L’habituation aux délires des dirigeants, désolant

Comment des maux tels que la pollution de l’air, les inégalités, la corruption… peuvent-ils être acceptés, voire devenir acceptables ? Le processus à l’œuvre est l’habituation, qui rend les êtres de moins en moins réactifs aux stimuli répétitifs. Quand le niveau d’attente des humains baisse, les malheurs qui les frappent (comme l’injustice, la maladie…) ne les affectent pas autant. Dans les pays où les gens n’ont que peu de liberté, celle-ci est moins importante pour leur bien-être… puisqu’ils ne s’attendent pas à en avoir.

N’avoir que de faibles attentes présente un risque majeur : arrêter de lutter contre des situations inacceptables. En effet les préférences adaptatives ont un effet à la fois anesthésiant et paralysant : elles soulagent la douleur, mais émoussent également le désir d’agir. Cela explique la persistance des préjugés et des traitements inégalitaires. Dans un monde où ils sont la norme, l’habituation fait que la majorité des gens ne perçoivent tout simplement pas les discriminations qui les entourent. Nous remarquons ce qui est surprenant et différent, mais notre œil glisse sur l’inchangé et le prévisible.

Certes la baisse d’intensité émotionnelle associée au statu quo déclenche la quête d’expériences et de découvertes nouvelles , mais c’est le plus souvent pour se soumettre à un nouveau matraquage.

source : « Regarder d’un œil neuf (Comment réapprendre à voir ce qui se trouve sous nos yeux) » de Tali Sharot et Cass Sunstein

Le point de vue des écologistes révoltés

L’habituation, c’est donc expliquer pourquoi les Russes s’habituent au régime dictatorial de Poutine et les Américains aux délires verbaux de Trump. Les citoyens pour être éclairés devraient lire la manifeste sur « la servitude volontaire » d’Etienne de la Boétie (1576) qui n’a pas pris une ride. Lutter contre l’habituation s’apprend… malheureusement il faut faire des efforts sur soi-même !

La servitude volontaire d’Etienne de La BOETIE (1576)

Les textes anciens et inoubliables sont rares. Le texte d’Etienne de La Boétie publié pour la première fois en 1576 est un joyau qui détaille les bases de notre esclavage. Extraits :

« Comment il peut se faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a de pouvoir de leur nuire sinon tant qu’ils ont vouloir de l’endurer, qui ne saurait leur faire mal aucun sinon lorsqu’ils aiment mieux le souffrir que le contredire (…) Plus ils pillent, plus ils exigent, plus ils ruinent et détruisent, plus on leur donne, plus on les sert, de tant plus ils se fortifient  et deviennent toujours plus forts. Si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point, ils demeurent nus et défaits, et ne sont rien, sinon que, comme la racine n’ayant plus d’aliment, la branche devient sèche et morte (…) Celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps, sinon qu’il a plus que vous tous : c’est l’avantage que vous lui faites pour vous détruire. D’où a-t-il pris tant d’yeux dont il vous épie si vous ne lui donniez ? Combien a-t-il tant de mains pour vous frapper s’il ne les prend de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, d’où les a-t-il s’ils ne sont les vôtres ? (…) »

Même le régime démocratique a pour La Boétie ses insuffisances : « Il y a trois sortes de tyrans. Les uns ont le royaume par élection du peuple ; les autres par la force des armes ; les autres par succession de leur famille. Pour dire la vérité, je vois bien qu’il y a entre eux quelques différences, mais de choix, je n’y en vois point, la façon de régner est toujours quasi-semblable. Celui à qui le peuple a donné l’Etat devrait être, ce me semble, plus supportable, et le serait n’était que, dès lors qu’il se voit élevé au-dessus des autres, il délibère de n’en bouger point (…)

La nature de l’homme est bien d’être libre et de le vouloir être, mais sa nature est telle que naturellement, il tient le pli que l’éducation lui donne. Disons qu’à l’homme toutes choses lui sont comme naturelles, à quoi il se nourrit et s’accoutume. Ainsi la première raison de la volontaire, c’est la coutume ; on ne regrette jamais ce que l’on n’a jamais eu. »

(éditions arléa, 2007)

Lisons et relisons ce texte qui propage un humanisme ouvert et nous offrent des armes pour se protéger de nos esclavages. Il ne faut plus écouter ces princes qui nous gouvernent, il faut construire un équilibre durable entre les hommes, c’est-à-dire un équilibre durable avec nos écosystèmes…

12 réflexions sur “L’habituation aux délires des dirigeants, désolant”

  1. éviction de Carlos Tavares, celui qui s’était autoproclamé « psychopathe de la performance ». Il doit toucher 23,5 millions d’euros au titre de l’année 2024. C’est l’équivalent de 350 fois le salaire moyen des 259 000 salariés de Stellantis à travers le monde (65 993 euros). A la somme prévue pour 2024, s’ajoutent, pour Carlos Tavares, 12 millions d’euros versés en 2025, correspondant à sa prime de départ et à une prime liée à « l’atteinte d’une étape de transformation de l’entreprise ». Les ventes ont baissé de 12 % en 2024, le groupe a perdu des parts de marché. Les actions du groupe ont chuté de 34 % depuis le début de l’année 2025. Mais 33 % seulement des investisseurs se sont opposés aux émoluments de l’ex-dirigeant.

  2. Les Riches contre la planète. Violence oligarchique et chaos climatique de Monique Pinçon-Charlot
    Trente petits chapitres pour 160 pages rédigés comme autant de chroniques dont chacune dit une part des relations qui lient la destruction de l’environnement et l’appétit pour le pouvoir. Les dégâts liés au style de vie des ultra-riches – le jet privé, le yacht et le bunker survivaliste de luxe étant les éléments-clés de la distance entre les plus fortunés et le vulgum pecus. Les thématiques abordées ne se cantonnent pas aux destructions environnementales provoquées par le désir de différenciation sociale. La sociologue montre aussi que les moyens mêmes par lesquels la société entend lutter contre le réchauffement climatique et l’écroulement de la vie – la « finance verte », la diplomatie environnementale, etc. – peuvent être subvertis ou détournés au profit des plus riches.
    Mais dénoncer ne suffit pas…

    1. Esprit critique

      Eh non hélas, dénoncer ne suffit pas. Alors c’est quoi le YAKA ?
      Leur lancer des tomates… ON voit ce que ça donne.
      Alors plutôt des pavés, des boulons… et autres douceurs ?
      Moi je veux bien… mais qu’ON arrête d’abord de voter pour eux !
      De voter pour eux ou les soutenir (comme le font certains ici sur ce blog), c’est exactement pareil !

  3. La Pause Philo

    Les opprimés jouent un rôle dans la domination qu’ils subissent : c’est parce qu’ils l’acceptent qu’elle peut se mettre en place et se perpétuer. […]
    Pourquoi ?
    Puisqu’on n’a jamais vu quelqu’un ne pas souffrir de sa servitude, La Boétie considère que la liberté est naturelle. Dans ce cas, pourquoi servons-nous, alors que nous ne sommes pas soumis à une force à l’état brute ? Pour lui, le désir de liberté peut parfaitement s’accompagner d’une volonté de servitude. […]
    Comment ?
    1) L’habitude, la tradition […]
    2) La ruse des tyrans pour abêtir leurs sujets […]
    3) La chaîne de soumission […]
    Ce qui donne…
    Si on est privé de liberté, c’est parce qu’on la délaisse !

    (« Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » Étienne de La Boétie
    lapausephilo.fr/2016/03/ )

    1. Esprit critique

      – « 3) La chaîne de soumission : un tyran est soutenu par quelques hommes, eux-mêmes soutenus par une centaine d’autres hommes, et ainsi de suite, jusqu’à ce que la totalité d’un territoire soit soumise à une même autorité. » (La Pause Philo)

      Cet élément joue un rôle tout aussi important que les 2 autres.
      – La chaîne de soumission. Trump et la propriété transitive, par Timothy Snyder
      ( leshumanites-media.com 16 nov. 2024 )

      Et rien que sur ce blog… Trump et Poutine peuvent compter sur le soutien sans faille de qui nous savons. Misère misère !

  4. Didier BARTHES

    Parce qu’il y a chez les hommes paresse et lâcheté. l’absence de liberté est un confort. Rappelons-nous la lâche passivité dont nous avons fait preuve durant le covid, (vaccinés de force et enfermés chez soi, contraire à toutes les règles de base) qui fut finalement (même si je ne prétends pas que ce fut là l’intention initiale) un test extraordinaire de notre obéissance. Hélas nous avons obéi, nous le paierons cher.
    On sait désormais qu’on peut tout nous imposer. Même dans un pays bien plus démocratique que la Russie.

    1. C’est à peu près ce que je pense moi aussi. Notamment pour la paresse, intellectuelle.
      Toutefois je pense que l’explication se trouve du côté de ce que dit Biosphère :
      – « Le processus à l’œuvre est l’habituation »
      La fable de la grenouille (voir Wikipédia) illustre très bien ce phénomène. Que nous retrouvons bien sûr dans notre incapacité à réagir face au changement climatique, chute de la biodiversité etc. mais aussi face à la pire des dictatures qui nous pend au nez.
      Depuis un certain temps… nous nous sommes habitués à avaler des couleuvres à longueur de journées. À ce qu’ON nous mente sans aucune pudeur, qu’ON nous vende des vessies pour des lanternes… la guerre pour la paix, la vulgarité la plus crasse pour la grande classe etc. etc. Et comme avec la grenouille, tous les jours c’est un peu plus, toujours plus… de couleuvres et de vessies toujours plus grosses etc.

      1. Didier BARTHES

        Oui oui, ma remarque n’avait en aucun cas pour but de nier ce phénomène d’habituation, il a un rôle très important.

  5. Ivanne Trippenbach

    Traditionnellement proches des républicains, les anciens combattants nourrissent une colère croissante contre le président américain, qu’ils accusent de mépris pour l’uniforme et de trahison des alliés historiques des Etats-Unis. « Nous, les vétérans, on sait que c’est un idiot… Poutine n’est qu’un dictateur, Trump veut être à son image…. Il n’a pas fait l’armée. » Tous se souviennent qu’il avait traité les soldats américains morts au front de « suckers and losers » (« des pigeons et des ratés »). Mais on a peur de ses réactions. 100 000 photos d’archives ont été censurées, dont celle des Tuskegee Airmen, aviateurs noirs de la seconde guerre mondiale, des premières femmes diplômées de l’infanterie , et de Enola Gay, l’avion qui a largué la bombe atomique sur Hiroshima, car le nom contenait le mot « gay ». Il faut voir ce film, sorti début 2024,d’Alex Garland : « Civil war », une Amérique devenue une dictature qui bascule dans l’horreur.

    1. – « S’ils existent vraiment, si des gens existants ont pu dire ça, ce sont des minables sans scrupule et des menteurs. Et je serais prêt à jurer sur n’importe quoi que je n’ai jamais dit ça à propos de nos héros tombés au combat. […] » (Trump)

      Et en plus il ose demander … « Quel animal aurait pu dire une telle chose ? »
      Décidément rien ne l’étouffe ! Quel animal ? Un drôle de canard bien sûr.
      Un canard amnésique, qui à peine quelques jours plus tard ne se souvenait déjà plus d’avoir traité Zelenski de dictateur.
      – Les soldats américains morts au combat, des « losers » et des « crétins » pour Trump ?
      ( nouvelobs.com 4 septembre 2020 )

  6. On croit que Donald est un fin stratège qui exige beaucoup pour qu’on courbe l’échine. En fait c’est un enfant de bientôt 79 ans à qui on a accédé à tous ses caprices et qui en veut donc toujours plus… même s’il ne sait vraiment pas lui-même ce qu’il veut. C’est un saltimbanque comme en fabrique à la chaîne la télévision, c’est un pantin otage des réseaux sociaux, c’est un caractériel qui n’écoute que lui. Comme il n’a jamais eu besoin d’apprendre quoi que ce soit, il fait preuve d’une ignorance totale que ce soit en matière économique et commerciale, en matière géopolitique et de chocs des puissances, en matière écologique car il croit sans doute encore que la terre est plate.

    Alors Trump agit par impulsion, sans aucun sens de ce qu’est la tâche réelle d’un président des USA. S’il rencontre une résistance comme celle de Zelenski, il cherche à l’écraser, s’il rencontre une résistance comme celle des marchés financiers, il vire à 180 degrés.

    1. C’est à peu près ce que je pense moi aussi.
      Ce Donald est finalement un drôle de canard, et Trump un sacré phénomène.
      – «Donald Trump est l’incarnation d’un phénomène» (Philippe Fabry)

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