Léopold DARRITCHON : Malthus de nouveau d’actualité

Au début du 19° siècle la question soulevée par Malthus du rapport entre la croissance démographique qui évolue selon les termes d’une suite géométrique (1,2,4,8,16,…) et la subsistance (la production agricole essentiellement ) qui croit selon les termes d’une progression arithmétique (1,2,3,4,5 ….) n’est pas totalement obsolète, même si elle se pose aujourd’hui en des termes différents.

Premier temps : Tout d’abord l’histoire de ces 2 siècles passés nous montre que les faits n’ont pas donné raison à cette théorie. Cette période a été caractérisée par la loi des rendements croissants provoqués par des sources d’énergies fossiles qui ont permis, par une utilisation et une technologie quasi révolutionnaires, un énorme boom économique non seulement dans la production agricole mais dans l’industrie balbutiante à l’époque de Malthus, dans les transports etc. Ainsi la population qui a été multipliée par 10 environ a vu en parallèle une évolution similaire du PIB par tête d’habitant. Certes cela ne reflète pas des disparités très fortes selon les continents. On estime aujourd’hui qu’un milliard d’habitants de cette planète est en situation de sous-alimentation ou tout au moins de sous-développement. Globalement le constat global infirme quand même la théorie de Malthus.

Deuxième temps : Il a fallu que le Club de Rome, avec dans les années 1972 la publication du rapport intitulé « the limits of growth » reprenne sous une approche plus large cette relation, et tire la sonnette d’alarme. Dans cette nouvelle approche l’évolution de la population à terme n’est pas celle envisagée dans les prévisions actuelles, mais il n’en reste pas moins que les ressources naturelles qui vont se raréfier, puis s’épuiser à cause de réserves limitées par définition, et la pollution (nouvelle variable non perceptible à l’époque de Malthus), feront toutes deux, à moment donné, avec la population, une rencontre explosive. Si, selon les hypothèses envisagées sur les différentes variables, ce moment peut être repoussé, dans le meilleur des cas à quelques décennies, il est dans un avenir très proche, celui de la génération des plus jeunes d’entre nous c’est-à-dire à nos portes !

Troisième temps : Du côté de la population les chiffres avancés aujourd’hui par tous les organismes officiels, l’ONU en tête, ont de quoi noircir un peu plus le tableau. Partons de la situation actuelle où nous recensons en moyenne mondiale un taux de fécondité de 2,5 enfant par femme. A l’horizon 2010, si on augmente ce taux de 0,5 enfant par femme, la population mondiale pourrait être de 16,5 milliards d’individus. Par contre si on table sur une diminution de 0,5 enfant, on se retrouverait encore avec la population actuelle considérable de 7,5 milliards d’êtres humains sur terre. La question reste donc entière. En parallèle, du côté de la croissance économique, à l’instar de la France qui a connu, comme les autres pays industrialisés des taux supérieurs à 5 % par an dans la période des 30 glorieuses, chacun sait aujourd’hui que après une chute régulière de ce taux, celui-ci restera autour de 1, voire dans le meilleur des cas 2 % sur une période longue. Ceci correspond d’ailleurs au taux en moyenne des 18 siècles précédent Malthus. A ceci se rajoute l’apparition de rendements décroissants, dans l’agriculture notamment, soutenus malgré tout encore par l’utilisation d’engrais chimiques dont la durée de vie est celle des ressources naturelles citées précédemment. En parallèle également une pollution qui a atteint les océans, l’air, l’eau et qui va amplifier un problème de santé humaine qu’on sous-estime gravement aujourd’hui, et un changement climatique qui fait déjà des ravages et qui mettra sur les routes de plus en plus de personnes (des dizaines de millions ) allant chercher un avenir ailleurs. De surcroît, ce changement climatique, pour en éviter les effets catastrophiques, va jusqu’à la préconisation de laisser sous terre les ressources naturelles qui font notre progrès économique à 90 % et donc aussi notre croissance économique à 90 %. On voit bien que rien n’est fait pour réconcilier la croissance économique et la croissance démographique que Malthus avait déjà mis au premier plan des problèmes de l’humanité de son époque. Même si les mesures qu’il préconisait alors ne sont plus crédibles et acceptables dans notre société dite moderne, la question reste entière encore en 2018.

Léopold DARRITCHON, professeur d’économie à la retraite

Une idée, agir avec l’association « Démographie Responsable »

7 réflexions sur “Léopold DARRITCHON : Malthus de nouveau d’actualité”

  1. minute 25 :franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/darwin-15-la-vie-de-charles-darwin

  2. Pour ma part, je ne puis que partager cette analyse de Monsieur Darritchon et constater en effet la permanence de la problématique mise en évidence par Malthus. Bien sûr, il n’évoquait pas les problèmes écologiques qui sont évidemment si importants aujourd’hui, mais le contexte était différent et la destruction des écosystèmes largement moins entamée.
    Pourtant l’essentiel y était : l’impossible durabilité d’un mouvement de croissance dans un monde fini.

  3. La question reste entière encore en 2018, certes. Malthus a bien vu le problème, certains disent qu’il a été le premier à le voir, admettons. On dit aussi que « Malthus fut, au fond, le premier anti-malthusien »… qu’il aurait même pensé que croissances démographique et économique à long terme étaient compatibles… Seuls les spécialistes, ceux qui maîtrisent la pensée de Malthus, pourront dire si c’est vrai ou pas.
    https://theconversation.com/pourquoi-malthus-fut-au-fond-le-premier-anti-malthusien-89600

    N’oublions pas quand même, où et comment est né le capitalisme. « Pendant des siècles les gens avaient appartenu à la terre ; désormais c’était la terre qui appartenait à des gens. » (Jeremy Rifkin) Le mouvement des enclosures a commencé en Angleterre au 16ème siècle, il s’est traduit par un appauvrissement considérable des populations rurales, entraînant des révoltes, durement réprimées. La même politique avec les mêmes conséquences de désintégration sociale a été menée à l’encontre de l’artisanat. Pendant des siècles les outils ou la machine qu’utilisait le travailleur appartenait à l’artisan ; désormais ils appartenaient au propriétaire de la fabrique, celui qui avait investi son capital, le capitaliste. Abracadabra et voilà ! Le capitalisme a pris ensuite toute son ampleur au 18ème siècle avec la machine à vapeur. Smith, Ricardo et Malthus en tant que principaux penseurs du capitalisme, n’ont à ma connaissance jamais condamné les enclosures. En tous cas ce n’est pas un de ces trois qui a dit « la propriété c’est le vol ».
    Le capitalisme s’est donc construit sur une immense injustice et il n’a pu se développer, pour le meilleur comme pour le pire, que grâce à une énergie abondante et bon marché (charbon, puis pétrole,gaz, puis atome). On peut rajouter que son bilan n’aura rien à envier à celui de son frère ennemi. Maintenant, ces sources d’énergie n’étant pas en quantités illimitées, et comme nous sommes prisonniers des lois de la physique, il semble évident que la raréfaction de l’énergie marquera cette phase descendante que décrit Baumgartner. Adieu voyages en avion et autres petites douceurs ! Mais nous pourrons nous réjouir à l’idée que la planète enfin moins peuplée pourra se refaire une beauté.

  4. Je pense que vous oublier une donnée qui fera que le problème démographique se réglera de lui meme et pas dans la dentelle .

    L homme à mis une grande violence dans la phase ascendante de l industrialisation/extraction d énergie/hausse démographique et cela ce chiffre par plusieurs centaines de millions de morts
    Soyez sur que dans la phase descendante liée à la raréfaction de l énergie il mettra encore plus de violence pour avoir la dernière goutte de pétrole le dernier mètre cube de gaz .
    Pour le moment les pouvoirs en place n ont encore aucun intérêt à une guerre de grande ampleur . Dans l avenir la pression démographique et l impasse économique/énergétique pousseront des pouvoirs à ne pas voir d un mauvais œil la perte de quelques millions de combattants .

    Ce que nous appelons « civilisation » n est qu un vernis qui craquera très vite quand nous rentrerons dans le DUR .

  5. Bon , ce qui peut paraître extrême en 2018 dans les écrits de TR Malthus pour notre époque décadente et dégénérée deviendra normal lorque les circonstances deviendront dramatiques par le fait d’ un chaos généralisé que l’ incurie et l’ avidité humaines auront initiés
    Comptons sur dame nature pour faire exploser la bombe dont nous lui avons fourni l’ explosif , le détonateur et même le système de mise à feu.

  6. Claude Lévi-Strauss (1908-2009) : « Puisque au cours du dernier siècle j’ai assisté à une catastrophe sans pareille dans l’histoire de l’humanité, on me permettra de l’évoquer sur un ton personnel. La population mondiale comptait à ma naissance un milliard et demi d’habitants. Quand j’entrai dans la vie active vers 1930, ce nombre s’élevait à deux milliards. Il est de six milliards aujourd’hui, et il atteindra neuf milliards dans quelques décennies à croire les prévisions des démographes. Ils nous disent certes que ce dernier chiffre représentera un pic et que la population déclinera ensuite, si rapidement, ajoutent certains, qu’à l’échelle de quelques siècles une menace pèsera sur la survie de notre espèce. De toute façon, elle aura exercé ses ravages sur la diversité, non pas seulement culturelle, mais aussi biologique en faisant disparaître quantité d’espèces animales et végétales. De ces disparitions, l’homme est sans doute l’auteur, mais leurs effets se retournent contre lui. Il n’est aucun, peut-être, des grands drames contemporains qui ne trouve son origine directe ou indirecte dans la difficulté croissante de vivre ensemble, inconsciemment ressentie par une humanité en proie à l’explosion démographique et qui – tels ces vers de farine qui s’empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme, bien avant que la nourriture commence à leur manquer – se mettrait à se haïr elle-même, parce qu’une prescience secrète l’avertit qu’elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces bien essentiels que sont l’espace libre, l’eau pure, l’air non pollué. »

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