Le tanker Sanchi en feu, la symbolique des marées noires

Le naufrage du pétrolier iranien le 14 janvier en mer de Chine orientale est symbolique d’une catastrophe écologique beaucoup plus globale qu’une marée noire locale. Notre dépendance à la merde du diable (le pétrole) est facteur non seulement du réchauffement climatique, mais aussi du blocage prévisible de la croissance économique faute de combustible. Les nappes de pétrole en mer nous avertissent des risques structurels, encore faut-il s’en rendre compte.

Le naufrage du Torrey Canyon le 18 mars 1967 avait complètement échappé à l’attention du journal LE MONDE pendant plusieurs semaines ! Ce nétait que la première marée noire sur les côtes françaises, un événement sans importance. Il faut attendre le 21 avril  pour que soit publié en Une un bulletin intitulé « les dangers du progrès ». La conversion écologique de ce quotidien « de référence » va être lente, aussi lente que la prise de conscience générale dans une société où priment l’économique et le socio-politique. C’est seulement à partir de 1969 que LE MONDE ouvre un dossier « Environnement » au service de documentation. Mais il n’y a toujours pas de journaliste spécialisé. Quotidien institutionnel dont la rédaction était constituée de journalistes surtout centrés sur le politique, LE MONDE n’a commencé à traiter spécifiquement d’environnement qu’en 1971, lorsque le ministère de la protection de la nature et de l’environnement a été créé. La médiatisation des événements ne devrait pas en rester à un constat partiel, le nombre de morts, la longueur des nappes de pétrole, le coût écologique et financier du désastre… Les journalistes doivent nous avertir de la profondeur de la crise à venir. Les marées noires ne sont qu’un signe ponctuel des dérives d’une société minière ; les humains polluent les océans quand ils cherchent ailleurs ce qu’ils ne trouvent plus à proximité. 

L’exploitation minière est une métaphore, inspirée de la thèse de Lewis Mumford, de la civilisation thermo-industrielle : « L’exploitation minière est avant tout destructrice : son produit est un amas sans forme et sans vie, ce qui est extrait ne peut être remplacé. La mine passe d’une phase de richesse à l’épuisement, avant d’être définitivement abandonnée – souvent en quelques générations seulement. La mine est à l’image de tout ce qu’il peut y avoir de précaire dans la présence humaine, rendue fiévreuse par l’appât du gain, le lendemain épuisée et sans forces. » Les humains pulvérisent des montagnes et creusent au plus profond des entrailles de la Terre jusqu’à ce que le globe terrestre se réduise à l’état d’une orange pressée, pressurée, inutilisable ! Mais ces pratiques vont s’achever au cours de ce siècle après épuisement de toutes les richesses souterraine. L’allégorie de Mumford met parfaitement en lumière l’opposition radicale qui sépare deux formes de rapport à la nature. Il y a d’un côté l’agriculture traditionnelle qui favorise l’établissement d’un équilibre entre les éléments naturels et les besoins de la communauté humaine ; ce que l’homme prélève  à la terre lui est délibérément restitué (une capacité largement compromise par les stratégies d’exploitation minière en agriculture et en élevage). Il y a de l’autre le pillage du capital naturel par des multinationales qui creusent toujours plus profond, sur terre ou dans les mers, pour extraire les dernières gouttes de pétrole, les derniers morceaux de charbon, les dernières paillettes d’or.

Nos références :

14 mars 2007, Quarante ans déjà !, le naufrage du Torrey Canyon

3 mai 2010, les leçons d’une marée noire, la plate-forme Deepwater Horizon

Lewis Mumford, Les transformations de l’homme (1956)

2 réflexions sur “Le tanker Sanchi en feu, la symbolique des marées noires”

  1. Peut être un jour nous découvrirons que le pétrole enfuit sous terre avait un rôle dans l équilibre des choses , et qu il méritait mieux que d être brûlé dans des bagnoles ou des avions .

  2. La production de pétrole au niveau mondial a plus que doublé depuis les années 70 pour atteindre quelques 95 millions de barils / jour en 2015. Durant cette période le nombre de tankers sillonnant les océans a suivi la même sinistre courbe, toujours plus nombreux, toujours plus gros.
    Et inversement, curieusement (?) … durant cette même période le nombre de marées noires a considérablement chuté.
    https://fr.statista.com/statistiques/570536/nombre-de-marees-noires-par-navires-petroliers-1970/

    Ce phénomène fait penser à un autre sujet à l’ordre du jour, le nombre des blessés et des tués sur les routes.

    Cette réalité vient conforter l’idée qu’on se fait du Progrès. Le Progrès c’est formidable, on n’arrête pas Le Progrès, bref Le Progrès nous promet des lendemains qui chantent !
    C’est ainsi qu’on nous promet pour demain des « voitures intelligentes » , des « tankers intelligents », des « maisons intelligentes », etc. etc.

    Et en même temps … le fameux QI serait en baisse. Encore que ceci reste à démontrer, et pour cela faudrait-il déjà savoir de quoi on parle là.
    En tous cas ce qui est certain, c’est que tous les équilibres sont toujours plus perturbés, c’est que les océans sont de plus en plus pollués, c’est que la biodiversité s’effondre, etc. etc. Et ceci toujours plus.

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