine… Notre religion a défini un statut pour les femmes, la maternité… Notre parti AKP (Parti de la justice et du développement) reviendra sur le droit à  l’avortement et préconisera la mise au monde d’au moins trois enfants par femme. » Ainsi s’exprime le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan*. C’est encore une fois la preuve qu’on peut faire dire à dieu n’importe quoi, même dans un pays avancé. En Turquie les femmes avaient obtenu le droit de vote en 1934, dix ans avant la France. Le droit à l’avortement a été légalisé en 1983. La laïcité en Turquie a été un des fondements de la République kémaliste, inscrite dès la Constitution de 1924. Mais malheureusement cette laïcité n’est pas, comme en France, une séparation entre les Églises et le pouvoir central ; c’est l’État turc qui organise et contrôle totalement la communauté des croyants. Les imams sont des fonctionnaires, payés et formés par l’État. Il n’est donc pas trop difficile de transformer ce pays en Etat islamo-conservateur.

                Cette information montre aussi que le droit à l’avortement n’est pas une constance de la société humaine. Coïncidence, Erdogan s’exprime alors que la France se rappelle le difficile vote au parlement (29 novembre 2014) de la loi sur l’IVG (interruption volontaire de grossesse). La ministre Simone Veil, a enduré stoïquement les vitupérations d’une horde de mâles, majoritaire à l’Assemblée nationale. Elle est traitée de meurtrière, de pourvoyeuse d’une loi satanique, comparée au nazisme qui pratiquait la torture. Des croix gammée sont peintes sur la façade de son immeuble alors que ses parents et son frère sont morts en camps de concentration et qu’elle a été elle-même déportée. La méchanceté humaine est incommensurable**.

                Au-delà des références à la religion ou au nazisme, ce qui fait la cohérence des prises de positions anti-avortement, que ce soit en Turquie ou en France, est la mentalité nataliste : il faut accepter tous les enfants qu’une femme puisse mettre au monde, et on fait pression pour qu’elle en ait davantage ! Cette mentalité est anti-écolo, elle ne tient aucun compte de la capacité de charge d’un territoire en population humaine alors que tous les indicateurs montrent que la Terre est saturée d’humains. Bien sûr on pourrait affirmer que la densité de la Turquie (89 habitants au km2) et celle de la France (112) sont acceptables par rapport au Bangladesh (1083) ou au Pays-Bas (395). Mais on pourrait rétorquer en termes de taux de chômage, dépendance du pays aux importations d’énergie, niveau de criminalité, surfaces cultivables, etc. C’est ainsi que le véritable débat commence, les arguments pour ou contre une décroissance malthusienne de la population, débat que refusent a priori tous les militants anti-avortement. Mais si les humains préfèrent pulluler, un jour ou l’autre se déclenchent guerres, famines et épidémies… Il y aura de toute façon régulation « naturelle » !

* LE MONDE du 26 novembre 2014, Le président turc juge l’égalité hommes-femmes contre nature

** LE MONDE du 26 novembre 2014, Trois jours qui changèrent la vie des femmes

Le téléfilm « la loi » revient sur le combat acharné de Simone Veil pour légaliser l’avortement