Léviathan climatique, dictature supranationale

Le livre de Geoff Mann et Joel Wainwright, Climate Leviathan s’intéresse aux différents types de scénarios politiques susceptibles d’émerger en réponse aux crises écologiques. C’est Thomas Hobbes, comme le titre le suggère lui-même, qui se trouve au cœur du livre – le Léviathan. Hobbes observait une nation déchirée par la guerre civile anglaise et estima qu’il valait mieux renoncer à sa liberté sous l’autorité d’un souverain tout puissant plutôt que de vivre dans une tel contexte de brutalités. Durant les années Bush, un « état d’exception » était en train de devenir la norme, sous couvert d’une « guerre contre le terrorisme » (war on terror). Néanmoins, cette vision de l’État n’a que très rarement été élargie à la réflexion sur le type de « politique de l’urgence » qui va surgir avec le réchauffement climatique. Les perturbations écologiques vont créer les conditions permettant à une nouvelle autorité souveraine de « prendre le commandement, déclarer l’état d’urgence, et mettre la Terre en ordre, tout cela au nom de la sauvegarde de la vie » – et cette fois-ci à l’échelle planétaire, et non plus nationale.

Selon les auteurs de Climate Leviathan, quatre types de régimes politiques sont susceptibles d’émerger en réponse au changement climatique : le « Léviathan climatique » serait un système de capitalisme globalisé gouverné par une souveraineté planétaire – un pouvoir hégémonique capable de prendre des mesures drastiques ; le « Behemoth climatique », un système capitaliste contenu dans les limites autarciques de l’État-nation ; le « Mao climatique », un système anti-capitaliste ; et le « X climatique », dont la forme reste encore à déterminer. Les auteurs pensent que le vainqueur le plus probable est le Léviathan climatique : il est, après tout, déjà en ascension, comme le montre les institutions mondiales telles que la Conférence des Parties des Nations Unies (COP). Ces institutions ne sont actuellement pas souveraines au sens de Hobbes ; au contraire, elles travaillent à coordonner les actions entre les États-nations. Mais Mann et Wainwright pensent néanmoins qu’elles ouvrent la voie vers une forme de souveraineté attendue depuis des siècles : une souveraineté à l’échelle du monde dans une ère de désastre écologique. En appelant à des accords lors des COPs de chaque année, nombreux sont les militants du climat à avoir légitimé le Léviathan climatique au lieu de le contester.

Le Léviathan climatique a un sérieux rival : le « Behemoth climatique », représentant un « populisme réactionnaire » se détournant de l’élitisme mondial des forums planétaires sur le changement climatique pour se tourner vers un capitalisme nationaliste – une dynamique parfaitement résumée par la déclaration de Donald Trump selon laquelle il a été «élu pour représenter les citoyens de Pittsburgh, pas de Paris ». Le « fascisme global » que Mann et Wainwright nomment le Behemoth est bien plus puissant aujourd’hui que n’importe quelle formation écologiste de gauche.Perceptible dans l’Amérique de Trump, l’Inde de Modi et dans le surgissement des euro-sceptiques de droite un peu partout en Europe, les soutiens du Behemoth climatique constitue un mélange de capitalistes du secteur des énergies fossiles, de petits-bourgeois réactionnaires, et de gens désabusés de la classe ouvrière qui veulent s’en prendre aux élites cosmopolites et à l’establishment politique. Son mélange contradictoire mais musclé d’ethno-nationalisme, de religion, de masculinité et de déni scientifique en fait une forme puissante mais au fond instable ; Mann et Wainwright défendent l’idée qu’il est probable que cette forme s’épuise – mais qu’elle pourrait entre-temps causer beaucoup de dégâts.

Les problèmes posés par le réchauffement climatique s’inscrivent dans une histoire longue de luttes pour la justice et la liberté – la seule différence c’est qu’il y a maintenant un ultimatum écologique, le temps nous est compté. Lorsque Marx ridiculisait le projet d’écrire « des recettes pour les marmites de l’avenir », il en appelait plutôt à une « analyse critique des faits actuels ». Mais la menace posée par le changement climatique exige que nous imaginions dès maintenant un monde radicalement différent, un monde qui n’existe pas à présent et qui n’a jamais existé ; un monde, de plus, qui n’est pas tourné vers nos idées actuelles sur le progrès.

https://www.terrestres.org/2019/09/11/le-leviathan-et-le-climat/ (extraits)