Le faux clivage entre économie et écologie

Martine Valo : Au nom de l’emploi, de la baisse de revenus, de la perte de compétitivité, les dossiers à caractère environnemental sont glissés sous la pile. L’urgence ne désigne pas la même chose pour les uns et les autres : permettre aux acteurs économiques de maintenir leur fonctionnement actuel sans trop de casse, ou bien préserver dans la durée une biosphère qui nous offre des services incommensurables ? Alors, économie et écologie sont-elles définitivement irréconciliables ? Oui, si l’on entend par économie la croissance et la négation que les ressources de cette planète sont limitées ; mais non, si l’on envisage un autre modèle économique. Au fur et à mesure de l’accélération vertigineuse du changement climatique et du déclin des écosystèmes, les gens sont de plus en plus nombreux à penser que le plus important est de rester vivant. »

Jean Pisani-Ferry : Ce serait faire prendre un grand risque à la lutte pour le climat que de vouloir mettre la croissance à l’arrêt. Laissé à lui-même, le capitalisme massacre l’environnement. Adéquatement canalisé, il intègre la contrainte environnementale. C’est en mettant les investisseurs en garde contre le risque de se retrouver avec des actifs carbonés sans valeur qu’on a commencé à faire bouger la finance. C’est en faisant appel à la puissance d’innovation de l’économie privée qu’on a des chances de mobiliser des moyens à la hauteur du problème et de développer des technologies qui n’existent pas encore. La croissance ne sera pas l’adversaire, mais l’alliée de la transition écologique. Il est temps de s’en rendre compte.

Vert de Terre : En tant qu’écologiste, je ne suis pas contre la croissance par idéologie mais je suis contre laisser le monde se réchauffer de plus de 2°C ce qui le rendrait bien moins hospitalier qu’aujourd’hui. Pour éviter ce monde inhospitalier, il faut diminuer nos émissions d’au moins 5% par an dès aujourd’hui or 70% de notre énergie est carbonée. La technologie va bien sûr nous aider dans ce défi mais la sobriété apparaît comme une composante incontournable pour relever le défi. Sobriété et technologie doivent être donc des alliés. Par contre être pour la technologie ne signifie pas qu’il faille considérer que toute technologie est bonne par principe. Bref, il nous faut favoriser la technologie bonne pour l’intérêt commun et réguler les autres. ,

Biosphere : Non seulement les ressources naturelles se raréfient, mais les économiste oublient une loi écologique fondamentale, l’entropie : toute activité économique est en soi un processus de dégradation de l’énergie. C’est ce que nous a montré Nicholas Georgescu-Roegen dans son livre de 1971 majeur « The entropy law and the economic process », repris en France en 1979 sous le titre « La décroissance (entropie – écologie – économie) ». En voici un résumé :

« La théorie économique dominante considère les activités humaines uniquement comme un circuit économique d’échange entre la production et la consommation. Pourtant il y a une continuelle interaction entre ce processus et l’environnement matériel. Selon le premier principe de la thermodynamique, les humains ne peuvent ni créer ni détruire de la matière ou de l’énergie, ils ne peuvent que les transformer ; selon l’entropie, deuxième principe de la thermodynamique, les ressources naturelles qui rentrent dans le circuit avec une valeur d’utilité pour les humains en ressort sous forme de déchets sans valeur. L’énergie utilisée par l’activité économique se présente en effet sous forme libre et utilisable, ce qui en résulte est une énergie dégradée, liée et non utilisable. Lorsqu’on brûle un morceau de charbon, son énergie chimique ne subit ni diminution ni augmentation (premier principe de la thermodynamique : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme), mais l’énergie initiale s’est dissipée sous forme de chaleur, de fumée et de cendres qui ne peuvent être récupérée (deuxième principe ou loi de l’entropie : tout se transforme et échappe alors à l’emprise humaine). En fait tout organisme vivant s’efforce de maintenir constante sa propre entropie ; il y parvient en puisant dans son environnement immédiat de la basse entropie (utilisable) afin de compenser l’augmentation de l’entropie à laquelle son organisme est sujet. Si les humains n’arrivent plus à capter de basse entropie à proximité, ils essayent de la prendre ailleurs. L’énergie atomique n’est ainsi qu’une tentative contemporaine de délier de l’énergie liée. Mais on ne peut produire de façon meilleure ou plus grande qu’en produisant des déchets de manière plus forte et plus grande. Il n’y a pas plus de recyclage gratuit qu’il n’y a d’industrie sans déchets.

Quelques organismes ralentissent la dégradation entropique : les plantes vertes emmagasinent une partie du rayonnement solaire qui autrement serait immédiatement dissipée sous forme de chaleur. C’est pourquoi vous pouvez brûler aujourd’hui de l’énergie solaire préservée de la dégradation il y a des millions d’années sous forme de charbon, ou depuis un plus petit nombre d’années sous forme d’arbres. Tous les autres organismes accélèrent la marche de l’entropie et les humains plus que les autres. Le processus économique, comme tout autre processus du vivant, est irréversible mais beaucoup d’économistes ne connaissent même pas la loi de l’entropie. Certains pensent même de façon illusoire qu’on réussira toujours à trouver de nouvelles sources d’énergie et de nouveaux moyens de les asservir à notre profit.Mais on ne peut pas utiliser des schistes bitumineux si leur extraction coûte plus d’énergie que leur apport. Il y a aussi la thèse que nous pourrions nommer le sophisme de la substitution perpétuelle. Ainsi, selon Solow, on pourra toujours substituer d’autres facteurs (travail ou capital technique) aux ressources naturelles. Mais il faut avoir une vue bien erronée du processus économique pour ne pas remarquer qu’il n’existe pas de facteur matériel autres que les ressources naturelles. Plus que l’impact du progrès technique sur la consommation de ressources par unité de PIB, ce qui doit attirer votre attention, c’est l’accroissement du taux d’épuisement des ressources comme effet de ce progrès. Mais les économistes, inébranlablement attachés à leur cadre mécaniste, sont restés complètement insensibles aux appels que lancèrent les mouvements pour la conservation de la nature. »

12 réflexions sur “Le faux clivage entre économie et écologie”

  1. La véritable écologie implique systématiquement de rétablir le travail humain, puisque si nous utilisons moins d’énergies fossiles pour faire fonctionner les robots et les machines alors les humains se doivent de reprendre les efforts nécessaires par leurs bras et leurs jambes pour accomplir les tâches. Autrement dit l’écologie ne peut pas être de gauche puisque les élus les électeurs et les militants de gauche s’insurgent contre le travail ! D’ailleurs Martine Aubry le scande haut et fort à tous ses meetings  »le socialisme libère l’homme du travail » (sans préciser que ça prive les hommes de revenus par la même occasion, seuls les propriétaires des robots et les élus s’enrichissent dans un tel régime) Aussi les socialo-communistes se revendiquent du progressisme obtenu par la philosophie des lumières et progressisme qui veut étendre l’usage des robots et des machines pour effectuer le travail à la place des hommes.

    1. Évidemment les socialo-communistes s’insurgent contre le travail, mais ils sont bien conscients qu’il reste nécessaire même dans un monde de machines, et donc apprécient que d’autres individus travaillent car il faut tout de même bien des pigeons à taxer pour pouvoir vivre comme des nababs sans rien foutre. En fait, les socialo-communistes n’ont pas envie de travailler, au mieux ils font semblant de travailler pour se faire bien voir en société. Et oui si vous observez bien les assistantes sociales ne vous sortiront jamais de la misère, elles ne vous fourniront jamais les bons conseils et ne préconiseront jamais les bonnes orientations pour que vous puissiez sortir de la misère par vous-même, car tout simplement parce qu’elles vivent du marché du pauvre et s’il n’y a plus de pauvre et ben ce sont elles qui se retrouveront au chômage en quittant leur boulot pas vraiment fatiguant qui consiste à distribuer l’argent des autres, bref à vivre des efforts des autres

    2. – «Autrement dit l’écologie ne peut pas être de gauche puisque [etc.]»
      Et moi je dis que l’écologie ne peut pas être de droite ! Alors, en attendant, qui dit vrai ?
      – Abracadabra et voilà : « puisque les élus les électeurs et les militants de gauche s’insurgent contre le travail ! D’ailleurs Martine [et patati et patata]»
      En attendant commence par mettre de l’ordre dans tes idées.

  2. Parmi ceux qui se sont finalement accommodés du capitalisme, il y en a qui ont le culot de se dire encore de gauche. Ce qui fait que beaucoup d’entre nous sont déboussolés, ne savent plus où est la droite et la gauche, certains pensent que ce clivage n’a aujourd’hui plus aucun sens.
    Jean Pisani-Ferry peut toujours nous vendre le social-libéralisme, le capitalisme «adéquatement canalisé», se dire du centre-gauche, du côté du ni-ni ou de n’importe quoi, il est accroché au capitalisme comme une moule à son rocher.

    1. Jean Pisani-Ferry écrit : «La pensée écologiste s’est construite contre la croissance et contre le capitalisme.[…] cette opposition s’est doublée d’une hostilité au capitalisme, avec l’émergence d’une écologie politique. En France, l’acte de naissance de cette dernière est sans doute un texte acéré et prescient, publié en 1974 par André Gorz. […] Près de cinquante ans plus tard, défiance envers le capitalisme et aversion à l’égard de la croissance persistent. [etc.] »

      On voit bien que cette défiance et cette aversion le dérangent, on se doute qu’il préférerait que toute la gauche soit couchée ou agenouillée devant le capitalisme, comme lui.
      Il est temps que certains écolos cessent de croire que l’écologie pourrait s’affranchir du clivage droite-gauche. L’écologie ne peut pas être de droite.

      1. En fait Michel C, la droite privilégie l’économique : les avantages sociaux découlent des performance des entreprises. La gauche privilégie le social, on veut une juste répartition des fruits de la croissance. Donc droite et gauche s’entendent pour valider le système productiviste. L’écologie introduit la contrainte biophysique : sans ressources naturelles, l’économie s’effondre et les travailleurs se retrouvent au chômage.
        C’est pour cela que l’écologie n’est ni de droite, ni de gauche, elle transcende la vieille division entre socialistes et libéraux.

        1. La gauche, la droite, l’avant, l’arrière … ? C’est embêtant quand on est déboussolé, n’est-ce pas ? Dis Papa c’est quand qu’on va où ? En fait Rapporterre, l’écologie nini c’est une blague, ça aussi. Elle transcende, c’est c’là oui.
          Depuis le temps nous devrions pourtant le savoir, le nini est un trompe couillons. Bien plus efficace que le centre, la preuve. L’écologie du nini c’est celle qui veut sauver les abeilles et en même temps les betteraves. L’air pur et les petits oiseaux et en même temps Renault-Pigeot et Monsanto. L’écologie ne peut pas être de droite, tout connement.

  3. « Le faux clivage entre économie et écologie »

    De toute façon oui les deux sont liées, on consommera toujours de toute façon, impossible de ramener l’économie à 0 de pib. De même qu’on polluera toujours. C’est plus le rythme et les quantités de consommation trop élevées qui sont en cause. Et il ne faut pas polluer au-delà de ce que la planète peut résorber en terme de pollution. Ainsi que réduire la démographie puisque +1 naissance = +1 consommateur qui polluera et +1 milliard de naissances = +1 milliards de consommateurs qui pollueront et contribueront à l’épuisement des ressources à un rythme supérieur à leur capacité de renouvellement. Enfin il est évident qu’il faille réduire les rythmes et les quantités de consommation en Occident, d’autant qu’il faut mieux attribuer et distribuer les ressources en déplétion à l’échelle de la planète.

  4. Deux économistes, deux visions du capitalisme.
    – «Le capitalisme canalise les frustrations des hommes, les empile, comme il accumule le capital, et fait gonfler des bulles qui finissent par crever comme des bombes.» (Bernard Maris dans son «Antimanuel d’économie»)
    – « Laissé à lui-même, le capitalisme massacre l’environnement. Adéquatement canalisé, il intègre la contrainte environnementale» (Jean Pisani-Ferry)

    ON nous a chanté le capitalisme «moralisé», ON a même osé le capitalisme «modéré», et puis le capitalisme «vert», aujourd’hui ON essaie donc de nous vendre le capitalisme «canalisé». On n’arrête pas le Progrès !
    Mais attention, canalisé… adéquatement, le Capitalisme ! Bref, plus rien ne les étouffe.

    Sur Les infiltres.fr lire : «A défaut de pouvoir canaliser adéquatement le capitalisme, canalisons Jean Pisani-Ferry»

  5. C’est quand même malheureux d’en être encore à opposer écologie et économie. On peut toujours le déplorer mais le clivage existe, il est bien là. L’écologie et l’économie sont deux choses différentes. Comme le sont l’astrologie et l’astronomie. Les astronomes ne débattent pas avec les astrologues et heureusement. Ainsi les astrologues peuvent continuer à nous amuser. Et malheureusement aussi à abuser les couillons. Finalement la plupart des économistes déconnent encore plus grave que les astrologues.

    Comment pourrions-nous gérer et administrer correctement quelque chose sans le connaître, sans en respecter les règles et les lois de fonctionnement ? Ce quelque chose n’est pourtant pas n’importe quoi, il s’agit de notre «maison» (oikos), c’est à dire notre environnement. (logos=connaissance, science ; nonos=gestion)

    1. La raison voudrait que l’une et l’autre se fondent dans l’autre, pour n’en faire plus qu’une. Et peu importe alors le nom de cette réconciliation. Seulement quand on voit que la plupart en sont encore à croire qu’on pourrait s’affranchir des lois de la nature, ne serait-ce que des lois de la physique, de l’entropie etc. on comprend déjà là que cette réconciliation n’est pas pour demain. Ce n’est pas demain la veille que les uns et les autres seront capables de voir la chose avec les mêmes lunettes.

  6. Didier BARTHES

    Il faut acheter un dictionnaire à Vert de Terre, et lui faire lire la définition d’oxymore
    Lui faire comprendre,et à Jean Pisany-Ferry aussi, que plus de technologie c’est plus de pouvoir et que plus de pouvoir c’est plus de déséquilibre, la biosphère vit sur l’équilibre entre les espèces et que leur discours nous engage vers tout le contraire.
    Le discours sur le réchauffement climatique pose aussi problème, non que la question ne soit pas préoccupante, mais par ce qu’elle occulte la question bien plus importante de la disparition des espèces vivantes et de l’incroyable diminution des effectifs de celles qui restent (et qu’on ne me dise pas que c’est la même chose, le réchauffement n’a presque rien tué, c’est l’occupation des territoires par l’homme qui élimine le vivant)

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