L’eugénisme en marche grâce aux progrès technologiques

Pour clarifier le débat sur la bioéthique, Pierre-André Taguieff identifiait dans son livre* trois courants de pensée, la religion, le prométhéen, et l’écologie profonde. « Lorsque la question éthique est reconnue et s’exprime par une quête des limites et des critères permettant de les fixer, le premier problème surgit : où chercher le fondement des valeurs et des normes ? Celui-ci peut être découvert soit dans une transcendance, soit dans la volonté humaine, soit dans la nature. » L’éthique, l’échelle de nos valeurs morales, n’est plus inscrite dans un livre sacré qui serait respecté pendant des siècles. Du côté de la nature, elle est complètement dénaturée, artificialisée, tout semble relever désormais de l’activisme humain. Les lois de la nature qui présidaient jusqu’à maintenant à la fécondation et la reproduction sont détournées. Le mariage pour tous, en niant la différence des sexes, a ouvert la porte à l’absence totale de limites. Le Conseil constitutionnel a décrété que rien dans le droit ne prescrit que la filiation doive imiter la nature. Aujourd’hui ni la religion ni la nature ne peuvent plus être une référence et ce sont des procédures dites démocratiques, « le prométhéen », qui fixent nos lois. Le problème reste entier, la démocratie n’est qu’un lieu vide de contenu préalable, c’est la délibération entre humains qui seule peut combler ce vide…à sa guise. Ce n’est pas parce qu’une loi a été votée qu’on arrête de réfléchir ou de débattre. Les hommes changent dans leurs perceptions et leurs valeurs, en même temps que leur environnement et sans s’en rendre  compte : c’est le phénomène des shifting baselines ou lignes de références fluctuantes. En tant que membre d’une société dont les normes changent, on ne remarque pas que ses propres normes sont soumises à ce changement, parce qu’on se maintient constamment en accord avec ceux qui vous entourent. On se pose dorénavant ce genre de question : cette pratique sera-t-elle remboursée par la Sécurité sociale ? On ne se pose plus la question de la morale qui fonde nos actes. Nos choix sont donc variables et suivent l’évolution sociale.

C’est pourquoi depuis une loi de 2011 la France doit réviser tous les sept ans au moins sa législation en matière de bioéthique. Le processus délibératif démarre le 18 janvier pour se terminer le 7 juillet. Au programme, la PMA (procréation médicalement assistée), la GPA (gestation pour autrui), le DPI (diagnostic préimplantatoire), les tests génétiques et la médecine préventive, la modification du génome et la fin de vie**. En d’autres termes, nous allons causer du droit de vie et de mort en substituant la main humaine aux mécanismes biologiques. Mais ne soyons pas naïf, c’est le progrès technique qui mène la danse et pollue la réflexion dite démocratique. Les évolutions très rapides de la science appliquée conditionnent notre attitude dans un contexte culturel où on nous fait penser que tout ce qui est techniquement possible de faire devrait être fait. Les laboratoires, après avoir mis la nature en éprouvette, s’attaquent maintenant à l’essence de l’homme pour la transformer en marchandise et en objet d’expérimentation. Si la délibération sur la bioéthique ne devient pas une réflexion sur l’hubris technologique, alors nous serons passé à côté de l’essentiel.

La question de la fixation des limites reste entière. Quelles sont les techniques appropriées, quelles sont les techniques à éviter ? Prenons l’exemple de l’eugénisme, clairement mis en jeu par les techniques du diagnostic préimplantatoire et de la modification du génome. Le DPI ne concerne pour l’instant que les couples à haut risque de maladie génétique grave et incurable qui de ce fait recourent à l’assistance médicale à la procréation. L’Agence de la biomédecine a recensé 221 maladies génétiques différentes pouvant donner lieu à un DPI. Faut-il élargir le nombre de maladies génétiques dépistées à la naissance, voire autoriser le séquençage du génome des nouveau-nés ? Doit-on envisager de proposer des tests génétiques aux couples souhaitant avoir un enfant même en l’absence d’antécédent familial de maladie génétique, comme une mucoviscidose ? « La question des tests préconceptionnels est très importante, les progrès technologiques nous forcent à nous la poser, sans préjuger de la réponse », souligne une généticienne**. Depuis les précédentes lois de bioéthique, un procédé d’édition de l’ADN nommé Crispr-Cas9 permet d’intervenir sur les cellules pour soigner des maladies génétiques. Dans le cas de l’embryon humain, toute recherche reste conditionnée pour l’instant à une « finalité médicale ». Mais l’Inserm et l’Académie de médecine ont réclamé un assouplissement des contraintes dans ce domaine. La modification se transmettrait alors à la descendance, une forme d’eugénisme durable. La sélection naturelle est remplacée par une sélection programmée par la médecine. L’eugénisme scientifique rentre dans les mœurs, bien oubliées les dérives de la sélection d’une « race » pure du temps de l’Allemagne nazie. Vu l’absence de fondements solides à toute considération morale, il nous paraît impossible d’arriver, aux termes de cette consultation de six mois sur la bioéthique, à une conclusion fondée pour l’éternité.

* La bioéthique ou le juste milieu ; une quête de sens à l’âge du nihilisme technicien

** LE MONDE du 18 janvier 2018, PMA, fin de vie… Les grandes thématiques des Etats généraux de la bioéthique

5 réflexions sur “L’eugénisme en marche grâce aux progrès technologiques”

  1. Autre exemple du sac de nœuds que représente la bioéthique, cette fois sur la GPA. Nos élites intellectuelles s’empoignent :
    thèse d’Elisabeth Badinter, Pierre Rosanvallon et Irène Théry, etc.  :
    Les enfants nés par le recours à la GPA sont là. Ils ont des parents, hétérosexuels ou homosexuels. Ils sont des milliers, de plus en plus visibles, on ne peut plus les ignorer comme des fantômes et faire comme s’ils n’existaient pas. Il existe dans de grandes démocraties des protocoles de GPA pensés et aménagés de façon parfaitement éthique, et dont les pratiques sont étayées par des études validées. Plusieurs pays voisins, comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Portugal, la Grèce, ont déjà débattu et même légalisé la GPA sur leur sol. L’opinion publique française est prête. (LE MONDE du 17 janvier 2018, « On ne peut plus ignorer les enfants nés par GPA »)
    antithèse de Sylviane Agacinski, José Bové, René Frydman, etc.  : En un temps où l’on s’insurge contre les violences faites aux femmes, où l’on traque les stéréotypes de genre et où l’on revendique l’égalité des sexes, on observe une étrange complaisance à l’égard de la maternité de substitution. Personne ne peut ignorer que cette pratique fait partie d’un marché procréatif mondialisé en pleine expansion. Il s’agit de savoir dans quelle société nous voulons vivre et d’avoir le courage de résister au « marché total », comme c’est encore le cas de la plupart des pays européens. (LE MONDE du 20 janvier 2018, GPA : « Non au marché de la personne humaine »)

  2. Cet article sur l’eugénisme porte à 3800 leur nombre sur ce blog. Il y a aussi 7590 commentaires. Félicitations à ceux qui nous soutiennent en consultant ce blog et en le nourrissant.
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  3. un commentateur sur le monde.fr qui montre le processus de shifting baselines : « Pas de PMA pour les couples homosexuels, uniquement pour des raisons médicales. Bon, OK pour la PMA pour les couples homosexuels mais jamais la GPA, la voie inacceptable de l’eugénisme et du retour à l’esclavage. Bon d’accord pour la GPA mais jamais la vente d’organes, l’horreur absolue. Bon d’accord pour la vente de reins, mais c’est tout. Ah on me dit que les poumons ce serait bien aussi. C’est vrai qu’on peut très bien vivre avec un seul poumon… »

  4. D’une autre manière, je suis d’accord avec Invite2018, ce n’est pas le mariage pour tous qui a ouvert la porte à l’absence totale de limites. Cette idée de pouvoir s’affranchir des limites et des lois naturelles (« lois de la nature ») est bien plus ancienne que ça.
    Cette folie, parce que c’est de ça dont il s’agit (hubris), ne se limite pas aux seules lois de la biologie, nous la retrouvons aussi du côté des lois de physique.
    Les lois impliquent un législateur, ici un législateur divin. Si « Dieu est mort »… alors « tout est permis » , il n’y a plus de lois ! Nous retrouvons là un très vieux débat (réalisme, anti-réalisme… nihilisme.)
    Quoi qu’on en dise, notre morale comme nos éthiques sont les résultats de notre vieille culture judéo-chrétienne. Comme nous le savons, une civilisation naît, se développe, connaît une apogée … puis décline et disparaît.
    Cessons de nous mentir, nous en sommes là. Ouvrons les yeux !
    Comment déjà ne pas voir que nos démocraties ne sont que d’énormes farces ? Et depuis un bon moment maintenant. De nos jours chaque entreprise, chaque parti, se doit d’avoir sa « charte éthique » , c’est à la mode, ça fait bien, ça fait sérieux. En réalité c’est comme le reste, c’est du flan. Et d’ailleurs personne n’y croit. Aujourd’hui l’honneur (la parole d’honneur) ça ne veut plus rien dire. Aujourd’hui on s’assoit sur une promesse, un engagement, une signature, comme on s’assoit sur la cuvette des WC. Le nihilisme est à son apogée, ou alors tout près.

  5. Que voulez-vous dire par « Le mariage pour tous, en niant la différence des sexes »? De quelles différences parlez-vous?
    Qu’aux couples homosexuelles soient étendus les droits des couples hétéros ne nie ni que l’humain mâle ne puisse pas avoir une quelconque grossesse ni que les femmes ne puissent pas être attentes du cancer des testicules.
    Les dérives de l’industrie de la manipulation génétique ont lieu non pas en raison de mais malgré le fait que les couples de même sexes puissent adopter.

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