Le point de vue de « Démographie Responsable »

Pierre Blanc : Dans ce magazine Nature et Environnement, nous allons aborder une question un peu difficile, la démographie mondiale. A ce micro j’ai invité aujourd’hui le porte-parole de l’association Démographie Responsable, Didier Barthès.

Didier Barthès : J’anime aussi un blog sur le sujet, Economie Durable. La démographie est un facteur clef pour la protection de l’environnement mais c’est malheureusement le facteur négligé.

PB : Est-ce qu’il existe un lien entre la croissance très forte de de la population mondiale dont nous sommes témoins et la dégradation de l’environnement ?

DB : La démographie est un facteur qui agit sur tous les autres. Pourtant l’essentiel du militantisme écologique porte sur la façon de vivre. Nous ne pouvons pas dire « Consommez moins » à cette partie de la planète encore pauvre. Donc nous disons : « Si nous voulons avoir un peu plus pour chacun, faisons un effort pour ne pas être trop nombreux ». Autrement dit, nous ne serons pas à la fois riches et nombreux.

PB : Quel que soit le lieu sur la planète ?

DB : Quel que soit le niveau de développement, la présence des hommes exclut de fait la présence d’un certain nombre d’animaux. La consommation d’espace par l’humanité, c’est une source de destruction des différents biotopes sur la planète. Les humains doivent apprendre à partager la planète, mais c’est un message difficile à faire comprendre.

PB : Vous ne pensez pas que la planète a de quoi nourrir tout le monde ?

DB : On pourrait sans doute nourrir tout le monde, mais l’idée d’une planète où tout le monde soit gentil et partageur, je ne sais pas si cela arrivera. D’autre part le jour où il n’y aura plus de pétrole, il risque d’y avoir une très forte baisse de la productivité agricole. Enfin, est-ce que moralement on a le droit d’éliminer tout ce qui vit sur la planète ? Pour moi la réponse est non, tout simplement.

PB : Nous allons maintenant aborder la question du tabou, c’est courageux de l’aborder et notre radio le fait aujourd’hui. Pourquoi ce tabou ?

DB : Vous savez combien cet adjectif de malthusien a pris un côté péjoratif. Si vous prenez aujourd’hui le monde politique, presque tout le monde est nataliste. Il y a de rares exceptions, le leader du Mouvement Ecologiste Indépendant Antoine Waechter, l’ancien ministre de l’environnement Yves Cochet et plus récemment Nicolas Sarkozy. Or si vous discutez avec les gens dans la rue, une partie très importante d’entre eux vous disent : « Oui la question se pose ». Bien souvent les politiques autoritaires, que Démographie Responsable ne soutient pas, naissent d’une situation qui devient impossible. Essayons d’être raisonnables aujourd’hui pour éviter les catastrophes demain.

PB : Vous êtes en train de nous dire que si rien n’est fait, on risque d’arriver à des solutions impossibles et terribles.

DB : Oui parce que les projections sont actuellement dramatiques. Depuis quelques années et contrairement à ce que nous ont dit longtemps les démographes, le taux de croissance de la population ne baisse plus. Dans un certain nombre de pays la fécondité a même remonté. Le Nigeria, qui fait le dixième de la surface des États-Unis, aura entre 800 millions et un milliard d’habitants en 2100 au lieu de 200 millions aujourd’hui.

PB : On est tous d’ailleurs responsables. Comment s’y prendre pour éviter qu’il y ait une cassure brutale ?

DB : Il faut-être conscient que la démographie est une affaire qui présente beaucoup inertie. Quoiqu’on fasse, on aura les 9 milliards et demi à 10 milliards et demi en 2050, c’est quasiment acquis. Mais les situations sont contrastées. On ne va pas faire la même chose dans des pays riches et dans des pays pauvres. En France, nous avons un système d’incitation forte à la fécondité avec son système d’allocations familiales et son système d’aides fiscales. Démographie Responsable a proposé que les allocations familiales ne soient plus progressives avec le nombre d’enfants : « Au-delà de deux vous n’aurez pas plus que pour deux. » Pour les pays en voie de développement, nous pourrions imaginer que 25 % de l’aide au développement soit consacrée à ce que l’on appelle le planning familial.

PB : En quoi ces démarches sont-elles respectueuses de l’Homme, de la vie, d’une démarche humaniste ?

DB : Un monde dans lequel on ne puisse pas vivre, ça ce serait l’anti-humanisme par excellence. Le combat malthusien est un combat pour que le futur soit plus heureux.

PB : Je vous laisse conclure.

DB : Certains proposent que l’on aille voir les autres planètes et que l’on s’installe dessus. Eh bien non, ce qui nous manque, c’est de respecter la Terre ici-bas. C’est sur cette terre que les problèmes se posent, c’est là où nous devons trouver des solutions.

(Interview RCF Isère, le 14 novembre 2016 à Grenoble)

11 réflexions sur “Le point de vue de « Démographie Responsable »”

  1. Bonsoir Didier Barthès
    Moi aussi je veux bien admettre cette thèse de Dominique Bourg.
    Au sujet des affreux cubes de béton, ils n’ont pas seulement à voir avec le problème de population. Des millions de cubes de bétons qui ont enlaidi notre littoral ces dernières décennies… sont actuellement vides ( ce qui n’empêche pas que 150 000 SDF dorment dehors).
    L’homme maltraite la nature c’est certain, mais elle s’en remettra. Probablement pas les éléphants ni les girafes… mais la Nature (que j’écris là avec majuscule) n’a que faire de nous. Et puis elle a le temps ! La vie (la Vie) est une énigme, ce n’est pas l’homme qui détruira toute trace de vie sur la Terre. Quelle vanité là aussi de penser le contraire.
    En attendant, l’homme détruit son environnement, il met son avenir en danger de mille façons. De deux choses l’une, soit notre espèce disparaitra totalement, et ce ne sera pas la première (pas assez adaptée, trop « sophistiquée »…) ou alors elle s’en remettra et du coup progressera ; elle évoluera alors vers Sapiens enfin digne de ce nom.
    Serge Latouche mise sur la « pédagogie des catastrophes » , moi aussi. C’est uniquement un pari, d’autres n’y croient pas et je les comprends.
    Seulement par « catastrophes » j’entends autre chose que les « amuses-gueules » que nous avons connues jusque là.
    Ce n’est pas tout à fait du pessimisme, puisque j’y vois un espoir… Par contre je suis triste pour mes petits-enfants

  2. Bonsoir Michel C,
    En ce qui concerne la réponse au « Pourquoi » (on ne fait rien contre les menaces contre la nature et toutes les catastrophes qui s’annoncent), j’ai remarqué que depuis quelques temps le philosophe Dominique Bourg (par ailleurs vice président de la Fondation Nicolas Hulot) évoquait souvent dans ses conférences l’idée que c’était parce qu’on ne ressentait pas cela avec nos sens. C’est vrai qu’on ne voit pas physiquement disparaitre les éléphants, ni la mer s’acidifier, qu’on ne sent pas le CO2 et que la déforestation se fait pour l’essentiel loin d’ici (encore que…). Je suis partiellement d’accord avec cette thèse même si en ce qui concerne le sujet dont je parle en priorité, la surpopulation, je la vois très bien détruire tous les endroits coquets ou boisés près de chez moi pour les remplacer par des cubes de béton ou par de nouvelles voies pour transporter les habitants.
    En ce qui concerne les erreurs de notre espèce et les « baffes » qui pourraient lui venir en retour, notons que pour l’instant c’est elle qui commet les erreurs (ce sont même plus que des erreurs) mais que c’est la nature qui reçoit les baffes. Inutile que je revienne sur les 58 % d’animaux en moins en 42 ans, vous savez tout cela aussi bien que moi. Il y a là une forme d’injustice qui nous pousse d’ailleurs à persévérer dans la mauvaise voie. Nos civilisations disparaîtront peut-être mais les équilibres biologiques s’écrouleront avant elles (de peu, mais avant quand même).
    Je crois surtout que ni le concept de sagesse, ni celui de conscience globale n’ont de sens pour l’humanité dans son ensemble, il n’y a pas d’agrégation des consciences. Nous (mot mal employé d’ailleurs si je crois à ce que je dis juste avant) n’avons jamais agi collectivement (sauf peut-être contraints et forcés par les Etats lors des grands conflits du siècle précédent, mais ce n’était pas vraiment une humanité unie qui agissait, c’était même une humanité divisée). Si l’on ajoute que les défis sont plus grands que jamais (car il s’agit de la vie de tous les grands organismes de la planète)… Encore une fois, je suis pessimiste.

  3. Merci Didier Barthès pour vos réponses.
    Je me doutais un peu de la réponse à ma dernière question. Je pensais toutefois que certains modèles prenant en compte les aides au développement pouvaient nous donner certains résultats. Bien entendu ces résultats seraient très discutables, étant donné que comme vous dites, il y a tellement de facteurs entrant en jeu. C’est bien pour ça que les prévisions pour 2100 restent très aléatoires.
    Bien entendu, comme vous je pense que ces aides ne peuvent qu’aller dans le bon sens, ou plus exactement qu’elles ne peuvent pas avoir d’effet contreproductif dans cette lutte qui vous tient à coeur. Sans me moquer parce que je ne fais certainement pas mieux, je pense que c’est du même ordre que la goutte d’eau du colibri.

    Dans votre interview vous abordez ce qui est pour moi l’essentiel :  » Essayons d’être raisonnables aujourd’hui pour éviter les catastrophes demain. »
    Depuis le rapport Meadows, on ne compte plus ceux qui ont dit la même chose d’une manière ou d’une autre. Chirac disait « la maison brûle et nous regardons ailleurs »… Hulot a fait un film « le syndrome du Titanic ». Combien de sociologues, philosophes, politologues ont tiré la sonnette d’alarme, parlé de ce phénomène du déni… ? Et rien n’y fait. Pourquoi ?
    Déjà parce que jusque là tout va bien. Je le dis souvent et même avec ironie.
    Mais surtout parce que la raison et la sagesse ne se décident pas comme ça, d’un coup de baguette magique. On pourra toujours essayer de faire courir un âne plus vite qu’un étalon, mais c’est peine perdue. Sapiens Sapiens n’est pas si sage que ça, je le vois même très bête. Quelle vanité pour s’autoproclamer ainsi ! Notre espèce est très jeune sur l’échelle de l’évolution, tout juste à son adolescence, l’âge bête. Elle a peut-être besoin de se prendre de bonnes « baffes » pour grandir… Qui sait ?
    Ce qui me donne un peu d’espoir… c’est le fait que certains spécimens sortent du lot. Ils sont rares certes, mais pour moi ils sont la preuve que notre espèce a une belle marge de progression. Je crois que c’est la nécessité (la force des choses) qui se chargera de ça, et rien d’autre. En attendant moi aussi je fais de mon mieux… que voulez-vous j’ai été élevé comme ça.

  4. Re bonjour Michel C

    Je m’aperçois que je n’ai pas répondu à votre dernière question.
    Non je dois admettre que je ne saurais chiffrer précisément l’impact des différentes mesures que je préconise si elles devaient être appliquées. C’est très difficile, tant de facteurs entrent en jeux. Ces mesures mêmes se situent dans le cadre économique, culturel, sociologique de chaque pays et l’on ne peut tout prendre en compte et notamment pas les interactions compliquées entres ces différents déterminants.
    Ce que je crois c’est qu’elles vont dans le bon sens. Il faut savoir que nous sommes aujourd’hui à 2,5 enfants par femme, un demi enfant de plus ou de moins à partir de maintenant donnera à la fin du siècle des écarts très importants à la fin du siècle. Ainsi les projections hautes et basse ne diffèrent souvent que par une faible variation de la fécondité et les projections de l’Onu pour 2100 vont de moins de gens qu’aujourd’hui pour les projections basses à plus de 16 milliards pour les projections hautes. Il y a une grande sensibilité à de faibles variations initiales

  5. J’ajoute une chose concernant la croissance récente de la population
    Tous les ans, au premier janvier je publie un article s’intitulant
    La population mondiale au 1er janvier (…de l’année en cours)
    le dernier article donne d’ailleurs des liens vers tous ceux des premiers janvier précédents)
    Vous pouvez voir par exemple celui du premier janvier 2016 via le lien suivant (ou en tapant sur mon nom)
    http://economiedurable.over-blog.com/2016/10/la-population-mondiale-au-1er-janvier-2016.html

  6. Bonjour Michel C.

    Ces lignes sont en fait un extrait d’un entretien plus large que vous pouvez lire (ou écouter) depuis le blog Economie Durable (accessible en tapant sur mon nom ci-dessous)
    Concernant l’arrêt de la baisse du taux de croissance de la population, je précisais bien que cela se passait depuis quelques années. (Mes sources sont les cahiers population et sociétés de l’INED qui publient tous les deux ans sous la direction de Gilles Pison un point sur la population mondiale). Il va de soi que si, par contre, on regarde cela sur les 5 ou 6 dernière décennies alors oui le taux à baisser (je l’expliquais d’ailleurs en détail un peu plus haut dans l’interview) mais cette baisse du taux ne s’est toutefois pas traduite par une baisse sensible de la croissance en valeur absolue et à moyen terme cette croissance là est déterminante pour les atteinte à l’environnement .

    Comme vous je trouve dommage qu’on ne donne pas plus pour la planification familiale, je milite d’ailleurs dans une association qui réclame que 25 % de l’aide au développement soit allouée à cette destination. Ce serait sans doute une bonne façon de lutter tout à la fois pour la protection de l’environnement et contre la misère.

    En ce qui concerne les comparaisons que vous soulignez entre les budgets militaires ceux de la publicité et l’aide au planning familial, oui elles sont impressionnantes même si bien sûr ont doit tenir compte que ces dépenses s’établissent dans des cadres différents. Les budgets publicitaires sont d’ordre privés, et les budgets militaires sont d’ordre publics mais à destination interne du pays qui fait les dépenses, donc il est difficile de comparer.

    D’autres disent aussi qu’il faudrait tout simplement assurer le développement puisque celui-ci s’accompagne souvent d’une baisse de la fécondité. Je m’explique plus avant dans le reste de l’entretien sur cette question. Hélas le monde dans lequel nous vivons est loin de l’idéal

  7. Bonjour Invite2018
    Oui je suis aussi pour ma part favorable à déconnecter la vie personnelle de Nicolas Sarkozy de ses points de vue, c’est une autre question qu’il ne faut pas mélanger car la vie de chacun est toujours compliquée.
    En ce qui concerne ce que je disais de l’ancien président, c’était que j’approuvais ses propositions consistant à dire que la démographie était une question importante et qu’il serait profitable d’organiser des réunions internationales sur le sujet comme il y en a sur le climat. Ces deux points me semblent justes, mon propos s’arrêtait là.
    Mais de façon plus générale je crois qu’on peut apprécier ou ne pas apprécier Nicolas Sarkozy, je crois qu’on peut être en accord ou en désaccord avec sa proposition de conférences mais qu’on ne doit pas être en désaccord avec cette proposition parce que c’est Nicolas Sarkozy qui l’a formulée, ce serait à la fois une faute intellectuelle et une faute morale. Si Nicolas Sarkozy dit qu’il fait beau alors que le Soleil brille, il n’y a nulle raison de prétendre qu’il pleut sous prétexte qu’on est en désaccord avec lui sur d’autres points.

  8. @Bouchet elisabeth, reprocher à Sarkozy le nombre d’enfants qu’il a eu est un coup au dessous de la ceinture. Lutter contre l’explosion démographique, c’est exiger que le droit de ne pas procréer soit respecté (ce qui n’est hélas pas le cas, à cause du fait que toute vraie bonne contraception efficace soit inaccessible à quasiment tout non-milliardaire), mais pas mener quelque ingérence envers la fécondité personnelle de quiconque parmi autrui.

    La pseudo promotion du combat pour la résolution du problème de surpeuplement par Sarkozy est hypocrite en raison du fait que l’ancien président fasse l’apologie des politiques austéritaires intrinsèquement génératrices de fécondité subie, mais pas en raison de la vie personnelle de ce dernier, laquelle vie personnelle ne relève que de son droit le plus strict.

  9. Bonjour Didier Barthès
    Je suis globalement d’accord avec ce que vous dites dans cette interview.
    Toutefois, en observant les données et les courbes que chacun peut facilement trouver, je ne comprends pas ce qui vous permet de dire que le taux de croissance de la population ne baisse plus.
    Par contre je vois que le problème se situe particulièrement en Afrique subsaharienne avec ce taux de fécondité qui reste très élevé aux alentours de 5 enfants par femme.

    L’aide au développement en Afrique reçoit pas mal de critiques, on lui reproche notamment son manque d’efficacité. Bien entendu il faudrait voir quels sont les véritables objectifs de ces aides… Quoi qu’il en soit je vois que le montant total de l’APD mondial s’élevait à 135,2 milliards de dollars en 2014. Pour comparer, je rappelle que le budget mondial de la publicité est d’environ 500 milliards de dollars par an et que les dépenses militaires mondiales s’élèvent à 1676 milliards de dollars en 2015. Ceci pour dire que nous avons largement les moyens financiers pour développer non seulement le planning familial dans ces pays, mais aussi l’éducation.

    Puisque votre combat vise notamment à faire baisser les taux de fécondité, avec différentes mesures selon les pays et régions bien entendu, pourriez-vous nous dire et compte-tenu de cette inertie… ce que ces mesures donneraient comme résultats ?

  10. Bouchet elisabeth

    Juste une remarque : Combien d’enfants Monsieur Nicolas Sarkozy s’est-il autorisé à mettre au monde ? …cherchez un peu… »Faites ce que je dis, pas ce que je fais », pourrait être sa devise…

  11. Concernant Sarkozy, sa place est, encore actuellement, plus dans la catégorie des natalistes que dans celle des exceptions.

    En effet, l’ancien président ne regrette toujours pas d’avoir fait fermer lors de son quinquennat de nombreux centres d’IVG. Il continue même de faire l’apologie de la non remise en cause de ces mêmes fermetures.

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