Delphine Batho, menée en pédalo par François Hollande

Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, a été brutalement virée en juillet 2013. Quelques éléments d’explication tirés de son livre* :

Décembre 2012

Que Henri Proglio, qui préside EDF, défende son point de vue est une chose, qu’il gagne presque tous les arbitrages en est une autre. Ce que je refusais, il l’obtenait du Premier ministre directement. En décembre 2012, j’étais contre le transfert de cinq milliards de dette de CSPE (contribution au service public de l’électricité acquittée par les consommateurs) pesant sur les comptes d’EDF vers les consommateurs, soit 67 euros en moyenne pour chaque abonné à l’électricité, mais Matignon a arbitré en ce sens. J’étais pour exiger la présentation immédiate de la fermeture de Fessenheim en conseil d’administration d’EDF. Matignon était contre. Finalement, cela ne fut fait qu’en septembre 2013. J’étais contre la réduction du volume du programme de déploiement des compteurs communicants « linky », qui doivent permettre à chacun de pouvoir suivre en temps réel sa consommation. J’ai perdu l’arbitrage… Quand il est apparu que le projet de loi sur la transition énergétique renoncerait à se donner les moyens d’atteindre l’objectif du président de la République sur la réduction de la part du nucléaire, j’ai fini par appeler avec ironie Henri Proglio le « ministre fantôme » de l’Énergie pour dire à quel point ce n’est pas l’État qui dirige EDF, mais à l’inverse le patron d’EDF qui semble diriger l’État.

3 juin 2013

Je suis avec trois membres de mon cabinet en réunion dans mon bureau sur les permis miniers. Je veux repasser au peigne fin la situation puisque depuis plusieurs semaines une partie de mon équipe veut que je signe ces fameux parapheurs. De nouveau, j’épluche scrupuleusement chaque dossier. Les documents sont assez sommaires. Je pose des questions. Les informations sur les couches géologiques visées laissent à penser qu’il y a anguille sous roche. Surtout, la décision de Hess Oil d’attaquer devant la justice la décision de l’État d’interdire les forages horizontaux est surprenante. Je ne veux pas signer des permis d’exploration pour du gaz de schiste à mon insu.

« Vous devriez signer, Madame, me dit ma directrice de cabinet adjointe.

Et pourquoi donc ? Je n’ai pas de garantie, lui répondis-je.

Je crois que vous êtes obligée de signer, Madame, vous n’avez pas le choix, me conseille-t-elle.

Je ne suis obligée à rien, répliqué-je fermement. J’ai pris l’engagement vis-à-vis du Premier ministre lors de la conférence environnementale qu’il n’y aurait aucune entourloupe. Il a dit lui-même que c’était ma responsabilité. Je ne signe pas. J’ai trop de doutes dans ce dossier. Je ne peux pas prendre le moindre risque qu’il y ait quelque part en France des forages en vue d’exploration pour du gaz de schiste et que la volonté du gouvernement soit roulée dans la farine « à l’insu de son plein gré ». C’est ma responsabilité. Je ne signe pas.

C’est-à-dire que… en fait j’ai eu un appel d’Emmanuel Macron, finit-elle par lâcher dans un soupir. J’aurais dû vous le dire.

Hein ? Comment est-ce possible que le secrétaire général adjoint du président de la République vous appelle pour que je signe ces permis miniers là et que vous ne me le disiez pas dans l’instant ? Et en plus, vous me proposiez de signer ce parapheur sans me le dire ? lui demandé-je en colère, stupéfaite.

Je crois qu’il faut signer, Madame, il vaut mieux pour vous, vraiment, me dit-elle très calmement, visiblement embarrassée.

Et qu’est-ce qu’ils vont faire si je ne signe pas ? Me virer pour les beaux yeux de Hess Oil ? J’attends de voir ça, c’est impossible ! lui répondis-je en lui rendant les parapheurs, vierges de toute signature.

20 juin 2013

Les Hautes-Pyrénées et la Haute-Garonne sont ravagées par les inondations. Le président de la République décide de se rendre sur place et me demande de l’accompagner. Nous partons en avion pour Tarbes. Dans l’avion, à l’aller, nous parlons de choses et d’autres. Puis François Hollande glisse à un moment, amusé et sérieux à la fois : « Je connais déjà le nom de votre successeur, vous savez. » J’ai répondu : « Je n’en doute pas. »

2 juillet 2013

Sur RTL, Delphine Batho ose dire que son budget est “mauvais”, car en baisse de 7%.

Quelques minutes plus tard, elle reçoit un SMS de Jean-Marc Ayrault :

« Tes déclarations sont inadmissibles sur ton budget, je te demande de rectifier. »

Ce qu’elle refuse de faire. Elle demande d’en discuter, affirme qu’elle peut clarifier ses propos, déclare vouloir rester au gouvernement. Mais il semble que la décision du Premier ministre soit déjà prise. Quelques minutes seulement après l’annonce par Ayrault puis Hollande qu’elle est priée de partir, le communiqué de son départ arrive à l’AFP… Elle voit ses propos sur RTL comme un prétexte pour la virer : « Je n’étais pas la bonne personne pour renoncer à la volonté de changement et me couler dans la résignation ambiante. »**

* Insoumise de Delphine Batho, Grasset 2014, 262 pages, 18 euros

** http://www.lesinrocks.com/2014/10/09/actualite/insoumise-delphine-batho-revient-13-mois-au-gouvernement-11528870/

1 réflexion sur “Delphine Batho, menée en pédalo par François Hollande”

  1. Extraits de la recension du MONDE :
    « L’ouvrage tombe mal pour le gouvernement qui défend devant les députés le projet de loi sur la transition énergétique. Delphine Batho sait de quoi elle parle quand elle dénonce des choix politiques dictés par les lobbies des entreprises…. Elle dénonce des compromissions et des acoquinement qu’elle jugeait impossibles… Le constat est rude : « La Bourse ne fera jamais le choix de la transition énergétique. Ce n’est même pas une question de préférence technologique, c’est une question de cycle de rentabilité. »… »
    (L’insoumise blessée, 11 octobre 2014)

Les commentaires sont fermés.