Le nucléaire, on n’en a ni les moyens, ni le besoin

1) la problématique financière

Le cœur du problème nucléaire est financier, les investissements privés ne misent pas sur le nucléaire. Un réacteur nucléaire coûte une dizaine de milliards d’euros et prend une dizaine d’années à construire. Pendant ce temps-là, les investisseurs prennent de gros risques – retard de construction, surcoûts… – et ne touchent pas un centime en retour. Il faut donc soit d’énormes fonds propres, soit d’énormes subventions pour accepter de construire une centrale nucléaire : en 2018 9 centrales couplées au réseau, 7 chinoises et 2 russes). Le nucléaire n’est à l’aise qu’en système dictatorial !

Financement en France

Lors de son entrée sur le marché en 2005 , le cours de l’action EDF était de 32 euros. En novembre 2017, il est tombé à 10 euros. C’est à partir de 2008 qu’EDF est obligé de s’endetter en permanence pour payer ses factures. « Au 1er janvier 2010, l’endettement d’EDF s’élevait à 42,5 milliards d’€ (= 280 milliards de F, séquelle du premier programme), pour un résultat brut d’exploitation de 17,5 milliards d’€ », (Nouvel Observateur, 2 juin 2011), soit un taux d’endettement de 243 %, à comparer à celui de la France, égal à « seulement » 90 %, tous deux d’ailleurs à la charge du consommateur et/ou du contribuable. Fin juin 2017, l’endettement financier d’EDF s’élevait à 61 milliards d’euros. L’État aide cette entreprise au moment même où le gouvernement coupait dans les dépenses publiques pour respecter le fameux 3 % maximum de déficit budgétaire. Où trouver le financement d’une deuxième génération électro-nucléaire fondée sur des EPR dont les prix ne cessent de dériver à la hausse, si ce n’est par l’augmentation de 30 % (dans un premier temps) du prix du kWh ? Fin 2014, le groupe AREVA est contraint d’appeler l’État à l’aide. Sa perte nette atteint plus de 4 milliards pour un chiffre d’affaires de 8,3 milliards. Sa dette financière s’élève déjà à 6,8 milliards. Une entreprise privée aurait alors déposé le bilan. L’EPR en construction à Flamanville était annoncé pour 3,5 milliards lors du lancement du chantier en 2007, en 2018 la facture s’élevait déjà à 10,5 milliard.

Financement à l’étranger

EDF avait signé un contrat hors normes avec l’Etat britannique pour construire la centrale d’Hinkley Point C, dans le Somerset. L’électricien français prend tous les risques de construction. En échange, l’Etat lui garantit pendant trente-cinq ans un prix de vente de son électricité pour plus du double du prix du marché actuel. Le prix de vente négocié avec le gouvernement britannique dépasse 100 euros. Un tel deal ne peut être reconduit. Le contrat signé avec l’électricien finlandais TVO est léonin. Les délais de construction de l’EPR sont impossibles à tenir : alors que le contrat est signé en décembre 2003, il est prévu que le réacteur soit livré en 2009. Six ans, beaucoup trop court alors qu’il s’agit d’une tête de série. (ndlr : en 2018, la mise en service est repoussée à fin 2019). Les derniers appels d’offres ont fait chuter les prix entre 50 et 60 euros le mégawattheure (MWh) pour le solaire photovoltaïque, et à 65 euros pour l’éolien terrestre. Soit des niveaux comparables à ceux de l’électricité sur le marché de gros. Le prix de l’électricité qui proviendra de l’EPR de Flamanville a été chiffré en 2012 par la Cour des comptes « entre 70 et 90 euros le MWh ».

2) le niveau des besoins

Le seul élément fiable de la PPE mais non mis en évidence, c’est l’idée d’une « diminution de la consommation d’énergie », c’est-à-dire le passage d’une politique d’offre d’énergie à une politique de la demande. C’est le sens du mot négaWatt, l’énergie qu’il nous faut ne pas consommer. La démarche négaWatt se décline en trois temps : sobriété, efficacité, renouvelables. La notion de sobriété nous invite à nous interroger personnellement sur nos besoins, sur leur importance réelle ou supposée, ainsi que sur les priorités que nous pouvons établir entre eux. Nous pouvons définir une hiérarchie qui passe des besoins vitaux aux essentiels, puis indispensables, utiles, convenables, accessoires, futiles, extravagants et inacceptables. Chacun peut se livrer à l’exercice pour lui-même, en famille ou au travail, de façon à prendre conscience de l’impact de tel ou tel achat ou comportement. Rien ne sera possible sans une adhésion pleine et entière de tous nos concitoyens. Il s’agit de faire jouer à plein ce qui est la contre-partie indissociable de notre liberté : notre responsabilité ! Prenons l’exemple de nos besoins de mobilité individuelle. Ai-je vraiment besoin de me déplacer ? Quels sont les déplacements de loisirs et les déplacement contraints ? Le principe de sobriété nous incite à les réduire en essayant de nous rapprocher de notre lieu de travail. Nous pouvons aussi recourir à un mode doux de déplacement, marche, vélo, rollers, trottinette… La sobriété dimensionnelle nous incite à éviter toute surpuissance inutile dans le choix d’un véhicule. La sobriété coopérative repose sur la mise en commun pour réduire les besoins : mutualisation des équipements, autopartage, co-voiturage, auto-stop. La sobriété d’usage consiste à limiter le niveau et la durée d’utilisation d’un appareil, conduite douce par exemple.

Lors d’une votation (référendum) qui s’est tenue le 21 mai 2017, les Suisses se sont prononcés à 58,2 % pour une sortie progressive du nucléaire. Il ne s’agissait plus de sortir du nucléaire comme par enchantement, il s’agissait de faire des efforts, de réduire les besoins en électricité : « S’agissant de la consommation énergétique moyenne par personne et par année, il convient de viser, par rapport au niveau de l’an 2000, une réduction de 16 % d’ici à 2020, et de 43 % d’ici à 2035. »

4 réflexions sur “Le nucléaire, on n’en a ni les moyens, ni le besoin”

  1. @ René Varenge (le 02 avril 2019 à 15:11)
    –  » Nous sommes dans une impasse « . En effet ! Mais pas pour les raisons que vous évoquez.
    –  » car comment voulez- vous que nous consommions de moins en moins d’énergie alors que nous sommes de plus en plus nombreux. »

    Ben c’est pas compliqué, en optant pour la sobriété, eh pardi. Bon je sais, ça ne fait pas rêver. Et pourtant que ça nous plaise ou non, c’est ça l’avenir. Bientôt fini le gaspillage, la démesure, la grande bâfrerie, le grand n’importe quoi ! Adieu les tours de manèges, les gadgets électriques, les petits weeks-end à Rome, les voyages à l’autre bout du monde, la bagnole pour faire 500 mètres, les 21°dans la maison été comme hiver, tout ça « parce que je le vaux bien », etc. etc.
    Un rappel, en terme d’énergie un occidental dispose 24h/24 de l’équivalent de 500 esclaves. Là encore, je sais… cette comparaison est dure à avaler. Mais là il faut aller se plaindre auprès de Jean-Marc Jancovici.

  2. Nous sommes dans une impasse et nous le resterons tant que nous ne maitriserons pas la démographie au niveau national, mais aussi au niveau mondial, car comment voulez- vous que nous consommions de moins en moins d’énergie alors que nous sommes de plus en plus nombreux.

  3. Weil Gérard

    Merci Thierry pour cette mise au point argumentée. Tu écris: »Il y a vraiment urgence, on n’a pas 20 ans devant nous pour convaincre les électeurs qu’ils doivent voter contre le pouvoir d’achat. » et c’est bien évidemment le problème de fond. a ton avis, comment convaincre? Lire  » Le porte monnaie » de François Aupetitgendre, pour une société sans argent.

  4. Les chiffres que tu donnes ne sont pas grand chose par rapport à ceux investit pour les énergies renouvelable sans émissions de CO2 ni importation de gaz russe. Les Allemands par exemple ont dépensé 350 milliard d’euros pour leur transition énergétique, et ils n’ont pas baissé leurs émissions de CO2, ni leur consommation d’électricité, ni la puissance installée en énergie fossile, ni leur capacité d’importation de gaz russe. En France, on en est à 150 milliards, pour produire 6% de l’électricité sans réduction des émissions de CO2. Les éolienne offshore de Dunkerque vont coûter 30 milliards d’euros….
    En fait, quand on prends en compte la gestion de l’intermittence (c-a-d la capacité de produire de l’électricité quand il n’y peu de vent et peu de soleil), le coût des EnR est de 5 à 10 fois plus important que celui du nucléaire – sauf à avoir recours au gaz russe et américain.
    Négawatt, je me répète, c’est une division par 2 environ du PIB et du pouvoir d’achat. Ce n’est pas ce qu’on choisit les suisses, les allemand ou les japonais que je sache. Donc il ne feront pas fortement baisser leurs émissions. Négawatt, c’est aussi 18000 éoliennes industrielles, dont personne ne veut – y compris parmi les écologistes (lis par exemple « Reporterre » ou les bulletins de ‘Amis de la terre’). C’est aussi des smard-grids (en donc Linky), la division par 2 de la production de viande, … toutes choses pour lesquels il est difficile de convaincre.
    Or on n’a pas beaucoup de temps pour renverser la tendance sur le CO2 et se préparer au pic des énergies fossiles. Il y a vraiment urgence, on n’a pas 20 ans devant nous pour convaincre les électeurs qu’ils doivent voter contre le pouvoir d’achat.
    Il est dommage que tu n’en es pas réellement conscience.

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