L’humanitaire comme instrument dévoyé de l’humanisme

Répondant à une forte demande des jeunes Occidentaux pour « partir faire de l’humanitaire » à l’étranger, Projects Abroad est un acteur d’un secteur en pleine expansion : celui du tourisme humanitaire, ou voluntourism ­ (« volontourisme » en français). Le désir d’allier voyage et humanitaire relève du « complexe du sauveur blanc »… à titre payant ! Ces structures se présentent comme des ­ « organisations », difficiles à distinguer des missions proposées par des associations à but non lucratif ou des missions de service civique. Les grandes écoles et le modèle éducatif anglo-saxon privilégient l’engagement associatif… au prix d’un séjour humanitaire. C’est une forme d’initiation à la philanthropie, dans un milieu qui tient à justifier son capital par des actions caritatives.*

Ivan Illich dénonçait il y a longtemps cette pratique. Voici l’essentiel de son discours prononcé à la Conférence sur les projets étudiants interaméricains, le 20 avril 1968 : « J’ai été marqué par l’hypocrisie de la plupart d’entre vous. Il est probable que cette hypocrisie est inconsciente chez la plupart d’entre vous, sinon chez tous. Les « missions de vacances » auprès des pauvres Mexicains étaient LA chose à faire pour les étudiants états-uniens aisés : la préoccupation qu’ils ressentaient par sentimentalisme pour la pauvreté nouvellement découverte au sud de la frontière, parallèlement à une cécité totale à l’égard de la pauvreté bien pire régnant dans leur pays, justifiait ces excursions de bienfaisance.

De nos jours, l’existence d’organisations comme la vôtre est offensante pour le Mexique. Vous n’aiderez jamais personne avec vos bonnes intentions. Au cours des six années écoulées, je me suis fait connaître par mon opposition croissante à la présence de tout « bon Samaritain » nord-américain en Amérique latine. Vous êtes sans doute au courant des efforts que je mène pour obtenir le retrait d’Amérique latine de toutes les armées de volontaires nord-américains : missionnaires, membres du Corps de la paix et groupes tels que le vôtre (la CIASP), qui est un « bataillon » formé pour procéder à une invasion bien intentionnée du Mexique. Je suis ici pour vous demander, vous convaincre si possible et, je l’espère, vous arrêter d’imposer prétentieusement votre présence aux Mexicains. Par définition, vous ne pouvez pas vous empêcher de vous transformer finalement en représentants commerciaux en vacances de l’« American Way of Life » de classe moyenne, puisque c’est en fait la seule vie que vous connaissez. Vous êtes le produit d’une société états-unienne de gagnants et de consommateurs, avec son école universelle et son abondance de voitures familiales. Après l’argent et les armes, le troisième poste d’exportation de l’Amérique du Nord est l’idéaliste états-unien. Le rôle du bon Samaritain en vacances se réduit fréquemment à atténuer les dommages provoqués par l’argent et les armes, ou à faire miroiter aux populations « sous-développées » les bienfaits du monde de l’opulence et de la réussite. Le Corps de la paix consacre environ 10 000 dollars à chacun de ses volontaires pour l’aider à s’adapter à son nouvel environnement et pour le protéger du choc culturel. Il est curieux que personne n’ait jamais songé à prévoir un budget pour éduquer les pauvres Mexicains afin de les prémunir contre le choc culturel que représente la rencontre avec vous. Supposons que vous alliez dans un ghetto des États-Unis cet été pour aider les pauvres à « se prendre en mains ». Très rapidement, on vous cracherait dessus ou bien on rirait de vous avec condescendance. Si vous tenez vraiment à travailler auprès des pauvres, si telle est votre vocation, travaillez au moins auprès des pauvres qui sont susceptibles de vous envoyer au diable. D’aucuns prétendent que certains volontaires de retour chez eux ont pris conscience du mal qu’ils ont fait à autrui, et qu’ils ont ainsi gagné en maturité. Mais on dit moins souvent que la plupart d’entre eux sont ridiculement fiers de leur « sacrifice de l’été ».

Au lieu de cela, peut-être le moment est-il venu, de retour au pays, d’enseigner à la population des États-Unis que le modèle de vie qu’elle a choisi n’est tout simplement pas assez vivant pour être partagé. Les dictateurs, autrefois au service des planteurs, protègent aujourd’hui les nouveaux complexes industriels. Et vous, finalement, venez aider les opprimés à accepter leur destin dans ce processus ! Je suis ici pour vous demander instamment d’abandonner librement, humblement et en toute conscience le droit que vous confère la loi d’imposer votre bonté au Mexique. Je suis ici pour vous mettre au défi de reconnaître votre inaptitude, votre impuissance et votre incapacité à faire une « bonne action » comme vous en aviez l’intention. Je suis ici pour vous demander instamment de profiter de votre argent, de votre statut et de votre niveau d’instruction pour voyager en Amérique latine. Venez pour regarder, venez pour escalader nos montagnes, pour admirer nos fleurs. Venez pour étudier. Mais, par pitié, ne venez pas pour aider. »**

* LE MONDE IDEES du 23 juin 2018, « Volontourisme » : le juteux business de l’humanitaire sur catalogue

** http://www.alterinfos.org/spip.php?article4973

4 réflexions sur “L’humanitaire comme instrument dévoyé de l’humanisme”

  1. Ivan Illich avait un franc-parler qui ne lui faisait pas que des amis. Litote.

  2. « mais attention, à force de noircir l’humanisme on risque de devenir comme notre cher marcel. »

    L’ humanisme au sens de la Renaissance signifiait un retour aux textes de l’ antiquité (grecque + romaine) et à leur pensée sans plus
    L’ humanisme de la sainte farce (sauf exceptions) actuel est anthropocentré et détruit toute autre forme de vie .
    Déjà , peu enclin à la philanthropie (qui aime l’ humain) , ma misanthropie ne fait que se renforcer à la vue de toutes ces organisations droitdelhommistes et esclavagistes à leur Soros .
    Misanthrope et heureux de l’ être

  3. Certes il y a de quoi se défouler sur le « volontourisme », mais attention, à force de noircir l’humanisme on risque de devenir comme notre cher marcel.
    L’humanisme n’est qu’un mot, qui sert à nommer une idéologie (système d’idées). Or chacun sait ce que les idéologies peuvent devenir, notamment à force de tordre les mots, qui eux aussi ne servent qu’à traduire des idées.

  4. Humanitarisme , une maladie mentale provoquée par des agents pathogènes du christianisme bisounoursien (béance à autrui , amour de son prochain, universalisme)
    et du socialisme , son équivalent en niaiserie (vivre ensemblisme , hypocrisie droitdelhommiste)
    Pourquoi les aider ? ils se reproduisent comme des lapins et menacent les USA par le déversement de leur excédents de population (idem pour l’ amérique centrale).
    Que les USA laissent dame nature opérer sa sélection dans ces pays du 1/3 monde .

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