le sport, antinature, antipathique, pro-capitalisme

On se rappelle les fécondations programmées des athlètes féminines avant une compétition pour améliorer leur taux d’oxygénation dans le sang.  On se rappelle pour les cyclistes les poches de sang prélevé, congelé et réinjecté avant une épreuve. On connaît la salle de cryothérapie de l’Insep en France : le corps du sportif, plongé jusqu’à – 110 °C, subit un choc thermique qui permet une meilleure récupération. On cultive des cellules des cartilages et des tendons pour pouvoir les greffer en cas de blessures. Le sport médicalement assisté a usé de molécules (stéroïdes, créatine, EPO…), aujourd’hui il s’oriente vers le dopage génétique. Se profile la possibilité des exosquelettes et des xénogreffes. Le matériel devient prothèse, raquette ultra-légères utilisant des nanotechnologies, perches faite en fonction de la morphologie, etc. Le corps du sportif est à la pointe du processus de technicisation. Médecins, chirurgiens, psychologues, ostéopathes, etc., encadrent le champion pour lui construire un corps-machine. Tout ça pourquoi ?

Le sport est une institution centrale de la société productiviste fondée sur le mythe de la croissance et du progrès. Car les humains n’ont pas toujours fait du sport. C’est un processus historique qui découle de l’avènement de la « modernité » et aboutit au XIXe siècle. Esprit de compétition, recherche de la perfection du geste et du dépassement de soi, aspiration au succès se retrouvent à la fois au cœur de l’idéologie sportive et de celle du taylorisme. Rendement et optimisation deviennent des fins auxquelles concourent, aiguillonnés par le travail des scientifiques, l’entreprise, l’Etat et le maître de gymnastique. Cette modernité industrielle, entièrement tournée vers la recherche du  profit, instrumentalise les corps des travailleurs et des sportifs pour atteindre ses objectifs. Pierre de Coubertin, promoteur des Jeux Olympiques modernes, avait bien compris que le sport permettait de fabriquer « des chevaliers servants au caractère trempé et aux muscles robustes  pour la révolution industrielle et la société libérale capitaliste ».

Le sport est le symptôme de l’exacerbation du sentiment de toute-puissance, et en même temps d’une perte de sens. Une étude publiée en 2007 considérait que nous sommes en train de parvenir au bout des capacités physiologiques de l’être humain… mais peu importe au sport-spectacle, quand un record n’est pas battu, le monde médiatico-sportif en invente de nouveaux : nombre de tournois du grand chelem gagnés en tennis, record de sélections en équipe de France, etc. Tout ce système repose sur l’idée du « toujours plus », comme la société marchande. Se pose alors la question des limites, question tabou dans la société actuelle. Le nageur Alain Bernard se permet de pérorer : « Je n’ai vraiment pas de limites. Je ne m’en vois pas. » Alors nous subissons à la chaîne Roland Garros, le championnat d’Europe de foot, puis le Tour de France cycliste, puis les jeux Olympiques de Londres… Ras-le-bol !

(Résumé d’un texte de Cédric Biagini, mensuel La décroissance, n°  91, juillet-août 2012)

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