Le point judiciaire sur la désobéissance écolo

Des suffragettes s’enchaînant au Parlement britannique à Rosa Parks refusant de céder sa place dans un bus, en passant par les 343 femmes qui ont témoigné avoir avorté, ces actions, volontairement placées en marge de la licéité pour dénoncer des lois injustes, ont permis de belles avancées. Quand l’Etat étend le domaine de l’illicite, le domaine de la désobéissance civile s’étend. La violence des forces de l’ordre contre les personnes qui s’engagent dans la désobéissance civile – par essence non violente – ne saurait jamais être légitime.

Michel Forst et Magali Lafourcade : Sur le plan international, on considère que, pour appartenir au registre de la désobéissance civile, un acte doit remplir quatre conditions cumulatives. Il doit respecter le principe de non-violence, être public, invoquer une cause d’intérêt général, et l’auteur doit accepter le principe de la sanction. Participer à une manifestation interdite, bloquer un pont ou projeter des ingrédients sur une œuvre d’art sont autant d’actions illicites et non violentes qui s’inscrivent dans ce sillage. La Cour européenne des droits de l’homme offre un guide à l’attention des juges nationaux. A propos des associations environnementales, elle juge que leur participation au débat d’intérêt général est « essentielle pour une société démocratique ». Elle rappelle la liberté de choisir de s’exprimer « en utilisant des moyens d’expression non verbaux et symboliques », quand bien même cela impliquerait une dégradation des biens. S’agissant de la peine prononcée, elle invite les juges nationaux à s’inquiéter de l’effet dissuasif d’une sanction pénale, même modérée, quant à l’exercice de la liberté d’expression.

Les Soulèvements de la Terre menacés de dissolution : Le ministère de l’intérieur reproche aux représentants de ce mouvement de fournir un « appui logistique, humain, financier et organisationnel », prodiguant aussi des « conseils » pour « la pratique de l’éco-sabotage », que « prône et justifie », selon lui, le mouvement. Le ministère de l’intérieur s’inquiète notamment de la capacité des Soulèvements de la Terre à « convertir » des militants « adeptes de la désobéissance civile » et à les amener à valider des modes d’action plus offensifs, comme des sabotages d’infrastructures. Cette volonté du gouvernement de dissoudre Les Soulèvements de la Terre repose sur un article du code de la sécurité intérieure visant « les associations ou groupements qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». Le courrier liste longuement les actes et mobilisations qui ont émaillé l’histoire, pourtant récente, de ce mouvement. Parmi celles-ci : la contestation des bassines dans les Deux-Sèvres, le blocage du site Bayer-Monsanto à Villefranche-sur-Saône, l’occupation des sites Lafarge en Ile-de-France… S’agissant des modes d’action, Les Soulèvements de la Terre n’ont jamais caché vouloir mobiliser « toute une palette d’actions classiques : plaidoyers, mise en culture, défrichage et reprise des terres, soutiens à des installations paysannes, manifestations de masse, blocages ponctuels et désarmement ». En précisant que le mouvement n’avait « jamais usé des termes de “sabotage” ou d’“éco-sabotage” ».assurant qu’ils n’ont, « ni par leurs discours ni par leurs publications, incité à la provocation de violences contre les personnes ou de dégradations de biens et surtout pas à la réalisation de sabotages portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ».

Patrick Bazin : Le gouvernement aurait dû y regarder à deux fois avant d’envisager cette dissolution. Autant la révolution trotskiste lorgnée par LFI n’a aucune chance de se produire ou même de séduire, parce que ses fondamentaux idéologiques sont dévitalisés depuis longtemps, autant le nouvel idéal de mobilisation que devient la Terre est suffisamment messianique pour enthousiasmer une bonne partie de la jeunesse. Il ne suffit pas d’y répondre par la raison économique et la répression. Il représente peut-être, à l’échelle mondiale, la seule réponse possible aux repliements nationalistes et identitaires qui nous menacent. Il faudrait que les partis politiques démocratiques sachent intégrer dans leurs logiciels cette nouvelle vision du monde.

Biosphere : L’urgence écologique des dérèglements planétaires oblige à des actions de masse, mais notre société est anesthésiée par les délices de la civilisation thermo-industrielle basée sur les ressources fossiles. Il faut donc du sensationnalisme médiatisé et Andreas Malm donne une réponse : « Agir spectaculairement, sans atteinte aux personnes, mais avec destruction possible des biens nuisibles à l’équilibre planétaire. ». Mais attention, il ne faudrait pas confondre écoguerrier et terroriste !

Lire, Urgence écologique et destructions de biens

Michel Forst : « A Sainte-Soline, la réponse de l’Etat m’a paru largement disproportionnée ». Michel Fosrt est le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement et ancien rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’homme. Ce poste a été créé en octobre 2022 par l’ONU, dans le cadre de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information et à la justice en matière d’environnement, pour répondre à la multiplication des violations des droits des militants du climat ou de l’environnement et les protéger contre toute forme de harcèlement, persécution ou pénalisation. Il juge la situation en France « préoccupante ».

Les Soulèvements de la Terre sur notre blog biosphere

2 avril 2023, « Nous sommes les Soulèvements de la terre »

2 avril 2023, Nous sommes la Terre qui se soulève

28 mars 2023, Darmanin, c’est pas bien de dissoudre SLT

3 novembre 2022, Gérald Darmanin face à l’« écoterrorisme »

La désobéissance civile sur notre blog biosphere

7 janvier 2023, L’urgence écologique entraîne la désobéissance civile

19 décembre 2022, Le pourquoi de la désobéissance civile

1er octobre 2022, La désobéissance civile des scientifiques

26 septembre 2021, Formations à la désobéissance civile NV

19 mai 2021, 29 mai, formation à la désobéissance civile

9 février 2021, Tout savoir sur la désobéissance civile

15 octobre 2019, Pour ou contre la désobéissance civique

19 septembre 2019, José Bové, désobéissance civile ou civique ?

1er octobre 2019, Biosphere-Info, la désobéissance civique (SYNTHÈSE)

2 juin 2018, Violer une centrale nucléaire, une très bonne action ?

2 juin 2016, À lire, La désobéissance civile (H.D.Thoreau, 1849)

22 mai 2014, La désobéissance s’apprend, savoir déterminer l’injuste

26 juin 2012, Devenons casseurs de pub, soutenons les déboulonneurs

24 janvier 2012, Devenir activiste avec Greenpeace

4 octobre 2011, fauchage des OGM, obscurantisme ou démocratie ?

14 septembre 2011, appel à la désobéissance généralisée

17 septembre 2010, ne pas confondre désobéisseur et désobéissant !

29 avril 2007, Collectif des déboulonneurs

4 réflexions sur “Le point judiciaire sur la désobéissance écolo”

  1. Noël Mamère

    « La FNSEA vient d’élire à sa présidence le patron d’Avril, puissant groupe agro-industriel international, dont la devise « Servir la terre » sonne comme une provocation. Parce qu’elle se sent trahie, la génération de jeunes militants constate les limites des marches pour le climat et des happenings bon enfant. Elle se contentera de moins en moins de la désobéissance civile non violente, pourtant inscrite dans notre culture politique depuis le XIXe siècle. Pour cette génération, la désobéissance est devenue « résistance », avec tout l’imaginaire qui l’accompagne. Il ne faudra pas s’étonner si certains basculent dans des formes d’activisme incontrôlables. » (LE MONDE du 24 avril 2023)

  2. Comme toutes les formes de désobéissances, tant qu’elle ne dérange personne la «désobéissance écolo» sera largement acceptée. Qualifiée alors de gentille, voire de gentillette, bon enfant… elle pourra même susciter la sympathie. Comme ces «blocages» d’autoroutes qui permettent aux bagnolards de passer gratos, après avoir pris un tract au lieu d’un ticket. Sauf que le discours du tract, à condition qu’il soit lu, sera vite oublié. Rangé au fin fond des mémoires mortes dans le dossier « C’est bon je sais ». Bilan des courses ce genre d’action ne sert à rien, même pas à faire boiter les Vinci et Compagnie.
    Maintenant, dès que ces actions viennent perturber le train-train de Pierre Paul ou Jacques, et dieu sait qu’un rien nous perturbe… et pour peu qu’elles dérangent l’Ordre Établi… alors là évidemment c’est une autre histoire. (à suivre)

    1. Si ce n’est qu’un peu, passe encore. Si c’est beaucoup, là c’est trop. Passionnément et à la folie n’en parlons pas. Pensons seulement à ces salauds de grévistes (gôôôchistes, fonctionnaires, fainéants, privilégiés etc.) qui prennent en otages des millions de braves gens (Gréviste = Terroriste). Et le terrorisme c’est inacceptable, intolérable, ingérable, misérable etc. Misère misère ! Alors quoi ? Quoi FAIRE ? Quoi bloquer, quoi démonter, quoi casser, quoi brûler etc. ? Pour la Bonne Cause bien sûr, et ce sans s’attirer les foudres de Pierre Paul ou Jacques.
      Déjà ne rêvons pas. Et essayons de voir où nous en sommes. Déjà de nos «forces vives». Balayons d’abord devant notre porte, etc. S’il ne faut pas confondre écoguerrier et terroriste, il ne faudrait pas non plus con fondre une vessie et une lanterne. ( à suivre )

      1. Pour ce faire : Sans sombrer dans la caricature des binaires et autres dogmatiques, repérons les fervents défenseurs du Système et de l’Ordre Établi. Même à l’insu de leur plein grès. N’ayons pas peur de les nommer. Analysons leurs stratégies, leurs contradictions, ne perdons pas de vue ce qui les dérange vraiment et en premier lieu. Notons ceux (celle) qui, par exemple, s’accommodent parfaitement des violences policières. Dans l’autre sens repérons ceux qui les condamnent, ceux qui veulent réellement changer le monde, pas pour le rendre pire évidemment, analysons leurs discours, leurs contradictions, etc.
        Et après tout ça… choisis ton camp camarade.

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