L’effet tunnel explique la révolte des Gilets jaunes

Dès les débuts du chemin de fer, on a parlé d’effet tunnel : un train désertifie les zones rurales en reliant une ville à une autre ville. En France, les conseillers municipaux d’Albion dénonçaient en 1833 l’effet tunnel : « Le chemin de fer est incapable d’être lucratif sauf aux grandes villes… tous les pays intermédiaires en souffriront par le défaut de communication ». Puis on a désertifié les villes intermédiaires avec les TGV. Face à ce vide spatial, les constructeurs d’automobiles ont pu imposer le choix de la voiture individuelle, « indispensable » puisqu’il n’y a plus de dessertes de proximité. Or la voiture dépend du pétrole, et bientôt il n’y en aura plus. Les Gilets jaunes sont désormais prisonniers de leurs propres véhicules, mais il faudra leur expliquer que les technocrates nous ont trompés. Un point de vue dans LE MONDE* donne les clés d’un débat historiquement daté :

«  A l’heure de la dénonciation par les « gilets jaunes » des « territoires délaissés », la question du transport ferroviaire est à nouveau d’actualité. J’ai assisté en tant que témoin aux débats des années 1950, qui opposaient les partisans des lignes à grande vitesse à ceux de la desserte du territoire par un maillage serré, dont mon père Louis-Maurice Jouffroy. Le projet de Louis-Maurice Jouffroy, lui, était centré sur les besoins des territoires. Il faut augmenter les réseaux ferroviaires secondaires pour désenclaver les territoires, assurer la surveillance et le maintien en état des structures. Le ferroutage est également très important aux yeux de son auteur. A cet effet est inventée la « voiture à double plancher » sur laquelle peuvent circuler deux étages de véhicules. A partir des gares d’arrivée des conteneurs, des routiers les convoient dans leurs camions jusqu’à leur destination finale. Sa dernière innovation est le « train auto-couchette », dont j’ai pris le premier avec mes parents en 1956 entre Paris et Nice. Tout était prêt pour réaliser ce plan. Mais la décision de l’abandonner, hier comme aujourd’hui, est prise d’en haut. L’entourage polytechnicien du président, confronté à la concurrence de la route et de l’avion, estimait urgent de réunir les grandes villes par un réseau principal à trains rapides, les TGV, dont le budget était colossal : construction de nouvelles machines, modification des trajets par l’achat ou la réquisition de terres agricoles, construction de gares TGV. Les TGV destinés aux hommes d’affaires et aux voyageurs des week-ends et des vacances facilitent bien la circulation dans le pays, mais l’abandon des lignes secondaires est source de désertification des terroirs. Le trafic des voyageurs et des marchandises est laissé aux camions et aux automobiles, qui engorgent les routes et les rues, augmentent les émissions de CO2 et les accidents. Pourtant, la vitesse est toujours à l’ordre du jour avec la suppression de nouveaux arrêts et la construction de la ligne TGV Lyon-Turin… Ce choix de la vitesse est fait sans consultation des Français. » Et maintenant une petite partie de ping-pong sur lemonde.fr :

ALAIN SALANDRE : Qui prévoyait il y a 50 ans qu’on prendrait si facilement l’avion et qu’un français sur deux aurait une voiture ?

MICHEL SOURROUILLE : Pouvez-vous imaginer que dans cinquante ans l’avion sera cloué au sol faute de kérosène et les voitures individuelles interdites pour cause de lutte contre le réchauffement climatique ?

Mathieu : Faire l’hagiographie de son père dans un quotidien national doit être passionnant, mais cela me semble un peu réécrire l’histoire. Le plan de Louis-Maurice Jouffroy était vraisemblablement un travail purement intellectuel écrit en chambre.

MICHEL SOURROUILLE : le programme nucléaire français a été mis en place par des technocrates depuis leurs bureaux, de même que le soutien à agriculture intensive à base de tracteurs et de polluants, de même que la construction de LGV, aéroports et autres grands travaux inutiles… Aujourd’hui on sait que tout cela, avec des slogans du type « plus vite, plus loin et plus souvent », nous a mené dans une impasse !

* LE MONDE du 6 février 2019, « Dans les années 1950, les dirigeants de la SNCF étaient obnubilés par la vitesse »

5 réflexions sur “L’effet tunnel explique la révolte des Gilets jaunes”

  1. Le conseil régional des Hauts-de-France a voté une motion d’urgence pour le maintien des dessertes régionales TGV ; la tentation, c’est de tout concentrer dans les métropoles… (LE MONDE économie du 10-11 février 2019, les régions s’inquiètent de la réduction des dessertes TGV)

  2. Bga80 :

    Achtung minen !!!
    Fais gaffe au CH4 qui pourrait remplacer le pétrole ===> production d’ électricité + carburant pour véhicule + gaz de chauffage (les réserves sont gigantesques et rapidement renouvelables)
    On n’ est pas sorti de l’ auberge .

    Il se peut toutefois que le malthusianisme finisse par triompher et que la population décroisse en mode accelerando , alors sauvetage !!!!

    Voilà une nouvelle qui plongerait dans une garnde affliction nos humanistes en carton pâte adeptes du consumérisme de paysan famélique pourvu que la population croisse à l’ infini .

  3. Sans énergies fossiles, il n’y a plus de globalisation et de mondialisation puisque ce sont elles qui nous permettent d’interconnecter toutes nos mégalopoles ! Les scientistes disent  »qu’on n’arrête pas le progrès ». D’une certaine manière, ils ont raison, ce ne sera pas nous qui prendront la décision d’arrêter le progrès, il s’arrêtera tout seul faute d’énergies fossiles pour l’alimenter…

  4. Très bon point de vue !
    Je trouve qu’il faut aller au-delà.
    La globalisation relie les mégalopoles. On se retrouve avec des éduqués supérieurs qui sont bien partout (Paris, Londres, New York) qui profitent des flux vers et depuis ces mégalopoles. Et en dehors du tunnel des populations qui n’en finissent pas de perdre en pouvoir d’achat car leur tissu industriel prend de plein fouet la concurrence de la globalisation, les services publiques refluent vers les mégalopoles. Ces gens vont finir par alimenter le rang des gilets jaunes.

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