L’écologie du bonheur, c’est ce qu’on nous a enlevé

                Claudia Senik parle dans son livre de « L’Economie du bonheur »*, ce qui déborde largement le domaine de l’économie puisque le sentiment de plénitude repose sur des évaluations subjectives, non mesurées en monnaie par le marché, propres à chaque individu. Comme l’avoue la recension du MONDE*, «  ces mesures du bonheur sont approximatives, voire hasardeuses ». Il n’empêche que les recherches de Richard Easterlin  ont montré que la croissance économique n’a pas augmenté le bonheur moyen des Américains entre 1947 et 1970. Malgré un quasi doublement du revenu par habitant de 1972 à 2002, le niveau de bonheur moyen des Américains est resté quasiment stable. Comment expliquer cette croissance sans bonheur ? Comprendre le « paradoxe d’Easterlin » en disant que tout est relatif, que chacun se compare à son voisin ou à un niveau de vie attendu, est un peu trop facile. Nous préférons la thèse que Stefano Bartolini défend dans son livre : le nœud du problème est relationnel.

Il existe pour lui une corrélation tendanciellement négative entre le bonheur et l’accès aux biens de consommation. D’après la vision consacrée de la croissance, les biens qui sont des biens de luxe pour une génération sont des biens standard pour la génération suivante, puis des biens de première nécessité pour la troisième génération (électroménagers, voiture, voyages…). La face obscure est celle des biens gratuits pour une génération devenant des biens rares et coûteux pour la génération suivante, puis des biens de luxe pour celle d’après : le silence, l’air pur, l’eau non polluée, des quartiers sans criminalité… Mais l’explication principale du paradoxe du bonheur dans les sociétés occidentales est que les effets positifs sur le bien-être, fruits de l’amélioration des conditions économiques, ont été annulés par les effets négatifs d’une dégradation des relations humaines. Il y a aujourd’hui pauvreté relationnelle : aggravation de la solitude, difficultés de communication, méfiance et peur, instabilité des familles,  fractures générationnelles, sentiment d’isolement, recul de la participation sociale et de l’engagement civique, détérioration du climat social. Les efforts déployés pour accroître la prospérité économique se font en détériorant le tissu social.

                L’économie de croissance a détruit tout le réseau relationnel qui existait auparavant. Un homme ou une femme qui s’occupe des enfants en bas âge à la maison ne fait pas augmenter le PIB ! Alors le système économique crée des crèches, des écoles maternelles, des emplois en conséquence… et le relâchement des liens familiaux. L’écologie infuse dans la société mais de façon très disparate. Il y a les écolosceptiques et les militants écolo, l’écologie punitive et l’autre positive, l’écologie de la peur ou l’écologie optimiste, il nous manquait l’écologie du bonheur pour faire une synthèse. Mais comment parvenir à la félicité ?Une écologie du bonheur reposera sur la mise en pratique de deux formules complémentaires: « Moins de biens, plus de liens » d’une part, « Des liens de proximité plutôt que des échanges marchands » d’autre part.

* LE MONDE Culture&idées du 25 octobre 2014, « Le bonheur des citoyens est une boussole »

** Manifeste pour le bonheur de Stefano Bartolini (2010)

2 réflexions sur “L’écologie du bonheur, c’est ce qu’on nous a enlevé”

  1. On a du mal à imaginer d’ici le désert relationnel des banlieues US. Pour ce qui attend la génération actuelle dans ses vieux jours, un aperçu intéressant: http://blogs.rue89.nouvelobs.com/american-ecolo/2012/04/05/des-vieillards-americains-cloues-la-maison-bien-fait-pour-eux-227081
    Il se trouve que ma soeur vit dans une banlieue cossue de Washington, et qu’après l’avoir visitée, mon fils et moi espérons ne jamais y remettre les pieds. Tout le confort est pourtant là, mais le seul contact avec les voisins est un salut poli, sans plus. Si on y ajoute le fait que le seul lieu de socialité – et c’est un bien grand mot pour un centre commercial – se situe à une demi-heure à pied (pendant laquelle on ne croise aucun piéton évidemment) , j’y ai ressenti une impression d’isolement bien plus oppressante que la paisible solitude avec soi-même ressentie au coeur du Sahara. J’ai mis plusieurs mois à me remettre du choc. Est-ce là le bonheur?
    Puisque la résilience est à la mode, il ne semble pas que ce mode de vie soit le meilleur moyen d’être prêt à l’effondrement dont parle Didier.

  2. Le bonheur…. c’est toujours pour demain. L’effondrement aussi d’ailleurs est pour demain, mais à la différence du bonheur, pour l’effondrement, cela ne sera pas repoussé. Il serait d’ailleurs improbable que bonheur et effondrement cohabitent.

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