L’effet de loupe, le fait qui fait diversion

Les médias nous défrisent, les réseaux sociaux encore plus, ils cultivent ce qu’on appelle en sociologie l’effet de loupe : montrer une réalité qui existe, certes, mais qui est tellement minoritaire qu’elle ne nécessite même pas une brève. Normalement le journalisme, c’est l’art de trier entre l’anecdotique et l’essentiel, sinon les pages d’un média se remplissent de vide. Mais à force d’être diffusés en boucle sur les réseaux de communication, un micro-évènement sature l’espace public et devient la dernière question à la mode dont il faut causer. Le problème, c’est que cela nous détourne de l’essentiel, nous rentrons dans le domaine du commérage et en oublions de réfléchir. Cet effet de loupe continue un biais cognitif qu’on retrouve dans beaucoup de domaines. Célébrer tel ou tel match de football, évènement ponctuel s’il en est, ou ressasser tel ou tel acte criminel relève du même procédé. L’instrumentalisation du sport et autres faits-divers n’a plus de limites.

On pourrait dire aussi bien le « fait-diversion », autre approche de l’effet de loupe. Luc Cédelle nous rappelait dans LE MONDE ce néologisme forgé par Pierre Bourdieu à la fin des années 1990 : « Par l’émotion qu’il suscite et l’exploitation qui en est faite, tel ou tel fait divers sert à faire diversion. » Aujourd’hui le fait-diversion atteint son apogée, il est devenu le principal carburant de l’extrême-droite et de certaines chaînes de télévision toujours plus racoleuses et obsédées par le buzz qui dope l’audience. Prenons l’exemple des éoliennes. Le mouvement anti-éolien impose sa thématique à partir de petite phrases sans avoir besoin d’en dire plus. Xavier Bertrand redit tout le mal qu’il pensait des éoliennes, ce « scandale national ». Marine Le Pen renchérit le 15 mai 2021 : « Le combat contre les éoliennes est un combat majeur, parce que les éoliennes sont une véritable catastrophe, visuelle, écologique, économique ». Moins de 400 personnes manifestent à Caen contre « les éoliennes qui détruisent la mer », LE MONDE en fait un article de plus de 5000 caractères (19/06/2021). Les pêcheurs dénoncent une destruction des fonds marins par l’industrie éolienne offshore . Bien entendu l’article fait parler les pour et les contre, mais il s’agit là encore d’empiler les petites phrases des uns et des autres.

C’est donc dans les commentaires sur lemonde.fr qu’il faut rechercher le débat de fond.

PM84 : Dans un monde ancien, il fallait 1 million de personnes pour avoir un article dans la presse. Maintenant 200 personnes suffisent !

Sp. : Les pêcheurs crient à la destruction des fonds marins ! on croit rêver : et les chaluts ça fait quoi !!!?

The One : Ah ah ah ah ah ! Quoi qu’il arrive dans ce pays, il y a toujours des gens contre qui bloquent tout.

VeritasOrigine : On trouvera toujours des gens contre une décision quelle qu’elle soit, dans quelque domaine que ce soit. Ces Antis n’en disent pas pour autant ce pour quoi ils sont. En général pour leur confort personnel au détriment de celui de la collectivité, ou alors ils veulent le beurre,l’argent du beurre et le sourire de la crémière faisant là fi de tout réalisme.

le sceptique : Le fossile c’est affreux, le nucléaire c’est horrible, l’hydraulique ça tue les rivières, le bois ça flingue les forêts, l’éolien ça bétonne le bocage et le rivage, etc. D’un côté on dit qu’il faut construire une civilisation durable exploitant des flux naturels renouvelables, d’un autre côté on refuse la conséquence, qui est notamment de collecter l’énergie du soleil, du vent, de l’eau et de la biomasse là où elle se trouve. Et oui, comme la densité massique ou surfacique d’énergie est faible à chaque fois, comme il y a des limites de rendement non dépassables, comme c’est dur et souverainement risqué de transporter l’électricité de trop loin et de pays trop instables, cela prend pas mal de place pour collecter un peu partout. Mais cela fait quand même 20 ans au moins que des physiciens l’ont expliqué. Il est vrai que nos médias font 1000 articles sur le blabla politiques, juristes & ONG pour 1 article sur la physique.

L.OURS : Aller voir à Dunkerque si le paysage est si merveilleux ! Les éoliennes qui ne seront même pas visibles de la côte seront pourtant bien plus jolies que le reste du site !!! Personne ne veut rien dans son patelin mais tout le monde veut sa bagnole, son air conditionné toute l’année et son éclairage public ! Si on écoute tous ces tordus faut revenir à la bougie, mais faut des puits de pétrole, et au feu de bois, mais faut alors bien plus de forêts… Vous verrez si nos paysages seront plus jolis !

Isaphan : Je suis d’accord avec ces personnes. Oui à la non installation des éoliennes, mais il faut aussi détruire leurs maisons qui enlaidissent aussi le paysage. Et pour tous, il faut commencer par leur couper l’électricité par souci de cohérence. Et interdire l’utilisation du diesel pour la pêche, qui envoie du CO2 dans l’atmosphère.

Papou69 : Est-ce que les « verts » du moyen-âge ont manifesté lors de la construction des moulins à vent? Ils font aujourd’hui partie du paysage!

Obéron : Mais les « verts » qui manifestent contre l’éolien sont plutôt « vert-brun », non ? Ils disent être pour davantage de nucléaire, soit, à condition bien sûr que l’emplacement des sites (centrales et stockage des déchets) soit soumis à approbation via un référendum régional, puisque leurs partis veulent que les citoyens consommateurs d’énergie décident de tout. Personnellement, je peux accepter des éoliennes dans ma commune (dans des endroits bien choisis), mais je ne veux pas de centrale nucléaire dans ma région. Et encore moins, bien entendu, de centrales thermiques fonctionnant aux énergies fossiles.

Méphisto : Il est symptomatique qu’ucun de ces opposants ne parle des retours d’expérience des multiples parcs éoliens offshore existant à l’international qui font l’objet d’amples évaluations scientifiques, certainement parce que cela démontrerait que leurs arguments ne tiennent pas la route.

Doudoudodudor : L’argumentaire des pécheurs est hallucinant. La destruction des fonds marins est quand même de leur fait avec leurs dragues et leurs chaluts. La polémique sur la fuite de 100 litres d’huile alors que les pécheurs en rejettent plus chaque jour avec leurs gros moteurs diesel refroidit à l’eau de mer était aussi hallucinante.

L.OURS : Dégradation du paysage côtier à Dunkerque par les éoliennes ? C’est une plaisanterie pour un bord de mer déjà complètement occupé par d’énormes installations portuaires ! Mais quand même 600 anti tout pour deux manifestations, cela vaut-il un article sur le sujet ? Remarquez, dans 50 ans, lorsque le Gulf Stream aura quasiment disparu de nos côtes, leurs enfants défileront pour qu’on implante des éoliennes, des centrales nucléaires ou des panneaux solaires autour de chez eux….

YV : Pour connaître un ingénieur de recherche qui bosse sur les éoliennes maritimes, celles-ci sont une chance d’un point de vue écologique et ressource halieutique: les zones d’exclusions qui les entourent permettent aux poissons de se reproduire, au bénéfice à long terme des pêcheurs.

marin du levant : Mouhahahahahaha Ils sont trop fort ces pechous ! Dans le genre protection du milieu naturel, s’il y a bien une catégorie qui ferait mieux de la boucler, c’est eux. Ratissage des fonds, exploitations jusqu’a extinction si les autorités n’y mettaient pas leur nez etc etc. Un peu de sérieux, les bases gravitaires ou les jackets sont des récifs artificielles qui vont augmenter la ressource du milieu, de plus les zones des éoliennes étant fermées a la pêche cela va permettre a la vie sous marine de reprendre et les abords des champs éoliens vont être des zones ou les pechous vont se battre pour mettre leurs filets ou lignes tellement ça va mordre.

PMF : A se demander comment font les Allemands, les Britanniques, les Neerlandais, les Danois, etc. Et leurs flottes de pêche. Tous ces arguments ne tiennent pas debout.

Morgenstern : Les arguments des anti-éoliennes sont totalement hallucinants ! On dirait qu’ils ignorent l’existence des plates-formes pétrolières, des centrales à gaz, des usines hydroélectriques ou même des… centrales nucléaires !

Silgar : Je ne suis pas vraiment pro-éoliennes, mais l’effet de récif des éoliennes offshore à base gravitaire est démontré : c’est positif pour la biodiversité marine.

Lazizou : Non aux énormes bateaux conteneurs, Non au énormes bateaux de croisière qui polluent sans états d’âme Non au chaluts qui raclent les fonds marins et détruisent faune et flore Non à la pêche intensive. Non aux serveurs sous marins qui réchauffent les mers Non aux plastiques qui non seulement polluent mais aussi tuent la faune Non aux dechets nucléaires qui pourrissent au fond des mers J’en passe sûrement, alors les éoliennes……c’est un peu la goutte d’eau pour noyer les vraies questions.

Don Lope : On ne s’en sortira pas. Les énergies fossiles nous tuent lentement, le nucléaire c’est dangereux, le solaire trop cher et l’éolien c’est pas beau dans le paysage. Donc aucune solution en vue pour contrer le réchauffement climatique à part le retour à l’âge de pierre de gré ou de force une fois que les écosystèmes se seront effondrés sur nous. Youpi !

Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere :

6 février 2021, Les faits divers, des faits qui font diversion

extraits : L’endoctrinement idéologique consiste à occulter les questions essentielles de l’existence sociale au profit de préoccupations infantilisantes, d’anecdotes futiles, de faits divers dérisoires. C’était le cas d’une presse « à scandales », cela devient le lot commun des journaux dits de références. L’urgence écologique devient invisible de par la multiplicité des informations de tous ordres, mais le penchant malsain des gens pour les faits croustillants devient un obstacle supplémentaire à la formation d’une intelligence collective.

2 février 2008, Avec ce blog, vous arrêterez de croire n’importe quoi

extraits : Avec la navigation sur le Web, nous sommes dans la bibliothèque de ­Babel, où l’on trouve toutes les vérités mais aussi tous les mensonges du monde. C’est la cacophonie de millions de personnes, le smartphone par exemple est non seulement un récepteur, mais aussi un émetteur de tweets. Chaque humain, qu’il soit n’importe qui ou président des États-Unis peut dire n’importe quoi sans être vraiment détrompé.

15 janvier 2014, L’écologie politique, victime des faits-divers médiatisés

extraits : La secrétaire nationale d’EELV est interrogée au Grand Rendez-vous*. Aucune question sur l’écologie, pourtant la spécificité d’Emmanuelle Cosse. Mais six questions (sur 8) à propos des alcôves de l’Elysée du type : Aujourd’hui, la vie personnelle du président de la République est étalée en détail. Faut-il s’y faire ou s’en plaindre ?

7 réflexions sur “L’effet de loupe, le fait qui fait diversion”

  1. En 2000 Viviane Forrester publiait «Une étrange dictature». Je ne me souviens pas qu’on lui ai fait un procès. Probablement parce qu’elle a pris soin de la qualifier d’étrange. Aujourd’hui il semblerait qu’un cap a été franchi. Encore faut-il le voir. Heureusement les me(r)dias sont là pour nous éclairer la lanterne. Pour ça ils s’appliquent à ce que nous ne confondions pas les vessies et les lanternes. Je trouve ça marrant.

    1. Ces temps-ci la Loupe se focalise sur certains dérapages (avec ou sans guillemets) commis par ceux qui ont osé prononcer les mots dictature, apartheid, shoah, étoile jaune etc. On qualifie ça de douteux, de honteux, d’inacceptable etc. Laissant ainsi entendre que le reste est acceptable, glorieux, courageux et j’en passe.
      On nous dit que «les mots ont un sens». Et c’est vrai qu’il est bon parfois de le rappeler. Ce à quoi on rajoute «il y a des assassinats, des états de guerre civile, ça ne correspond pas à ce que nous vivons dans le pays» et patati et patata. Alors qu’il n’y a pas si longtemps on nous disait «nous sommes en guerre». Je n’y comprends plus rien.
      J’en déduis qu’aujourd’hui les mots sont TOUS polysémiques, à double voire à multiples sens. Désormais les mots sont à géométrie variable, comme les girouettes, comme l’Opinion. Ce qui explique qu’aujourd’hui on peut raconter n’importe quoi et avoir toujours raison. C’est formidable.

  2. Didier BARTHES

    Les arguments des anti-éoliens doivent quand même être entendus et aucun des commentaires moqueurs repris dans ce texte n’y répondent vraiment.
    Voir le livre d’Antoine Waechter, le Scandale éolien ou bien cet article :
    http://economiedurable.over-blog.com/2018/09/le-scandale-eolien.html
    La faiblesse de la production, son intermittence, l’aspect financier qui revient à faire financer certains fonds de pensions américains par le contribuable ou le consommateur français, le non recyclage des pales et du socle de béton, le démontage à la charge du propriétaire du terrain et non de l’opérateur ou du propriétaire de l’éolienne (les opérateurs louent les terrains plutôt que les acheter à cause de ça) sont quand même de vrais problème ainsi que les grands dégâts à la faune volante. Tout cela compte. Quant au paysage partout artificialisé à cause des ces gigantesque mâts, on aimerait que les écologistes s’en préoccupent un peu.

    1. Esprit critique

      Entièrement d’accord avec vous Didier Barthès.
      Personnellement je les trouve affreuses. Bien sûr, on dira que ça ce n’est pas un argument, que des goûts et des couleurs on ne discute pas, qu’il y a bien plus affreux et patati et patata. Si je rajoute que je trouve les centrales nucléaires, les pylônes THT, les antennes, les autoroutes etc. tout aussi affreux, je passe alors pour un ANTi-TOUT. Autrement dit pour quelqu’un de pas sérieux, pas crédible etc. Ce qui fera donc un point pour les PRO, et zéro pour moi.

    2. N’en déplaise à certains, la grande majorité des arguments développés par ceux qu’on appelle ANTi-éoliennes sont tout à fait recevables. Seulement, si vous dites que les éoliennes sont un «scandale national […] parce que les éoliennes sont une véritable catastrophe, visuelle, écologique, économique», alors on va zoomer (se focaliser) sur deux mots, SCANDALE et CATASTROPHE.
      On vous dira que les mots ont un sens, que ce que vous dites est honteux etc. Et pour peu que vous dérapiez, que vous sortiez une connerie, même une petite, alors tout ce que vous aurez dit d’autre, et que vous pourriez dire en plus, sera inaudible.
      Non seulement on vous fera passer pour un con, mais également tous ceux qui tiennent des arguments similaires. Et alors les manipulateurs marqueront des points. Et les PRO et en même temps. Misère misère.

  3. Esprit critique

    La focalisation sur certaines choses (l’effet de loupe) n’est pas seulement un biais (cognitif), il s’agit bien plus ici d’une stratégie utilisée notamment par les mer(r)dias, ainsi que par tous les manipulateurs.
    Nous montrer certaines choses (évidemment réelles, comme le souligne Biosphère), nous les passer en boucle et nous les commenter à n’en plus finir, vise bien sûr à nous amener à penser que le plus important c’est ça. Mais en plus, il y a là derrière un message.

    1. Esprit critique

      Se focaliser sur quelques individus particuliers amène naturellement à penser que TOUS les autres membres du groupe sont comme eux. Pour peu qu’ils soient «bien» orientés, les commentaires font le reste. («À force de répétitions et à l’aide d’une bonne connaissance du psychisme des personnes concernées, il devrait être tout à fait possible de prouver qu’un carré est en fait un cercles.»)
      Ainsi une poignée de déjantés, se revendiquant anti-éoliennes, ou anti-nucléaire etc. fait vite de TOUS les écolos des déjantés (il suffit de lire certains commentaires, misère misère !)
      Et maintenant, une poignée d’Anti-éoliennes et/ou d’Anti-Nuke etc. PLUS une poignée d’Anti-Vax et/ou d’Anti-Pass, PLUS une poignée d’Anti-Ceci et d’Anti-Cela… fait de TOUS les manifestants des ANTi-TOUT. Autrement dit des déjantés, des gros paumés qu’il n’y a même pas lieu d’écouter, qui ne méritent que d’être réprimandés, bâillonnés, tabassés etc.

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