Le dernier souffle, ce n’est pas un film

Tout le monde y passe, c’est la seule certitude de notre existence, il faudra bien mourir un jour. Autant s’y préparer. Comme on ne croit plus aux portes du paradis que va nous ouvrir Saint Pierre, il y a trois écoles.

– La mort on fait avec même si c’est douloureux. C’est une pratique très développée dans les pays pauvres. Les mourants font à la manière d’Ivan Illich, ils considèrent la mort et la souffrance comme quelque chose de normal, et même pour certains voulus par Dieu.

– La mort on peut se la donner, c’est gratuit, cela s’appelle un suicide. Mais dans les pays riches, on se pose la question de l’aide au suicide. En France la question n’arrête pas d’être posée. Plusieurs lois déjà, et c’est toujours en débat.

– La mort, on la recule le plus possible. C’est une invention des pays très riches et ça s’appelle « soins palliatifs ». Il s’agit d’assurer le confort du malade en fin de vie, en général avec une substance interdite aux toxicomanes, la morphine. Bien sûr il existe aujourd’hui un bel atlas de l’APCA de 79 pages sur les soins palliatifs en Afrique. Mais dans un rapport publié en juin 2011, l’organisation Human Rights Watch (HRW) passait en revue 192 pays ; dans 35 d’entre eux, moins de 1 % des patients bénéficiaient effectivement des antalgiques puissants dont ils ont besoin. Par exemple le Nigeria, plus de 173 000 patients atteints d’un cancer à un stade terminal ou d’un sida, seuls 274 malades bénéficient de soins palliatifs (soit 0,16%). On peut douter que la situation se soit amélioré depuis l’époque. L’humanisme a un coût.

Que dit le film de Costa-Gavras « Le Dernier Souffle » de ce triptyque. Inspiré du livre co-écrit par un fondateur d’USP (unité de soins palliatifs), le docteur Claude Grange, et par l’écrivain Régis Debray, il prend fait et cause pour l’acharnement thérapeutique. Ce qu’ils appellent de façon imagée « une meilleure couverture des besoins ». Pour eux, faire des perfusions, c’est un métier formidable qui rend humain ce qui ne l’est pas ! Les soignants en soins palliatifs sont des athlètes de la sollicitude qui ont l’art d’accoucher la mort sans douleur et d’écouter l’inaudible. Ils amadouent l’invincible, ce qui n’a en fait ni traitement ni guérison. C’est un monde médical insoupçonné , capable de rendre « l’inacceptable supportable » – une réplique du film. Donc pour eux les soins palliatifs, « une médecine qui contribue à redonner un droit de cité à l’agonie et à la mort ». Ah bon !

Ni Costa-Gavras et Régis Debray n’abordent d’emblée dans une interview au MONDE l’autre versant du débat sur la fin de vie : celui de la légalisation de l’aide à mourir, qu’il s’agisse du suicide assisté ou de l’euthanasie. Mais Costa-Gavras ne s’y dérobe pas. S’il a délibérément choisi de ne pas introduire le sujet dans son film, c’est pour ne pas « donner le sentiment de vouloir peser dans le débat ». Il préfère peser en faveur des soins palliatifs ! Mais à titre personnel, il choisirait l’euthanasie : « Quand j’arriverai à un moment de ma vie où je ne pourrai plus créer, tourner des films, travailler, je veux avoir cette liberté de pouvoir partir, dit-il. Je comprends les raisons qu’a eues Godard de se suicider ». Le réalisateur d’A bout de souffle s’est donné la mort, en Suisse, le 13 septembre 2022, par l’intermédiaire d’une association. 

Régis Debray consent à son tour à répondre à la question qui brûle « Je suis absolument pour les évolutions législatives qui pourraient rendre possible la mort volontaire qu’on appelle aide active à mourir. Quand la mort ne vient pas et qu’on a des souffrances épouvantables, il me semble évident qu’on doit avoir un droit de se donner la mort. » Une évolution qui lui paraît « inéluctable ».

Même le docteur Grange s’autorise : « J’ai cheminé , je suis aujourd’hui sur une ligne que je qualifie de “compromis” : j’entends la position d’une personne qui dit : “J’ai la liberté individuelle de pouvoir décider du moment de ma propre mort”. Qui souhaite ne pas connaître la déchéance, rester maître du temps qu’il lui reste à vivre. Dont acte ».

Le dernier souffle, ce n’est pas un film, c’est une réalité qu’il faut assumer.

Pour en savoir plus sur la fin de vie grâce à notre blog

https://biosphere.ouvaton.org/blog/?s=fin+de+vie

4 réflexions sur “Le dernier souffle, ce n’est pas un film”

  1. François Goldwasser

    Les réactions à ma tribune du 20 décembre, «Fin de vie: aider au suicide est une redoutable régression éthique», m’invitent à préciser ma pensée. Ma volonté n’est ni de provoquer, ni de convaincre d’une philosophie ou d’une vision de la vie. Ma motivation est d’alerter. […]
    ( Euthanasie: «sédation qui tue» est un oxymore – slate.fr/tribune/ 10 janvier 2013 )

  2. Michel c mort de rire

    Parce qu’elle nous con cerne toustes, la mort est un sujet sérieux. Et amusant aussi parfois, comme ici. Déjà parce qu’elles nous changent de la vision binaire… ces trois écoles (classes, familles) sont intéressantes. Et combien amusantes !
    La première est la classe des élèves pas brillants. ON y trouve toustes celles et ceux qui doivent encore bien travailler pour se sortir de leur pauvreté (misère) et se hisser au Top.
    Ce sont celles et ceux qui se laissent aller et qui font avec (sic). Une classe de fainéant(e)s et de résigné(e)s si vous préférez, et même si c’est douloureux. Pas des chocottes donc, plutôt des dur(e)s à cuire, voire des masos. Et puis au fond de la classe ON retrouve les cureton(e)s, comme Illich, les objecteurs de conscience si vous préférez. Et d’une certaine manière irrécupérables. Misère misère ! (à suivre)

    1. (suite) La seconde est celle des bons élèves, de celles et ceux qui sont au Top et qui ont tout compris. La gratuité et l’entraide comme valeurs suprêmes, et tout et tout.
      La troisième est évidemment celle des cancres, des enfants gâté(e)s ultra-riches, de celles et ceux qui veulent vivre à n’en plus finir, pour faire durer le plaisir, pour des siècles et des siècles amen. Là encore misère misère !
      Bref, trois classes finalement aussi rigolotes les unes que les autres.

      Plus sérieusement… c’est précisément cette troisième «école» qui retient mon attention.
      Je n’ai pas vu ce film… qui prend fait et cause pour l’acharnement thérapeutique (sic). J’espère au moins que Biosphère ne confond pas soins palliatifs et acharnement thérapeutique. (à suivre)

      1. Esprit critique

        (et fin) Quoi qu’il en soit, avant de raconter n’importe quoi posons-nous les bonnes questions. Déjà pourquoi mettre des guillemets à soins palliatifs ?
        Depuis quand les soins palliatifs ne serviraient-ils, finalement… qu’à faire durer le plaisir pour des siècles et des siècles amen ? Les antalgiques (puissants) sont-ils des produits de luxe ? Si les Africains n’ont pas accès à ce genre de produits (et de soins), comment se fait-il alors qu’ils aient plus facilement accès au Téléphone et autres produits de consommation de ce genre ? C’est quoi le plus important finalement ?
        L’humanisme a un coût (sic)… oui et alors !? Le plus important serait-il le Pognon ?
        Et que vient faire l’Afrique ici… vu que ce «débat» se tient «chez nous» en France ?

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