Le natalisme à l’épreuve de la contrainte écologique

En 1974, Simone Veil fait voter la loi qui légalise la pratique de l’avortement, et elle subit les plus odieuses insultes de la part des populationnistes à l’Assemblée nationale. « L’Europe a un cancer, et ce cancer, c’est le refus de la vie », écrit en 1979 Gérard-François Dumont en introduction à La France ridée. A la tête de l’État, et quelle que soit la couleur politique, on réclame toujours plus d’enfants. Présidents, premiers ministres, responsables de tous bords ses lamentent sur le thème : La France se vide, qu’allons-nous devenir ? En 1979, François Mitterrand dit redouter que « l’évolution n‘aggrave le vieillissement et, à terme, condamne la population à disparaître ». Jacques Chirac dans une interview de 1984 : « Démographiquement l’Europe est en train de disparaître. Dans vingt ou trente ans, notre pays sera vide, et quelle que soit notre avance technologique, nous ne pourrons pas l’utiliser. » En 1986 la plate-forme électorale de la droite parle d’un « hiver démographique sans précédent ». Michel Jobert parle d’auto-génocide, Pierre Chaunu de grande conspiration contre la vie, Jean Fourastié de suicide collectif. Lorsqu’en 1991 Hervé Le Bras réagit contre ces grotesques jérémiades, dans « Marianne et les lapins, l’obsession démographique », il s’attire de violentes réactions. Il ridiculise cette obsession de la dépopulation dans un pays dont la population ne cesse de croître. Il y montre aussi les dangers et dérives des incitations financières à la procréation, comme la prime au troisième enfant : « Rien ne prouve que ce troisième enfant obtenu à coups de subventions, ne naisse pas dans une famille à risques, attirée par la prime plutôt que par l’enfant, si bien que quelques années plus tard, on retrouverait le rejeton dans une classe d’adaptation. Il coûterait plus à terme que ce qu’il était censé rapporter. »

Mais Hervé Le Bras veut aussi montrer la complexité des débats. En 1994, dans Les limites de la planète, il a essayé de montrer comment, de part et d’autres, on colporte des mythes, que l’on présente comme des vérités acquises, pour accréditer ou discréditer l’idée de surpeuplement. Pour lui, le schéma malthusien est une abstraction qui ne tient pas compte de la flexibilité biologique et sociale des groupes humains.« Chez Malthus, la croissance de la population doit se plier à celle des subsistances. Au schéma de la fatalité malthusienne s’oppose le schéma boserupien, du nom d’Ester Boserup qui a montré comment la croissance (la pression) démographique entraînait une réorganisation de la collecte et de la production de vivres. Il ne faut pas oublier que Malthus raisonnait dans un monde plein où les engrais artificiels étaient encore inconnus, et Boserup dans un monde ouvert en boom industriel, à la veille de la révolution verte. Avec Malthus, on reste prisonnier d’une nature contraignante et peu susceptible de changements ; avec Boserup, on est entièrement dans les interfaces entre l’environnement et la société. Le présent ouvrage est boserupien, en ce sens qu’il insiste sur le passage de la nature à l’homme, sur cette interface où environnement et société sont les véritables régulateurs et fixent les véritables contraintes de la population. »

Plus récemment Hervé Le Bras s’est ouvert à la problématique environnementale et il devient plus nuancé dans ses propos  : « Autrefois l’une des limites imposées aux villes était la taille de la zone agricole nécessaire à leur approvisionnement. Avec l’extension des transports, cette limite a quasiment disparu, mais on ne tient pas compte des coûts environnementaux de ce transport… Si la planète entière adoptait le régime alimentaire des Français, elle ne pourrait nourrir que 3,4 milliards de personnes, soit la moitié de la population actuelle. En outre les ruminants émettent du méthane, puissant gaz à effet de serre… Avec la préoccupation environnementale qui s’impose (enfin !) dans le débat public, comment mener le débat sur la taille de la population sans sombrer dans une futile guerre des chiffres ? Si les pays ne parviennent pas à se mettre d’accord pour limiter l’émission de gaz à effet de serre, je crains qu’ils soient incapables d’un accord sur « l’émission de naissances »… » (Trois questions à Hervé le Bras – Entropia n° 8, printemps 2010)

11 réflexions sur “Le natalisme à l’épreuve de la contrainte écologique”

  1. Un livre nécessaire : « Moins nombreux , plus heureux  »
    par un collectif coordonné par M. Sourrouille
    ed. sang de la terre -2014

  2. @ Didier Barthès. Je partage votre avis sur le discours erroné d’une bonne portion des écologistes affichés. Effrayant, car s’il n’en reste que mettons 10%, le chemin est encore très long et on y arrivera certainement trop tard. Ou plutôt, l’humanité arrivera très tôt en fin de course, c’est dommage.

  3. @marcel, dès lors que les horribles solutions sont parfaitement évitables, je ne vois pas en quoi tous les moyens seraient bons.
    Donner à tout citoyen le droit de ne pas procréer (accès à la contraception, à l’IVG, à la stérilisation volontaire sans mutilation…) permettrait de stopper l’évolution démographique mondiale. Donc on peut largement se passer des options consistant à faire mourir des gens.
    Le « soi-disant » est en trop : il y avait il y a une trentaine d’années une véritable famine en Ethiopie. Ses habitants étaient vraiment en danger de mort.
    Concernant le submersion migratoire visant l’Europe, submersion résultant du fait que tant de gens soient contraints de quitter leur terre natale pour aller en Occident, elle pourrait être combattue, non pas via des mises à mort, mais via :
    -l’attribution d’aides financières permettant au migrants d’avoir chez eux un pouvoir d’achat au moins égal à ce qu’ils ont actuellement en restant en France
    -l’expropriation sans indemnités des grands industriels sur les richesses et la redistribution équitable de ces dernières, afin que les citoyens moyens du tiers-monde puissent profiter des ressources présentes sur leurs sols et donc retourner dans leur région sans avoir à subir la pauvreté
    -le fait de cesser les bombardements militaires sur l’Afrique et sur le Moyen-Orient
    -l’arrêt de cette folie consistant à vendre à prix d’or de l’armement aux dictatures de droit coranique (Qatar, Arabie Saoudite, Iran, Turquie…), dictatures que nul ne peut ignorer soutenir les milices djihadistes et donc le terrorisme islamique, lequel terrorisme est intrinsèquement générateur de l’immigration massive forcée vers le continent européen

  4. Didier Barthès
    Je pense en effet que nous voyons, vous et moi, le Monde à peu près de la même façon, du moins avec les mêmes lunettes.
    Et je comprends votre pessimisme. Moi non plus je ne pense pas que la sauvegarde de la nature soit de loin le principal problème … Selon moi le principal c’est la Bêtise.
    Elle est multiforme ; il y a des formes qui ne posent pas de gros problèmes et qui même nous enjolivent la vie (le Monde serait bien triste si nous ne pouvions pas de temps en temps nous disputer un peu)… et d’autres réellement dangereuses. L’époque hélas est propice à l’expression de ces dernières, je le constate tous les jours, ici et là.

  5. @invite 2018 :
    tous les moyens sont bons pour désamorcer la bombe démographique que nos bobos bisounours citoyens du monde ont contribué à armer avec leurs pleurnicheries humanistes poussant des gouvernements d’ une veulerie et d’ une démagogie infinies à intervenir dans des pays du 1/3 monde . Souvenons- nous du Band aid pour sortir l’ Ethiopie soi-disant en danger de mort —> résultat : ce pays compte plus de 70 millions d’ habitants .
    Quand on est menacé de submersion migratoire , on ne doit lésiner sur aucun moyen même le pire , il y va de la survie du monde de culture européenne !

  6. Oui bien sûr Michel C, cet utilitarisme que je dénonce chez les démographes, je le dénonce aussi chez les écologistes. J’en ai assez d’entendre qu’il faut préserver l’Amazonie à cause des substances que l’on pourrait y trouver et qui pourraient nous permettre d’élaborer de nouveaux médicaments. Cela veut dire que si par malheur on en trouvait pas…
    A vrai dire je suis pessimiste, parce que je pense que la sauvegarde de la nature est de loin le principal problème, que cette sauvegarde est très mal engagée et que le discours (je ne parle même pas des actes) de ceux qui se prétendent écologistes est le plus souvent le signe d’une profonde incompréhension de leur part, pardon d’être un peu sévère.

  7. Bonjour Didier Barthès
    Vous êtes certainement mieux placé que moi pour affirmer que les démographes ne parlent pas assez du reste du vivant.
    Cet « oubli » est peut-être le fait que leurs travaux se concentrent avant tout sur l’évolution de la population humaine … mais en réalité je n’en sais rien.
    Ceci dit je suis d’accord avec vous. Pour moi aussi la sauvegarde de la biodiversité est un impératif moral.
    Mais voilà, la morale, plus spécialement l’éthique, est subjective. Et elle n’est pas aussi évidente à saisir et à défendre que la simple utilité. Tout le monde sait ou comprendra l’utilité des abeilles, du plancton, des vers de terre etc. Avec quelques vérités scientifiques et quelques équations, l’affaire est démontrée. Quant au droit des orangs-outan de vivre en paix chez eux, de se multiplier à leur guise… tout ça est un autre sujet, qui ne doit pas faire partie des priorités …
    Cependant les idées évoluent, et les comportements aussi, notamment grâce à la science. Aujourd’hui on admet que les animaux sont des êtres sensibles, que nos « cousins » les grands singes sont vraiment très proches de nous, etc. Sur ce coup, merci la Science ! Et peut-être un jour, seront-ils considérés comme nos égaux… Mais en attendant on continue à saccager leur habitat. Finalement ils sont traités comme tous les autres êtres vivants jugés secondaires, inutiles, ou tout ce que vous voudrez.

    Hélas cet utilitarisme se retrouve aussi chez beaucoup d’écolos, et je trouve en effet dommage de ne pas pouvoir penser plus loin que ça. Tout simplement parce qu’ à mon sens, ça nous déshumanise.

  8. Ce qu’il est très important de comprendre, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de nourrir les hommes. Le combat pour une démographie plus modeste a aussi, sinon principalement, pour objet de permettre aux autres formes de vie de perdurer sur la Terre.
    De cet impératif moral hélas, je n’entends presque jamais parler les démographe. Tout au plus, certains en évoquent la nécessité écologique. Malheureusement, cet utilitarisme amoindrit la portée du discours, car il laisse entendre que si nous n’avions pas besoin de la nature, nous serions en droit de la détruire.

  9. Restreindre le droit de qui que ce soit à accéder aux vaccins est une solution inacceptable, et profondément non-indispensable.

    Pour que la nécessaire régulation démographique soit possible, il faut, non pas faire mourir quelque individu, mais laisser à toute personne le droit de ne pas procréer (faire en sorte que tout citoyen ait accès à de la contraception qui soit vraiment efficace et sans effets secondaires indésirables, ne pas s’attaquer au droit à l’IVG, permettre des stérilisations volontaires sans mutilations physiques…).

  10. Sacré Lebras , voix zelée de son PS , nataliste immigrationnsite et remplaciste comme ses copains idéologues de Terra nova .
    Nous devons bien sûr changer notre mode de consommation , c’ est indiscutable : le rendre malthusien , mais le Sud (l’ Afrique surtout) devra accomplir des efforts énormes pour ne pas déverser en permanence son trop-plein de populations souvent arriérées , obscurantistes , criminelles et peu instruites et se développer : sans contrôle démographique drastique , point de salut !
    J’ oubliais , l’ Occident devrait aussi cesser de vacciner à tour de (le) bras des populations lapinistes irresponsables et laisser dame nature réguler les masses bipédiques locales .

  11. En effet Hervé Le Bras s’était attiré de violentes réactions lorsqu’il avait réagi contre ces « grotesques jérémiades ».
    Il serait idiot de douter des compétences de ce démographe pour bien analyser le problème .
    Et je retiens ce qu’il dit au printemps 2010, à la fin des « Trois questions à Hervé Le Bras » :
    – « En incriminant la croissance démographique, les pays du Nord rejettent la faute sur ceux du Sud car ils n’osent pas leur dire : vous n’avez pas le droit de polluer autant que nous ni de vous développer comme nous l’avons fait. Le seul moyen de résoudre le problème est un changement drastique du type de consommation d’énergie au Nord (de même qu’un changement du type d’alimentation) … Entretenir l’angoisse populationnelle est une façon de ne pas remettre en cause la structure de la consommation des pays les plus riches. »

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