Les limites de la croissance (1972-2012), quarante ans de perdus

Hervé Kempf dans sa chronique* nous rappelle à juste titre les quarante ans du rapport du club de Rome. (The Limits to Growth, Universe Books, 1972). Complétons son analyse, les politiques ont été allergiques aux limites de la planète, en 1972 comme en 2012 !

En 1972, la croissance reste pour Georges Pompidou le critère de la réussite politique : « Si la croissance s’arrêtait, l’opinion se retournerait. Les gens sont pour ce qu’ils n’ont pas. » Son ministre des finances Giscard d’Estaing organise en juin 1972 un colloque sur les conclusions fort alarmantes du Club de Rome… en mai 1974, le candidat aux présidentielles Giscard d’Estaing ne leur accorde plus la moindre considération : il ne parle que de croissance ! Au second tour des élections présidentielles 2007, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy proposaient à leurs électeurs le même objectif : intensifier la croissance des productions, des consommations et des déplacements sans s’interroger sur leur contenu. Nicolas Sarkozy a instauré une commission pour « libérer la croissance » dont il disait à l’avance qu’il respecterait toutes les indications. Aujourd’hui le challenger François Hollande se polarise toujours sur l’idée de « croissance à long terme ».

Pourtant en 2004 l’équipe Meadows a repris ses travaux sur les limites de la croissance avec des bases de données réactualisées (the Limits to Growth,  the 30-Year Update). Les conclusions n’ont pas changé : « La croissance exponentielle ne peut que conduire à un sommet de pollutions, de dégradations et à un effondrement de la population. Enfin, il sera très difficile d’éviter d’ici à la fin du siècle une augmentation de la température moyenne de plus de 3 °C,  avec une montée générale des mers qui pourrait aller jusqu’à deux mètres. » En 2008, Graham Turner, chercheur au CSIRO**, a publié un article où il reprenait les trois scénarios les plus caractéristiques du rapport Meadows de 1972 (scénarios « business as usual », « monde super-technologique » et « monde stabilisé »), qu’il confrontait à des données mondiales pour la période 1970–2000 : population, natalité/mortalité, production de nourriture, production industrielle, pollution et consommation de ressources non renouvelables. Il constatait que, sur la période 1970-2000, ces données numériques étaient étonnamment proches des valeurs que le rapport Meadows présentait pour le scénario « business as usual ». Il terminait son analyse en disant que « la comparaison de données présentée ici vient corroborer la conclusion de Halte à la croissance ? selon laquelle le système mondial suit une trajectoire qui n’est pas durable, sauf s’il se met à réduire, rapidement et de manière substantielle, son comportement consomptif tout en accélérant ses progrès technologiques. »

Jacques Grinevald, qui a introduit en France la notion de décroissance, est fondamentalement réaliste : « Au lendemain du tollé qui accueillit le premier rapport au Club de Rome sur les limites de la croissance (1972), on n’avait pas encore compris l’accélération de la dynamique d’un système aussi complexe que la Biosphère, altérée par l’activité humaine, et on ne croyait pas sérieusement à l’imminence d’une double menace comme celle du changement  climatique et de la déplétion mondiale du pétrole brut ! On a oublié que ce rapport scientifique illustrait déjà le problème des courbes exponentielles de notre croissance. On nous parle beaucoup des impératifs économiques de la mondialisation, mais il est grand temps de réfléchir aux impératifs de la mondialisation écologique, parce que le monde vivant auquel nous appartenons est un phénomène à l’échelle de la Terre. Dans cette perspective planétaire, tous nos problèmes prennent un autre sens, y compris nos problèmes métaphysiques et religieux. Redonner au vivant une place centrale dans notre théorie de la Terre n’est pas encore une évidence pour tout le monde. »***

Redonner une place centrale au vivant est  le cadet des soucis de nos présidentiables 2012.

* LE MONDE du 18-19 mars 2012, Bon anniversaire ?

** CSIRO, Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation  : organisme gouvernemental australien pour la recherche scientifique. Le rapport de Graham Turner, Confronter « Halte à la croissance ? » à 30 ans de réalité, août 2008.

*** La Biosphère de l’Anthropocène de Jacques Grinevald  (Georg, 2007)

5 réflexions sur “Les limites de la croissance (1972-2012), quarante ans de perdus”

  1. Eg.O.bsolète

    Les limites à la croissance nous forcent tous autant que nous sommes à nous extraire des schémas de pensée partisans. L’axe gauche-droite est d’ailleurs complètement périmé face au défi actuel.

    Ex1. J’ai toujours été contre le nucléaire mais les limites à la croissance m’amènent à relativiser mon point de vue. En effet si le nucléaire permet un atterrissage en douceur pour faire face à une déplétion pétrolière trop rapide, alors peut-être. A ce sujet il faut noter que Hubbert envisageait une décroissance linéaire de l’offre en pétrole à condition d’avoir une progression nucléaire, ce qui peut se comprendre vu l’effondrement de l’EROEI de tous les hydrocarbures. Oui mais voilà, le nucléaire est extrêmement dépendant du pétrole et les sociétés en récession ont tendance à rogner sur la sûreté nucléaire (URSS-Japon). Je reste donc a priori contre mais je n’arrive plus à justifier cette position vu les incertitudes croissantes et même si je crains qu’il soit déjà trop tard pour faire un shutdown ordonné des centrales. Problème inextricable qui va aller en se compliquant donc.

    Ex2. Je suis bien évidement contre toute forme de cannibalisme mais si pour sauver la dignité humaine la société me propose un cannibalisme encadré par l’état pour éviter une fin de l’état qui amènerait à un cannibalisme bien plus terrible, alors peut-être. A ce propos je considère nous assistons déjà à l’émergence de certaines formes de cannibalisme à un niveau subtil de la société; le cannibalisme de marché (à croissance zéro la croissance des uns ne peut se faire qu’au détriment de la croissance des autres, quand croître implique décroître), le système qui se mange lui-même (le système digère ses satellites pour permettre au cœur de survivre).

    En post limites à la croissance tous nos schémas de pensée sont susceptibles d’être transcender dans de telles proportions que les positions partisanes se révèlent plus indécentes que jamais. En fait c’est bien simple, plus nous attendons pour nous confronter à la réalité terrible des limites à la croissance et plus nous serons amener à devoir remettre absolument tout en question. Nos tissus de croyances sont sur la sellette; des plus profonds comme les religions, au plus actuels comme la pensée économique, aux plus subtils comme le scientisme, etc. Trop dur à admettre. Trop fier !!!

    Les limites à la croissance sont apocalyptiques en ce qu’elles mettent à mal toutes nos illusions (vision étymologique). Nos croyances sont dévoilées et se révèlent pour ce qu’elles sont. Tous nos échafaudages mentaux qui étaient tenables dans le régime précédent s’effondrent sous leur propre poids. A nous de regarder la réalité en face pour que l’apocalypse soit le dévoilement qui permette la transition et ne se transforme pas en l’obscurcissement destructeur (vision populaire) car à refuser l’apocalypse lumière nous nous installons dangereusement dans une apocalypse obscure.

  2. Eg.O.bsolète

    Les limites à la croissance nous forcent tous autant que nous sommes à nous extraire des schémas de pensée partisans. L’axe gauche-droite est d’ailleurs complètement périmé face au défi actuel.

    Ex1. J’ai toujours été contre le nucléaire mais les limites à la croissance m’amènent à relativiser mon point de vue. En effet si le nucléaire permet un atterrissage en douceur pour faire face à une déplétion pétrolière trop rapide, alors peut-être. A ce sujet il faut noter que Hubbert envisageait une décroissance linéaire de l’offre en pétrole à condition d’avoir une progression nucléaire, ce qui peut se comprendre vu l’effondrement de l’EROEI de tous les hydrocarbures. Oui mais voilà, le nucléaire est extrêmement dépendant du pétrole et les sociétés en récession ont tendance à rogner sur la sûreté nucléaire (URSS-Japon). Je reste donc a priori contre mais je n’arrive plus à justifier cette position vu les incertitudes croissantes et même si je crains qu’il soit déjà trop tard pour faire un shutdown ordonné des centrales. Problème inextricable qui va aller en se compliquant donc.

    Ex2. Je suis bien évidement contre toute forme de cannibalisme mais si pour sauver la dignité humaine la société me propose un cannibalisme encadré par l’état pour éviter une fin de l’état qui amènerait à un cannibalisme bien plus terrible, alors peut-être. A ce propos je considère nous assistons déjà à l’émergence de certaines formes de cannibalisme à un niveau subtil de la société; le cannibalisme de marché (à croissance zéro la croissance des uns ne peut se faire qu’au détriment de la croissance des autres, quand croître implique décroître), le système qui se mange lui-même (le système digère ses satellites pour permettre au cœur de survivre).

    En post limites à la croissance tous nos schémas de pensée sont susceptibles d’être transcender dans de telles proportions que les positions partisanes se révèlent plus indécentes que jamais. En fait c’est bien simple, plus nous attendons pour nous confronter à la réalité terrible des limites à la croissance et plus nous serons amener à devoir remettre absolument tout en question. Nos tissus de croyances sont sur la sellette; des plus profonds comme les religions, au plus actuels comme la pensée économique, aux plus subtils comme le scientisme, etc. Trop dur à admettre. Trop fier !!!

    Les limites à la croissance sont apocalyptiques en ce qu’elles mettent à mal toutes nos illusions (vision étymologique). Nos croyances sont dévoilées et se révèlent pour ce qu’elles sont. Tous nos échafaudages mentaux qui étaient tenables dans le régime précédent s’effondrent sous leur propre poids. A nous de regarder la réalité en face pour que l’apocalypse soit le dévoilement qui permette la transition et ne se transforme pas en l’obscurcissement destructeur (vision populaire) car à refuser l’apocalypse lumière nous nous installons dangereusement dans une apocalypse obscure.

  3. En 2009, Tim Jackson* (Economics for a finite planet) est formel : « Toute vision crédible de la prospérité se doit de mesurer la question des limites. Bien que les Meadows (rapport du club de Rome, 1972) aient écrit à une période où les données concernant les ressources naturelles étaient encore plus rares qu’aujourd’hui, leurs prédictions se sont avérées remarquablement exactes. « Les limites de la croissance » prévoyaient des raretés significatives de ressources au cours des premières décennies du XXIe siècle en cas d’inaction pour limiter la consommation matérielle. Dès les premières années du nouveau millénaire, la perspective de la rareté se profilait. Le modèle capitaliste ne propose aucune voie facile vers un état stationnaire. Sa dynamique naturelle le pousse vers deux états : l’expansion ou l’effondrement (…) Tant que la stabilité économique dépendra de la croissance économique, les changements nécessaires n’auront pas lieu. »

    La conclusion de Tim Jackson est claire : « Face à des chocs économiques, il est particulièrement important de créer des communautés sociales résilientes. Comme l’affirme l’institut pour l’autosuffisance locale, les communautés devraient avoir le droit de protéger certains espaces de tout esprit de commerce et de la publicité. Il faut que des activités économiques sobres en carbone contribuent vraiment à l’épanouissement humain. Les germes d’une telle économie existent dans des projets énergétiques communautaires, des marchés agricoles locaux, des coopératives Slow Food, des services locaux de réparation et d’entretien, des ateliers artisanaux, et pourquoi pas, dans la méditation et le jardinage. En étant à la fois producteurs et consommateurs de ce genre d’activités, les gens atteignent un niveau de bien-être et de satisfaction supérieur à celui qu’ils retirent de cette économie de supermarché, matérialiste et pressée, dans laquelle nous passons le plus clair de notre temps. »
    * Commissaire à l’économie de la Commission du développement durable du Royaume-Uni.

  4. En 2009, Tim Jackson* (Economics for a finite planet) est formel : « Toute vision crédible de la prospérité se doit de mesurer la question des limites. Bien que les Meadows (rapport du club de Rome, 1972) aient écrit à une période où les données concernant les ressources naturelles étaient encore plus rares qu’aujourd’hui, leurs prédictions se sont avérées remarquablement exactes. « Les limites de la croissance » prévoyaient des raretés significatives de ressources au cours des premières décennies du XXIe siècle en cas d’inaction pour limiter la consommation matérielle. Dès les premières années du nouveau millénaire, la perspective de la rareté se profilait. Le modèle capitaliste ne propose aucune voie facile vers un état stationnaire. Sa dynamique naturelle le pousse vers deux états : l’expansion ou l’effondrement (…) Tant que la stabilité économique dépendra de la croissance économique, les changements nécessaires n’auront pas lieu. »

    La conclusion de Tim Jackson est claire : « Face à des chocs économiques, il est particulièrement important de créer des communautés sociales résilientes. Comme l’affirme l’institut pour l’autosuffisance locale, les communautés devraient avoir le droit de protéger certains espaces de tout esprit de commerce et de la publicité. Il faut que des activités économiques sobres en carbone contribuent vraiment à l’épanouissement humain. Les germes d’une telle économie existent dans des projets énergétiques communautaires, des marchés agricoles locaux, des coopératives Slow Food, des services locaux de réparation et d’entretien, des ateliers artisanaux, et pourquoi pas, dans la méditation et le jardinage. En étant à la fois producteurs et consommateurs de ce genre d’activités, les gens atteignent un niveau de bien-être et de satisfaction supérieur à celui qu’ils retirent de cette économie de supermarché, matérialiste et pressée, dans laquelle nous passons le plus clair de notre temps. »
    * Commissaire à l’économie de la Commission du développement durable du Royaume-Uni.

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