L’héritage, instrument oublié de la décroissance

 « Consommer et produire moins, refuser le culte du travail, ralentir son mode de vie, démythifier le progrès… Oui, mais les objecteurs de croissance n’auraient-ils pas oublié de questionner un autre fondement de notre société : l’héritage ? » Le mensuel La décroissance* donne aussi la parole à des lecteurs avertis, ainsi de cette pensée de Laurent Flandin qui se poursuit de cette belle manière :

« L’héritage part a priori d’une bonne intention, sécuriser l’avenir de la filiation après le décès d’un proche. Encore faut-il ne pas se tromper d’objectif. Il est capital de questionner l’opportunité de cette transmission privée d’un patrimoine en tant que levier de la solidarité entre générations. Avec l’héritage, seule les familles les plus riches sont en mesure d’assurer la sécurité matérielle de leur filiation, ce qui est profondément inégalitaire. Tout citoyen devrait pouvoir disposer d’un accès garanti aux biens publics fondamentaux afin de ne plus craindre pour son avenir et celui de ses proches. La sécurité matérielle ne doit donc pas passer  par un hypothétique legs, fonction de sa classe sociale. En effet le propre de l’héritage dans un système  capitaliste est d’entériner le principe de l’accumulation infinie de richesses. Il permet à certains de désirer sans fin, en leur offrant la garantie que les richesses accumulées ne seront jamais perdues, mais bien transmise à leurs descendants. Dès lors le système de production peut fonctionner sans limite. Les individus sont encouragés à travailler toujours plus afin d’accumuler un maximum de richesse : d’une part pour subvenir à un besoin d’achats pulsionnels, d’autre part pour se constituer un patrimoine en expansion. La disparition de l’héritage serait un premier pas vers une société raisonnée, qui garantirait la sécurité de tous, plutôt que de favoriser la reproduction de privilèges… »

                Voici ce que nous pourrions ajouter : quand le patrimoine est transmis d’une génération à l’autre par famille interposée, les inégalités se reproduisent en effet dans le temps. Toute égalisation consisterait à donner à chaque personne le même capital de départ, ce qui est déjà difficile quand on considère qu’il y a à la fois un capital économique et financier (entreprise, patrimoine de rapport), mais aussi un capital culturel ( pouvoir de se faire entendre et de défendre ses intérêts et sa position sociale, qualités acquise par une socialisation spécifique), ou même un capital relationnel (le carnet d’adresses des parents ou de la grande école dont on sort). Ne transmettez pas à vos enfants tous ces biens, mais des valeurs morales. Instaurez  dans leur esprits la compréhension des équilibres de la Biosphère. Oubliez le pauvre argent des héritages financiers. En définitive la polarisation des raisonnements sur la reproduction sociale oublie un paramètre essentiel, le niveau de capital naturel qui est transmise non pas à l’intérieur d’une famille, mais d’une génération humaine à l’autre. C’est pourtant là l’essentiel, préserver l’avenir des générations futures en transmettant un capital naturel intact.

* mensuel La Décroissance n° 107 (mars 2014), et l’héritage alors ? (page 2)