Le tirage au sort peut remplacer les procédures électives

Le tirage au sort place chacun à égalité de chances d’exercer un pouvoir ou une charge, sans interférence avec une autorité quelconque. Le tirage au sort des membres de la Boulée était appliqué il y a 2500 ans à Athènes pour le gouvernement de quelques dizaines de milliers de personnes. Le mandat d’une année n’était pas renouvelable et il était soumis à une évaluation finale, la révocation en cours de mandat étant possible. Nous voilà bien loin de la sinécure à vie accordée à la plupart de nos modernes parlementaires ! Le tirage au sort des législateurs fut, bien plus tard, pratiqué à Venise et Florence ainsi que dans le royaume d’Aragon.

Pourquoi nos contemporains ne connaissent de cette pratique que les jurys d’assises ? Les fondateurs des républiques modernes souhaitaient une sorte d’aristocratie élective, laquelle ne pouvait pas provenir du tirage au sort, et ils voulaient que soit légitimée sans conteste l’autorité politique grâce au vote formel des citoyens. Cette justification de l’oligarchie élue, qui témoigne d’un mépris certain pour les capacités du peuple, oublie le jugement de Montesquieu : « Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie, le suffrage par le choix est de celle de l’aristocratie (L’Esprit des Lois, livre II, chapitre II). » Et si l’on se passait du vote pour essayer la démocratie ? Les faillites et scandales du système électoral ont stimulé, dans la période récente, diverses propositions pour remplacer la démocratie délégataire actuelle par un régime évitant les prébendes des responsables autant que leur éloignement du peuple : la désignation des gouvernants par tirage au sort deviendrait déterminante. On pourrait alors réduire le carcan des élections dont la préparation, le déroulement et les conséquences rythment l’essentiel de la vie politique. Il faut aussi rompre avec l’hypocrisie des alternatives, du référendum bâclé au sondage d’opinion, qui permettent essentiellement de recueillir l’opinion qu’on avait d’abord inculqué ».

Dominique Bourg et Kerry Whiteside imaginent un « sénat de l’écologie » dont les membres tirés au sort proviendraient majoritairement d’une liste d’experts. Cette proposition reflète la prépondérance donnée au technique sur le politique, et finalement une certaine défiance dans la capacité des citoyens à se saisir de tout objet qui concerne la vie des gens ordinaires. Une autre proposition consisterait à remplacer le sénat par une « Chambre des citoyens » dont les membres seraient tirés au sort dans la population et dont la charge principale serait de veiller sur les activités et productions de l’Assemblée nationale élue. Le parti politique « Nouvelle Donne » a même proposé le tirage au sort dans le cadre des élections européennes de mai 2014. Mais avec prudence car il s’agissait de créer des panels de militants tirés au sort pour « constituer la commission électorale qui déterminera la première moitié de la liste des candidats ».

Pour en savoir plus et faire progresser la démocratie, lire « Comment les citoyens peuvent décider du bien commun, l’humanitude au pouvoir » de Jacques Testard (Seuil 2015, 158 pages pour 17 euros)