LeMonde contre les SES

Alors que le rapport de Roger Guesnerie a été remis au ministre de l’éducation, Le Monde du 4.07.2008 se livre à une agression contre une matière que je connais bien puisque j’enseigne les SES depuis trente quatre ans. Je dis bien Le Monde  car le compte-rendu par un quotidien d’un « audit des manuels et programmes de sciences économiques et sociales » est toujours un choix rédactionnel. Le grand titre parle d’attaque en règle de l’enseignement de l’économie alors que le rapport est beaucoup plus nuancé. L’autre article titre,  « une prof :  » Je sais qu’on nous reproche d’être négatifs, mais… » ». Dans le corps de l’article, l’enseignante montre qu’en matière de mondialisation, il n’y a pas de cassette pédagogique positive ! Encore une nouvelle intoxication par Le Monde.

Le Monde serait moins soumis à la parole officielle s’il signalait que Roger Guesnerie a un parcours de technocrate, école polytechnique en 1964, école des Ponts et chaussées en 1967 (un seul diplôme ne suffit jamais à ces gens-là), donc un parcours très éloigné de la compréhension du monde tel qu’il devient et tel qu’il est pratiqué par les jeunes lycéens. Ensuite, comme d’habitude dans les sphères universitaires, Guesnerie était entouré par des gens de la même coterie : dans sa commission, à part le président de l’APSES, aucun autre professeur de SES du secondaire !  

Mais surtout Le Monde ne fait aucun analyse des contre-vérités énoncées par ce rapport. Personne ne peut assimiler de façon suffisante les « fondamentaux » car en matières de sciences humaines, tout doit être relativisé, rien n’est fondamental. Il est d’ailleurs symptomatique que le sujet de baccalauréat SES se présente en général comme une dialectique, première partie oui ou non, deuxième partie l’inverse. Les arguments objectifs ne peuvent exister dans un monde où tout est discutable, il n’y a pas d’énumération possible de « vérités ». Quant aux préjugés des élèves, la présentation du programme de seconde (BO du 5.08.1999) enjoint déjà aux enseignants de présenter « les connaissances de base qui sont souvent en rupture avec les connaissances spontanées des élèves ». Et les manuels ne se font pas faute de fournir maints documents qui mettent à mal les certitudes du lycéen, depuis les structures familiales qui ne sont point fondées biologiquement jusqu’au port du portable comme marque d’aliénation.

En fait tout repose sur une conception particulière du monde. Celle de Guesnerie, fidèle à l’idéologie microéconomique, met en évidence les réussites ponctuelles de notre société et l’élévation du niveau de vie. Or on sait maintenant que la croissance économique est en train de dévaster la planète de façon « macroéconomique ». Guesnerie regrette que les manuels mettent l’accent sur « les conflits, les mauvaises conditions de travail et les bas salaires ». Alors, faudrait-il nier la réalité ? Guesnerie regrette que les manuels présentent des extraits de presse et documents de grands auteurs « sur le même plan ». Mais quel économiste pourrait-il se targuer d’avoir une légitimité historique, l’idéologie néoclassique, l’idéologie marxiste, monétariste ou keynésienne ? Qui est à même  de donner à un texte une légitimité certaine, le professeur, l’étudiant, ses parents ou le ministre de l’éducation nationale ?

 Ce que je connais de fondamental et d’objectif, c’est que nous sommes  à l’aube d’une confluence de crises structurelles, pic pétrolier, réchauffement climatique, perte de biodiversité, krachs financiers,  etc. La critique personnelle que je ferais aux SES, c’est que les programmes (et les manuels) ne vont pas assez loin dans la prise en compte de toutes ces difficultés interdépendantes. Quant j’ai commencé à enseigner en 1974, les sujets de bac parlaient du choc pétrolier (le premier). Aujourd’hui les sujets de bac mettent en évidence la croissance économique. Or la croissance économique va dans le mur, on le sait déjà depuis le rapport du MIT de 1972 ; et le baril en Asie a dépassé ce jour 145 dollars…

L’objectivité est du côté de l’infrastructure qui nous fait vivre, les ressources naturelles. Tout le reste est construction sociale artificielle, plus ou moins en phase avec le maintien durable de notre « niveau de vie ».