L’écologie profonde versus l’écologie superficielle

Ce post est réservé uniquement aux commentaires de Coq (au vin) et à nos propres réponses ; nous voulons en effet vérifier si un dialogue sincère entre deux parties complètement opposées peut quand même déboucher sur un consensus.

Voici le début de l’échange déjà passé sur ce blog. Le premier commentaire est confié à Coq à qui la parole est maintenant donnée.

Biosphere @ Coq : Vous faites une comparaison intéressante entre l’écologie profonde que vous considérez comme un extrémisme et « l’écologie environnementaliste non extrémiste comme idée de centre droit ». Ecologie profonde contre écologie superficielle, là est l’essentiel.

La notion d’écologie profonde, introduite par le philosophe norvégien Arne Naess au début des années 1970, permet en effet de se différencier d’une écologie superficielle, du type capitalisme vert ou croissance verte, sans oublier toutes les formes de greenwashing. C’est cette forme d’écologisme « non extrémiste », qui permet de continuer le « business as usual », qui constitue en fait un véritable extrémisme puisque cela nous amène à surexploiter la planète en toute bonne conscience. C’est une position politique conservatrice radicale (que certains appellent ultralibérale) qui a abouti à la religion de la croissance et qui nie le fait que tous les indicateurs sont passés au rouge, que ce soit au niveau financier, social ou écologique.

Coq @ Biosphere :

Vous dites : « Ecologie profonde contre écologie superficielle, là est l’essentiel. »

Oui, effectivement. C’est le choix a faire. Mais je récuse le terme « superficiel » qui est un jugement de valeur. L’écologie que vous prônez est une politique de rupture, a tout point de vue. Une politique révolutionnaire, au sens strict. Je n’en veux pas (vous l’aurez remarque), et je ne crois pas une seconde, contrairement a vous, à ces indicateurs qui seraient au rouge et que la situation rende un jour votre vision inévitable. Je lui préfère une écologie d’accompagnement, environnementaliste.

Biosphere @ Coq :

Prenons votre phrase : « Je ne crois pas une seconde à ces indicateurs qui seraient au rouge »

Pour nous, biosphere, il ne s’agit pas de croyance, mais de faits avérés, par exemple : l’endettement colossal des Etats les plus riches, ce qui est déjà un véritable paradoxe. La crise des subprimes qui démontre que la classe globale (qui se permet d’avoir un véhicule individuel) vit à crédit. La chômage structurel et massif qui s’est installé dans les pays pauvres comme dans les pays riches. Le réchauffement climatique qui va faire ses effets sur la longue durée. Le pic pétrolier déjà dépassé qui nous fait envisager un choc pétrolier à plus ou moins court terme. La perte de biodiversité qui commence à être bien documentée. Etc, etc. Nous aimerions vous voir plus souvent étayer vos propos et non vous en tenir à une simple « croyance ». Vous êtes scientifique, quelles sont vos preuves ?

Quant à l’écologie « superficielle », c’est le terme même utilisé par le philosophe Arne Naess pour justifier son choix de fonder l’écologie « profonde ». Il n’y a donc pas moyen de « récuser » ce terme. La distinction faite par Naess entre profond et superficiel est politique et porte principalement sur la différence que crée le fait d’accepter ou non de changer nos modes de vie comme notre manière de pensée. Naess a proposé cette distinction en pensant déjà aux récupérations dont l’écologie serait de plus en plus l’objet dans le futur. De ce point de vue, notre travail de blogueur peut être considéré comme une version actualisée de la deep ecology.

Coq @ Biosphere :

Vous dites : « il ne s’agit pas de croyance, mais de faits avérés »

Je comprends bien, mais le choix et la prioritisation des faits est subjective. Les faits qui montrent que l’apocalypse que vous espérez/prédisez n’est pas pour demain : l’espérance de vie a double depuis la révolution industrielle ; la science et la technique permettent à la Chine et à l’Inde de se nourrir et de se développer ; les prophètes de malheurs, depuis Marx jusqu’a Malthus, se sont tous trompés dans leurs prédictions ; l’Homme va sur la lune; l’Homme comprend et maîtrise l’atome; l’Homme comprend et maîtrise la cellule ; la science nous libère de la superstition ; la culture et l’économie de clocher, sources de toutes les guerres, disparaissent enfin ; le modèle libéral économique et social se développe et nous éloigne de la voie de la servitude (Hayek), etc etc etc…

Biosphere @ Coq

à propos de votre accumulation de certitudes, notre réponse : Le classement des faits dépend à la fois des a priori du sujet et d’une réalité objective. Les progrès d’espérance de vie se sont fait au prix d’une débauche non durable de ressources fossiles, ce n’est pas une victoire pérenne. De même pour la Chine (en surchauffe économique) et l’Inde (échec de la révolution verte). On va sur la lune, mais on dégrade la planète terre : où est l’avantage ? La connaissance scientifique progresse, les relations sociales régressent. Les conflits militaires n’ont jamais cessé. Et le relatif succès du libéralisme économique ne repose que sur l’endettement généralisé et le pillage des ressources naturelles. Enfin toutes les analyses du rapport population/alimentation montrent le déséquilibre que craignait Malthus. : 1 milliard de personnes ont faim.

3 réflexions sur “L’écologie profonde versus l’écologie superficielle”

  1. Bonjour Coq
    Merci de vos propos même s’ils révèlent que le consensus est encore lointain. Pourtant nous pensons que le consensus est au bout du chemin entre individus qui veulent trouver ensemble une vérité commune. Prenons l’exemple de la Révolution Verte en Inde dont vous pensez que c’est un immense succès. Tout dépend de ce qu’on valorise. Si c’est l’augmentation des rendements, c’est un fait avéré. Si on met en comparaison la hausse des rendements et la multiplication des intrants nécessaires à cette augmentation, le succès devient vraiment très relatif, le rendement réel peut être négatif. Si on ajoute dans le raisonnement la détérioration des structures agraires traditionnelle, le bilan devient franchement mauvais. Norman Borlaug venait de créer une variété de blé adaptée aux milieux tropicaux semi-arides, capable d’accepter de fortes doses d’engrais azotés. L’agronome français René Dumont sera le premier agronome européen à le rencontrer en 1957. Dumont croyait alors aux semences miracles de la « Révolution verte ». Mais chez lui, le technicien était toujours inséparable du sociologue. Il s’est interrogé sur les conditions socio-économiques de l’application de la Révolution verte dans un pays comme l’Inde. Le paquet technologique nécessaire coûte très cher : usage massif d’engrais chimique et de pesticides, mécanisation, irrigation. « Seuls les riches peuvent investir, si bien que la Révolution verte enrichit les riches et appauvrit les pauvres. » Ce fut là son diagnostic final.

    Dumont était un agronome productiviste. Confronté à la réalité du terrain, il a changé d’opinion. Tout le monde est capable de changer d’opinion, sauf s’il s’enferme lui-même dans un cadre de pensée rigide. On sait malheureusement ce que donne l’intégrisme religieux dans la tête de certains. Nous ne pensons pas que cela soit votre cas, même si vous affirmez : « Nous ne changerons pas de valeurs, nous ne changerons pas nos définitions de ce qui est « bon », de ce qui est « mal » ». Votre ouverture d’esprit peut progresser. Un scientifique comme vous sait que toute avancée des connaissances qui forge notre conviction n’est que provisoire, dans l’attente de la démonstration du contraire. Un consensus advient quand un groupe de personnes a suffisamment évolué collectivement dans l’analyse d’un problème pour arriver à une option commune car elle paraît en bout de course d’évidence. Mais il a fallu auparavant moult palabres, irritations et énervements. Un consensus n’est pas un simple compromis, c’est une vérité à un moment donné même si cette vérité n’est que provisoire.

    Dans le domaine de la nature/environnement, c’est pour cette raison que la distinction entre écologie superficielle et écologie profonde intervient. L’écologie superficielle n’est qu’une étape dans le raisonnement d’une personne avant d’en arriver à approfondir sa perception des choses et de modifier en conséquence son comportement. Vous êtes sur la même longueur d’onde que nous, vous dites : « Pour moi, cet échange – car c’en est un – est bénéfique. En intervenant en réaction à vos billets, je construis et rationalise plus mes propres valeurs et mon propre discours. Un peu d’athlétisme de l’opinion en quelque sorte. Je suis aussi souvent poussé à rechercher plus sur un sujet particulier que vous utilisez comme exemple de vos thèses. » Votre démarche est la bonne, nous avons la même. Mais notre démarche commune est rare dans la société actuelle car l’inertie culturelle et la force des habitudes est importante. La deep ecology n’est donc pas (encore) « universellement acceptée ». Sachant que la deep ecology n’est pas une science, mais une philosophie.

    La science ne dit rien de nos valeurs, de ce qui est bon ou bien. La philosophie nous permet de rechercher la sagesse. Continuons à chercher ensemble, sur ce blog et ailleurs, avec Satyâgraha* comme disait Gandhi. C’est la seule démarche vraiment humaine, digne de nos capacités cérébrales.
    * Satyâgraha : étreinte de la vérité (sat = vérité, et âgraha = saisie). Revendication de la vérité, c’est-à-dire acceptation d’une possible souffrance de soi et non-souffrance infligée à un adversaire.

  2. Merci pour votre patience. Beaucoup de temps écoule pour une courte réponse, j’en ai peur ( j’en ai bavé pour les accents sur mon clavier QWERTY et pour les cédilles et autres douleurs diacritiques de la langue française). Enfin, voilà :

    Que peut-être cet échange sur ce billet, quels sont nos buts?

    Votre souhait est de voir si cet échange peut amener à un consensus. Je ne crois pas que cela soit possible. Je ne crois pas que le consensus puisse être atteint, et je ne crois pas non plus qu’il soit même nécessairement désirable. Il n’en reste pas moins que nos interventions/réponses sont utiles, et agréables, et pour soi-même, et pour l’autre.

    Pourquoi un consensus ne peut-il pas être atteint ?

    Nous pourrions continuer cette partie de ping-pong ad vitam aeternam, rien n’en sortirait, car nous ne différencions pas les « faits » des analyses que nous en faisons. Nous pourrions en théorie arriver à un consensus si nous étions d’accord sur ce qu’est un « fait », mais nous ne sommes pas d’accord sur cela. Vous décrivez mes exemples comme une « accumulation de certitudes ». Et vous avez raison. Les vôtres le sont aussi. Par exemple : je pense que la Révolution Verte en Inde est un immense succès, vous pensez que c’est un échec. Je pense qu’il est dans la nature de l’homme d’aller sur la lune, vous pensez que c’est une aberration ou une illusion. Je pense que la sexualité et la reproduction humaine sont l’incarnation de la liberté individuelle et procède de la nature de notre espèce, vous considérez que l’instinct maternel n’existe pas et que les homosexuels sont « contre-nature ». Il ne sert à rien à jouer à la bataille puisque nous ne sommes mêmes pas d’accord sur les définitions de « naturel », d’ « échec », de « succès » etc. Dans les cadres respectifs de nos définitions propres, nous pouvons en fait avoir tous les deux raison.

    Pourquoi un consensus n’est-il pas nécessairement désirable ?

    Dans l’idéal, il le serait, mais étant données les limites que je décris plus haut, la recherche d’un consensus ne serait, j’en ai bien peur, qu’une tentative de négociation, d’apaisement. Nous ne le désirons pas ni l’un ni l’autre. Nous ne changerons pas de valeurs, nous ne changerons pas nos définitions de ce qui est « bon », de ce qui est « mal ».

    Pourquoi donc alors continuer pour moi à intervenir, et pour vous a me répondre ?

    Pour moi, cet échange – car c’en est un – est bénéfique. En intervenant en réaction à vos billets, je construis et rationalise plus mes propres valeurs et mon propre discours. Un peu d’athlétisme de l’opinion en quelque sorte. Je suis aussi souvent poussé à rechercher plus sur un sujet particulier que vous utilisez comme exemple de vos thèses.

    Pour vous, il vous permet de faire la même chose, en vous évitant de vous enfermer dans un discours qui ne serait soit qu’un monologue, soit un prêche a des convertis, ou réduit à une vigilance idéologique face aux « hérésies » si nombreuses à l’intérieur de la famille Verte.

    Pour moi il est aussi important de témoigner de ce que vos vues, qui vous paraissent si évidentes, ne sont pas universellement acceptées, et ce non pas parce que ceux qui vous sont opposés sont soit ignares, soit simplets, soit dans l’attente inconsciente d’être illuminés par la Vérité Véritablement Vraie deep-écolo.

    Pouvons-nous quand même nous rapprocher de la vision de l’autre ?

    Pour moi en tout cas, certainement. J’ai appris à connaitre vos thématiques, vos sources. Cela vous rend plus proches. Pour vous, j’espère qu’un rappel à l’ordre épistémologique occasionnel sur des points de science est utile. Finalement, c’est parce que l’écologie politique prétend être scientifique qu’elle s’attire mes foudres professionnelles.

    Cet échange est-il agréable ? (Soyons gentils sur la fin)

    Pour moi il l’est. Certains de vos billets m’irritent. Certains, rarement, me scandalisent (les tirades quasi-pornographiques anti-homosexuels, autour du mariage « pour tous », ont été pénibles). Certains m’amusent. Presque tous me font réfléchir. Il serait souhaitable que les auteurs des billets s’identifient plutôt que de signer d’un générique « biosphère », mais dans l’ensemble je vous considère comme partenaires, pas comme adversaires.

    Je n’interviens pas sur d’autres blogs – sinon une ou deux fois par an. Je ne suis bavard que chez vous. Mon épouse et mes enfants s’amusent d’ailleurs de mon attachement, même « confrontationel », à votre blog. Ça doit quand même être quelque part parce que votre blog a des qualités que d’autres n’ont pas. La première, et la plus importante, est que même si je doute que nous ayons en commun la même définition de « liberté » et de « démocratie », vous n’êtes pas des censeurs. C’est une vertu importante.

    En fin de compte, vous tenez ce blog parce que vous pensez que c’est votre devoir, et j’y interviens parce que je pense que c’est mon devoir. « Fais ce que dois ».

    Cocoricoquement vôtre,

  3. Trop d’honneur ! Je suis un peu en charrette aujourd’hui mais j’écris ça demain – stay tuned ! Merci !

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